Language of document : ECLI:EU:C:2024:546

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

27 juin 2024 (*)

« Pourvoi – Concurrence – Produits pharmaceutiques – Marché du périndopril – Article 101 TFUE – Ententes – Partage de marché – Concurrence potentielle – Restriction de la concurrence par objet -Stratégie visant à retarder l’entrée sur le marché de versions génériques du périndopril – Accord de règlement amiable de litige en matière de brevets – Accord de licence de brevet – Accord de cession et de licence de technologie »

Dans l’affaire C‑151/19 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 22 février 2019,

Commission européenne, représentée initialement par Mme F. Castilla Contreras, MM. B. Mongin et C. Vollrath, en qualité d’agents, assistés de M. D. Bailey, barrister, puis par Mme F. Castilla Contreras et M. C. Vollrath, en qualité d’agents, assistés de M. D. Bailey, barrister,

partie requérante,

soutenue par :

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté initialement par Mme D. Guðmundsdóttir, en qualité d’agent, puis par M. L. Baxter, Mme D. Guðmundsdóttir, M. F. Shibli et Mme J. Simpson, en qualité d’agents, assistés de M. J. Holmes, KC, et M. P. Woolfe, barrister, et enfin par M. S. Fuller, en qualité d’agent, assisté de M. J. Holmes, KC, et M. P. Woolfe, barrister,

partie intervenante au pourvoi,

l’autre partie à la procédure étant :

KRKA, tovarna zdravil, d.d., établie à Novo mesto (Slovénie), représentée par Mes T. Ilešič et M. Kocmut, odvetnika,

partie demanderesse en première instance,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la première chambre, MM. P. G. Xuereb, A. Kumin, et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. M. Longar et Mme R. Şereş, administrateurs,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience des 20 et 21 octobre 2021,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, la Commission européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 décembre 2018, Krka/Commission (T‑684/14, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:918), par lequel celui-ci a annulé l’article 4, en tant qu’il constate la participation de KRKA, tovarna zdravil, d.d. (ci-après « Krka ») aux accords visés à cet article, l’article 7, paragraphe 4, sous (a), ainsi que, en tant qu’ils concernent Krka, les articles 8 et 9 de la décision C(2014) 4955 final de la Commission, du 9 juillet 2014, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 102 [TFUE] [affaire AT.39612 – Périndopril (Servier)] (ci-après la « décision litigieuse »).

I.      Les antécédents du litige

2        Les antécédents du litige, tels qu’ils ressortent, notamment, des points 1 à 37 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit.

3        Servier SAS est la société mère du groupe pharmaceutique Servier qui comprend Les Laboratoires Servier SAS et Servier Laboratories Ltd (ci-après, prises individuellement ou ensemble, « Servier »). La société Les Laboratoires Servier est spécialisée dans le développement de médicaments princeps, sa filiale Biogaran SAS dans celui des médicaments génériques.

A.      Le périndopril de Servier

4        Servier a mis au point le périndopril, un médicament principalement destiné à lutter contre l’hypertension et l’insuffisance cardiaque. Ce médicament fait partie des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine. Les seize médicaments inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine qui existaient à l’époque des faits étaient classés tant au troisième niveau de la classification anatomique, thérapeutique et chimique (ATC) des médicaments de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui correspond aux indications thérapeutiques, qu’au quatrième niveau de cette classification, correspondant au mode d’action, dans un même groupe, intitulé « inhibiteurs de l’[enzyme de conversion de l’angiotensine] seuls ». Le principe actif du périndopril se présente sous la forme d’un sel. Le sel utilisé initialement était l’erbumine.

5        Le brevet EP0049658, relatif au principe actif du périndopril, a été déposé par une société du groupe Servier devant l’Office européen des brevets (OEB) le 29 septembre 1981. Ce brevet devait arriver à expiration le 29 septembre 2001, mais sa protection a été étendue dans plusieurs États membres, notamment au Royaume-Uni, jusqu’au 22 juin 2003. En France, la protection dudit brevet a été étendue jusqu’au 22 mars 2005 et, en Italie, jusqu’au 13 février 2009.

6        Le 16 septembre 1988, Servier a déposé devant l’OEB plusieurs brevets relatifs aux procédés de fabrication du principe actif du périndopril qui expiraient le 16 septembre 2008, à savoir les brevets EP0308339, EP0308340 (ci-après le « brevet 340 »), EP0308341 et EP0309324.

7        Le 6 juillet 2001, Servier a déposé auprès de l’OEB le brevet EP1296947 (ci-après le « brevet 947 »), relatif à la forme cristalline alpha du périndopril erbumine et à son procédé de fabrication, lequel a été délivré par l’OEB le 4 février 2004.

8        Le 6 juillet 2001, Servier a, en outre, déposé des demandes de brevets nationaux dans plusieurs États membres avant que ceux-ci ne soient parties à la convention sur la délivrance de brevets européens, signée à Munich le 5 octobre 1973 et entrée en vigueur le 7 octobre 1977. Servier a, par exemple, déposé des demandes de brevets correspondant au brevet 947 en Bulgarie (BG 107 532), en République tchèque (PV2003-357), en Estonie (P200300001), en Hongrie (HU225340), en Pologne (P348492) et en Slovaquie (PP0149-2003). Ces brevets ont été délivrés le 16 mai 2006 en Bulgarie, le 17 août 2006 en Hongrie, le 23 janvier 2007 en République tchèque, le 23 avril 2007 en Slovaquie et le 24 mars 2010 en Pologne.

B.      Le périndopril de Krka

9        À partir de l’année 2003, Krka, une société établie en Slovénie qui fabrique des médicaments génériques, s’est lancée dans le développement de médicaments à base du principe actif périndopril composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine, visée par le brevet 947 (ci-après le « périndopril de Krka »). Au cours des années 2005 et 2006, elle a obtenu plusieurs autorisations de mise sur le marché et a commencé à commercialiser ce médicament dans plusieurs États membres en Europe centrale et orientale, notamment en Hongrie et en Pologne. Au cours de cette période, elle a également préparé la mise sur le marché de ce médicament dans d’autres États membres, notamment en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.

C.      Les litiges relatifs au périndopril

10      Entre l’année 2003 et l’année 2009, plusieurs litiges ont opposé Servier à des fabricants s’apprêtant à commercialiser une version générique du périndopril.

1.      Les décisions de lOEB

11      Au cours de l’année 2004, dix fabricants de médicaments génériques, dont Niche Generics Ltd (ci-après « Niche »), Krka, Lupin Ltd et Norton Healthcare Ltd, filiale d’Ivax Europe, qui a fusionné ultérieurement avec Teva Pharmaceutical Industries Ltd, société faîtière du groupe Teva, spécialisé dans la fabrication de médicaments génériques, ont formé opposition contre le brevet 947 devant l’OEB, en vue d’obtenir sa révocation, en invoquant des motifs tirés du manque de nouveauté et d’activité inventive ainsi que du caractère insuffisant de l’exposé de l’invention.

12      Le 27 juillet 2006, la division d’opposition de l’OEB a confirmé la validité du brevet 947 (ci-après la « décision de l’OEB du 27 juillet 2006 »). Cette décision a été contestée devant la chambre de recours technique de l’OEB. Après avoir conclu un accord de règlement amiable avec Servier, Niche s’est désistée de la procédure d’opposition le 9 février 2005. Krka et Lupin se sont désistées de la procédure devant la chambre de recours technique de l’OEB, respectivement, le 11 janvier 2007 et le 5 février 2007.

13      Par une décision du 6 mai 2009, la chambre de recours technique de l’OEB a annulé la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et révoqué le brevet 947. La requête en révision déposée par Servier contre cette décision de la chambre de recours technique a été rejetée le 19 mars 2010.

2.      Les décisions des juridictions nationales

14      La validité du brevet 947 a été contestée devant certaines juridictions nationales par des fabricants de médicaments génériques et Servier a introduit des actions en contrefaçon ainsi que des demandes d’injonctions provisoires contre ces fabricants. La plupart de ces procédures ont été clôturées avant que les juridictions saisies n’aient pu statuer définitivement sur la validité du brevet 947 en raison d’accords de règlement amiable conclus, entre l’année 2005 et l’année 2007, par Servier avec Niche, Matrix, Teva, Krka et Lupin.

15      Au Royaume-Uni, seul le litige opposant Servier à Apotex Inc. a donné lieu à la constatation, par voie judiciaire, de l’invalidité du brevet 947. En effet, le 1er août 2006, Servier a saisi la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets), Royaume-Uni], d’une action en contrefaçon du brevet 947 contre Apotex, qui avait commencé à commercialiser une version générique du périndopril sur le marché du Royaume-Uni. Le 8 août 2006, Servier a obtenu le prononcé d’une injonction provisoire contre Apotex. Le 6 juillet 2007, à la suite d’une demande reconventionnelle d’Apotex, cette injonction provisoire a été levée et le brevet 947 a été invalidé, permettant ainsi à cette entreprise de mettre sur le marché au Royaume-Uni une version générique du périndopril. Le 9 mai 2008, la décision d’invalidation du brevet 947 a été confirmée en appel.

16      Aux Pays-Bas, le 13 novembre 2007, Katwijk Farma BV, une filiale d’Apotex, a saisi une juridiction de cet État membre d’une demande d’invalidation du brevet 947. Servier a saisi cette juridiction d’une demande d’injonction provisoire, laquelle a été rejetée le 30 janvier 2008. Ladite juridiction, par une décision du 11 juin 2008 dans une procédure introduite par Pharmachemie BV, une société du groupe Teva, a invalidé le brevet 947 pour les Pays-Bas. À la suite de cette décision, Servier et Katwijk Farma se sont désistées de leurs demandes.

17      Par ailleurs, plusieurs litiges opposant Servier à Krka au sujet du périndopril ont été portés devant des juridictions nationales.

18      En Hongrie, le 30 mai 2006, Servier a introduit une demande d’injonction provisoire tendant à interdire la commercialisation du périndopril de Krka, en raison de la violation du brevet 947. Cette demande a été rejetée au mois de septembre 2006.

19      Au Royaume-Uni, le 28 juillet 2006, Servier a saisi la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], d’une action en contrefaçon du brevet 340 contre Krka. Le 2 août 2006, Servier a saisi cette juridiction d’une action en contrefaçon du brevet 947 et d’une demande d’injonction provisoire contre Krka. Le 1er septembre 2006, Krka a introduit une première demande reconventionnelle tendant à l’invalidation du brevet 947, à laquelle était associée une demande de procédure sommaire (motion of summary judgment) et, le 8 septembre 2006, une seconde demande reconventionnelle tendant à l’invalidation du brevet 340. Le 3 octobre 2006, ladite juridiction a fait droit à la demande d’injonction provisoire de Servier et a rejeté la demande de procédure sommaire introduite par Krka le 1er septembre 2006 (ci-après la « décision de la High Court du 3 octobre 2006 »). Le 1er décembre 2006, l’instance s’est éteinte à la suite du règlement amiable intervenu entre les parties et cette injonction provisoire a été levée.

D.      Les accords Krka

20      Servier et Krka ont conclu trois accords (ci-après les « accords Krka »). Le 27 octobre 2006, elles ont conclu un accord de règlement amiable (ci-après l’« accord de règlement amiable Krka ») et un accord de licence, lequel a été complété par un avenant le 2 novembre 2006 (ci‑après l’« accord de licence Krka » et, ces deux accords pris ensemble, les « accords de règlement amiable et de licence Krka »). En outre, Servier et Krka ont conclu, le 5 janvier 2007, un accord de cession et de licence (ci-après l’« accord de cession et de licence Krka »).

21      L’accord de règlement amiable Krka visait le brevet 947 ainsi que les brevets nationaux équivalents. Par cet accord, dont le terme était fixé à l’expiration ou à la révocation des brevets 947 ou 340, Krka s’engageait à renoncer à toute prétention contre le brevet 947 dans le monde entier ainsi que contre le brevet 340 au Royaume-Uni et à ne contester aucun de ces deux brevets à l’avenir dans le monde entier. En outre, Krka et ses filiales n’étaient pas autorisées à lancer ou à commercialiser une version générique du périndopril violant le brevet 947 pendant la durée de validité de ce dernier et dans les pays où il était encore valable, sauf autorisation expresse de Servier. De même, Krka ne pouvait fournir à aucun tiers une version générique du périndopril violant le brevet 947, sans l’autorisation expresse de Servier. En contrepartie, Servier était tenue de se désister de ses actions contre Krka en contrefaçon des brevets 947 et 340, y compris ses demandes d’injonction provisoire en cours, dans le monde entier.

22      En vertu de l’accord de licence Krka, dont la durée correspondait à celle de la validité du brevet 947, Servier a concédé à Krka une licence exclusive et irrévocable sur ce brevet en vue d’utiliser, de fabriquer, de vendre, de proposer à la vente, de promouvoir et d’importer ses propres produits contenant la forme cristalline alpha de l’erbumine en République tchèque, en Lettonie, en Lituanie, en Hongrie, en Pologne, en Slovénie et en Slovaquie (ci-après les « marchés principaux de Krka »). En contrepartie, Krka était tenue, aux termes de l’article 3 de cet accord, de verser à Servier une redevance de 3 % du montant net de ses ventes sur l’ensemble de ces territoires. Servier était autorisée, dans ces mêmes États, à utiliser directement ou indirectement, c’est-à-dire pour une de ses filiales ou pour un seul tiers par pays, le brevet 947.

23      En vertu de l’accord de cession et de licence Krka, Krka a transféré deux demandes de brevets à Servier, l’une concernant un procédé de synthèse du périndopril (WO 2005 113500) et l’autre la préparation de formulations de périndopril (WO 2005 094793). La technologie protégée par ces demandes de brevets était utilisée pour la production du périndopril de Krka. Cette dernière s’est engagée à ne pas contester la validité des brevets qui seraient délivrés sur la base desdites demandes. En contrepartie de cette cession, Servier a versé à Krka la somme de 30 millions d’euros.

24      En outre, par cet accord, Servier a également concédé à Krka une licence non exclusive, irrévocable, non cessible et exempte de redevances, sans droit de concéder des sous-licences, hormis à ses filiales, sur les demandes ou les brevets qui en résultaient, cette licence n’étant pas limitée dans le temps, dans l’espace ou dans les usages pouvant en être faits.

II.    La décision litigieuse

25      Le 9 juillet 2014, la Commission a adopté la décision litigieuse.

26      À l’article 4 de cette décision, la Commission a constaté que Krka avait enfreint l’article 101 TFUE en participant aux accords Krka. En particulier, la Commission a souligné que ces accords avaient constitué une infraction unique et continue couvrant tous les États qui étaient membres de l’Union européenne à la date des faits, à l’exception de ceux constituant les marchés principaux de Krka ; que cette infraction avait commencé le 27 octobre 2006, sauf en ce qui concerne la Bulgarie et la Roumanie, où elle avait commencé le 1er janvier 2007, Malte, où elle avait commencé le 1er mars 2007, et l’Italie, où elle avait commencé le 13 février 2009 ; et que ladite infraction avait pris fin le 6 mai 2009, sauf en ce qui concerne le Royaume-Uni, où elle avait pris fin le 6 juillet 2007, et les Pays-Bas, où elle avait pris fin le 12 décembre 2007.

27      À l’article 7, paragraphe 4, sous a), de la décision litigieuse, la Commission a infligé à Krka une amende d’un montant de dix millions d’euros. À l’article 8 de cette décision, la Commission a enjoint aux entreprises visées par les articles 1er à 6 de ladite décision, dont Krka, de s’abstenir de renouveler l’infraction sanctionnée et de tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire. À l’article 9 de la même décision, la Commission a visé Krka parmi les destinataires de cette décision.

III. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

28      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 septembre 2014, Krka a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

29      Dans son recours en première instance, Krka soulevait six moyens à l’appui de ses conclusions tendant à l’annulation de la décision litigieuse. Le Tribunal a accueilli les troisième et quatrième moyens, par lesquels Krka contestait la qualification de restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, des accords Krka, ainsi que le cinquième moyen, par lequel elle contestait la qualification de restriction de la concurrence par effet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de ces accords. En conséquence, le Tribunal a annulé l’article 4 de cette décision, en tant qu’il constate la participation de Krka aux accords visés à cet article, l’article 7, paragraphe 4, sous a), imposant une amende à Krka, ainsi que les articles 8 et 9, en tant qu’ils concernent Krka.

IV.    La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

30      Par acte déposé au greffe de la Cour le 22 février 2019, la Commission a introduit le présent pourvoi.

31      Par acte déposé au greffe de la Cour le 5 juin 2019, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la Commission. Par décision du 8 juillet 2019, le président de la Cour a fait droit à cette demande.

32      La Cour a invité les parties à présenter leurs observations écrites pour le 4 octobre 2021 sur les arrêts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52), du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission (C‑591/16 P, EU:C:2021:243), du 25 mars 2021, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission (C‑586/16 P, EU:C:2021:241), du 25 mars 2021, Generics (UK)/Commission (C‑588/16 P, EU:C:2021:242), du 25 mars 2021, Arrow Group et Arrow Generics/Commission (C‑601/16 P, EU:C:2021:244), et du 25 mars 2021, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission (C‑611/16 P, EU:C:2021:245). Les parties ont déféré à cette demande dans le délai imparti.

33      Par son pourvoi, la Commission demande à la Cour :

–        d’annuler les points 1 à 4 du dispositif de l’arrêt attaqué ;

–        de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

–        de condamner Krka aux dépens.

34      Krka demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi dans son intégralité et

–        de condamner la Commission aux dépens.

35      Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a renoncé à déposer un mémoire en intervention.

V.      Sur la demande de réouverture de la phase orale de la procédure

36      Par acte déposé au greffe de la Cour le 7 septembre 2022, Krka a demandé la réouverture de la phase orale de la procédure. À l’appui de cette demande, Krka invoque la nécessité de répondre aux conclusions de Mme l’avocate générale dans l’affaire Commission/Servier e.a. (C‑176/19 P, EU:C:2022:576), en raison de liens de connexité qui existent entre cette affaire et le présent pourvoi. À cet égard, Krka fait essentiellement valoir que ces conclusions, bien que directement pertinentes aux fins de la présente affaire, ont été présentées sans que Mme l’avocate générale ait pris position sur l’argumentation et les preuves avancées par Krka dans le cadre de la présente affaire.

37      Selon Krka, ces preuves démontrent l’absence d’un accord de partage de marché. Premièrement, l’accord de règlement amiable Krka n’aurait nullement empêché Krka de développer un périndopril autre que celui composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947. Deuxièmement, Krka aurait développé et lancé, sur des marchés dans lesquels Servier disposait d’un brevet, une version générique du périndopril non contrefaisante du brevet 947. Troisièmement, l’exclusion de Krka des marchés autres que ceux couverts par l’accord de licence Krka serait la conséquence non pas d’un accord de partage de marché, mais de la protection découlant de ce brevet. Quatrièmement, Krka ne disposant d’autorisations de mise sur le marché que pour son propre périndopril, elle n’aurait pu entrer sur les marchés dans lesquels Servier bénéficiait de la protection dudit brevet. Cinquièmement, Krka aurait reconnu la validité du même brevet et, en conséquence, décidé de transiger avec Servier. Partant, si la présente affaire avait été jugée avec le bénéfice de conclusions, l’avocat général désigné n’aurait pas manqué de confirmer la solution adoptée par le Tribunal dans l’arrêt attaqué.

38      À cet égard, il y a lieu de relever que le statut de la Cour de justice de l’Union européenne et le règlement de procédure de la Cour ne prévoient pas la possibilité pour les parties de déposer des observations en réponse aux conclusions présentées par l’avocat général (arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 37 ainsi que jurisprudence citée).

39      Certes, la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure, conformément à l’article 83 de son règlement de procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou encore lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties.

40      En l’espèce, la Cour, l’avocate générale entendue, constate que la demande de réouverture de la phase orale de la procédure présentée par Krka vise exclusivement à répondre aux conclusions de Mme l’avocate générale dans l’affaire Commission/Servier e.a. (C‑176/19 P, EU:C:2022:576), sans invoquer d’éléments sur lesquels les parties n’auraient pas été en mesure de débattre lors des phases écrite et orale de la procédure dans le cadre de la présente affaire. La Cour disposant, au terme des phases écrite et orale de la procédure, de tous les éléments nécessaires, elle est donc suffisamment éclairée pour statuer sur le présent pourvoi, la présente affaire ne nécessitant pas d’être tranchée sur la base d’arguments qui n’auraient pas été débattus entre les parties.

41      Au vu de ce qui précède, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de réouverture de la phase orale de la procédure.

VI.    Sur le pourvoi

42      Au soutien de son pourvoi, la Commission soulève sept moyens. Par ses premier à sixième moyens, la Commission fait valoir que le Tribunal a commis des erreurs de droit lorsqu’il a considéré que les accords Krka ne constituaient pas une restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Par son septième moyen, la Commission soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a considéré que la Commission n’avait pas établi que ces accords constituaient une restriction de la concurrence par effet.

A.      Sur les premier à sixième moyens, relatifs à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE

43      Le premier moyen est dirigé contre l’appréciation, par le Tribunal, de la concurrence potentielle exercée par Krka. Les deuxième et troisième moyens se rapportent à l’existence d’un accord de partage de marché entre Servier et Krka. Le quatrième moyen vise l’appréciation, par le Tribunal, de l’intention de ces entreprises. Le cinquième moyen concerne la prise en compte des effets proconcurrentiels de l’accord de licence Krka. Le sixième moyen est dirigé contre la qualification de restriction de la concurrence par objet de l’accord de cession et de licence Krka.

1.      Les points pertinents de la décision litigieuse et de larrêt attaqué 

a)      La décision litigieuse

44      Aux considérants 1670 à 1859 de la décision litigieuse, la Commission a procédé à l’appréciation des accords Krka au regard de l’article 101 TFUE. Pour les raisons exposées aux considérants 1670 à 1812 de cette décision, elle a considéré que ces accords constituaient une infraction unique et continue qui avait pour objet de restreindre la concurrence en partageant les marchés du périndopril dans l’Union entre ces deux entreprises.

45      D’une part, il ressort des considérants 1701 à 1763 de la décision litigieuse que les accords de règlement amiable et de licence Krka avaient pour objet le partage et l’allocation des marchés de l’Union entre Servier et Krka. L’accord de licence autorisait Krka à continuer ou à commencer de commercialiser une version générique du périndopril dans le cadre d’un duopole de fait avec Servier dans les marchés principaux de Krka. Cette autorisation constituait la contrepartie de l’engagement de Krka, au titre de l’accord de règlement amiable Krka, de s’abstenir de faire concurrence à Servier dans les autres marchés nationaux sur le territoire de l’Union, lesquels constituent les marchés principaux de cette entreprise (ci-après les « marchés principaux de Servier »). La Commission a donc considéré que ledit accord de licence constituait l’incitation offerte par Servier pour que Krka accepte les restrictions convenues dans l’accord de règlement amiable Krka.

46      D’autre part, la Commission a constaté, aux considérants 1764 à 1810 de la décision litigieuse, que l’accord de cession et de licence Krka avait permis de renforcer la position concurrentielle des parties, telle qu’elle résultait des accords de règlement amiable et de licence Krka, en empêchant Krka de céder sa technologie pour la production de périndopril à d’autres fabricants de médicaments génériques qui auraient alors pu l’utiliser pour commercialiser des versions génériques de ce médicament sur les marchés principaux de Servier. Le versement par Servier à Krka de la somme de 30 millions d’euros étant sans lien avec les revenus que Servier pouvait réaliser ou attendre de l’exploitation commerciale de la technologie ainsi cédée par Krka, le paiement de cette somme a été analysé par la Commission comme un partage de la rente résultant du renforcement de la répartition des marchés entre Servier et Krka.

b)      Larrêt attaqué

47      Le Tribunal a exposé, en premier lieu, aux points 134 à 153 de l’arrêt attaqué, les conditions dans lesquelles l’insertion, dans des accords de règlement amiable de litiges de brevets, de clauses de non-contestation de brevets et de non-commercialisation de produits génériques est anticoncurrentielle. Selon le Tribunal, une telle insertion est anticoncurrentielle si elle est fondée non pas sur la reconnaissance par les parties de la validité du brevet et du caractère contrefaisant des produits génériques concernés, mais sur un paiement inversé significatif et non justifié de la part du titulaire du brevet en faveur du fabricant de médicaments génériques, qui incite celui-ci à se soumettre auxdites clauses. Le Tribunal a constaté, au point 150 de l’arrêt attaqué, que, en présence d’une telle incitation, des accords de cette nature doivent être regardés comme des accords d’exclusion du marché par lesquels les restants indemnisent les sortants.

48      En deuxième lieu, le Tribunal a exposé, aux points 164 à 177 de l’arrêt attaqué, que, lorsqu’un accord commercial usuel est associé à un accord de règlement amiable d’un litige de brevet comportant des clauses de non-commercialisation et de non-contestation, un tel montage contractuel doit être qualifié d’anticoncurrentiel si la valeur transférée par le titulaire du brevet au fabricant de médicaments génériques au titre de l’accord commercial excède la valeur du bien cédé par ce dernier au titre de cet accord. En d’autres termes, un tel montage contractuel doit être qualifié d’anticoncurrentiel si l’accord commercial usuel associé à l’accord de règlement amiable sert en réalité à masquer un transfert de valeur du titulaire du brevet vers le fabricant de médicaments génériques, qui n’a d’autre contrepartie que l’engagement de ce dernier à ne pas livrer concurrence.

49      En troisième lieu, le Tribunal s’est prononcé, aux points 179 à 268 de l’arrêt attaqué, sur le cas de figure particulier de l’association d’un accord de règlement amiable et d’un accord de licence, telle que celle résultant des accords de règlement amiable et de licence Krka. Il a estimé que, dans un tel cas de figure, les considérations applicables à l’association d’un accord de règlement amiable et d’un accord commercial usuel, résumées au point précédent du présent arrêt, ne sont pas valables. Il ressort des points 179 à 183 de l’arrêt attaqué que l’association d’un accord de règlement amiable à un accord de licence constituerait un moyen approprié de mettre fin au litige en permettant l’entrée de la société de génériques sur le marché et en faisant droit aux prétentions des deux parties. En outre, la présence, dans un accord de règlement amiable, de clauses de non-commercialisation et de non-contestation serait légitime lorsque cet accord se fonde sur la reconnaissance par les parties de la validité du brevet. Or, un accord de licence, qui n’aurait de sens que lorsque la licence est effectivement exploitée, serait précisément fondé sur la reconnaissance par les parties de la validité du brevet.

50      Le Tribunal, aux points 184 et 188 de l’arrêt attaqué, a considéré que, pour établir que l’association d’un accord de règlement amiable et d’un accord de licence masque en réalité un paiement inversé du titulaire du brevet en faveur du fabricant de médicaments génériques, la Commission doit démontrer que la redevance versée au titulaire du brevet, au titre de cet accord de licence, par ce fabricant est anormalement basse.

51      Le Tribunal a, en substance, exposé, aux points 189 à 192 de l’arrêt attaqué, que le niveau anormalement bas de cette redevance doit ressortir avec d’autant plus d’évidence afin de qualifier un accord de règlement amiable de restriction de la concurrence par objet, que le caractère anticoncurrentiel des clauses de non-commercialisation et de non-contestation que comporte cet accord est atténué par l’effet proconcurrentiel de l’accord de licence, qui favoriserait l’entrée du fabricant de médicaments génériques sur le marché.

52      Le Tribunal en a conclu, au point 199 de l’arrêt attaqué, que, « en présence d’un véritable litige opposant les parties concernées en justice et d’un accord de licence qui apparaît en lien direct avec le règlement amiable de ce litige, l’association de cet accord à l’accord de règlement amiable ne constitue pas un indice sérieux de l’existence d’un paiement inversé. Dans une telle hypothèse, c’est donc sur la base d’autres indices que la Commission peut démontrer que l’accord de licence ne constitue pas une transaction conclue aux conditions normales de marché et masque ainsi un paiement inversé ».

53      C’est à la lumière de ces éléments que le Tribunal a examiné, aux points 200 à 267 de l’arrêt attaqué, les accords de règlement amiable et de licence Krka, et est parvenu, au point 268 de cet arrêt, à la conclusion que ces accords ne révélaient pas « un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour que la Commission ait pu considérer à bon droit qu’ils étaient constitutifs d’une restriction [de la concurrence] par objet ».

2.      Considérations liminaires relatives à lexamen au fond des premier à sixième moyens

54      Avant d’examiner le bien-fondé des moyens relatifs à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, il importe de souligner que, à la différence des circonstances à l’origine des affaires dans lesquelles la Cour a été appelée à statuer sur la qualification juridique, au regard de l’article 101 TFUE, d’accords en vertu desquels un fabricant de médicaments princeps a compensé économiquement un fabricant de médicaments génériques en contrepartie de la renonciation de ce dernier à entrer sur le marché, notamment les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52), et du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission (C‑591/16 P, EU:C:2021:243), et contrairement aux autres accords conclus par Servier ayant fait l’objet de la décision litigieuse, les accords de règlement amiable et de licence Krka ne prévoyaient aucun paiement de la part du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de médicaments génériques. Au contraire, l’accord de licence Krka prévoyait des paiements du second au bénéfice du premier.

55      En revanche, selon les considérants 1731 à 1749 de la décision litigieuse, les accords de règlement amiable et de licence Krka auraient permis à Servier de retarder l’entrée sur le marché de médicaments génériques produits par Krka. Sur le territoire de l’Union, ces deux entreprises se seraient partagé les marchés nationaux en deux sphères d’influence, comprenant pour chacune d’elles leurs marchés principaux, à l’intérieur desquelles elles pouvaient exercer leurs activités dans l’assurance, s’agissant de Servier, de ne pas subir, de la part de Krka, de pressions concurrentielles excédant les limites résultant de ces accords et, s’agissant de Krka, de ne pas courir le risque d’être poursuivie pour contrefaçon par Servier.

56      S’il ressort donc des éléments issus de la décision litigieuse que Servier n’a pas effectué de paiement inversé en tant que tel en faveur de Krka dans le cadre de l’accord de règlement amiable Krka, il en ressort également, selon la Commission, que ces entreprises se sont réparti géographiquement les différents marchés nationaux à l’intérieur de l’Union. Il sera donc nécessaire de prendre ces circonstances en considération afin de statuer, notamment, sur les deuxième et troisième moyens, et d’apprécier si, et le cas échéant dans quelle mesure, est fondée l’argumentation de la Commission visant à remettre en cause les critères juridiques sur la base desquels le Tribunal a accueilli les moyens de première instance invoqués par Krka pour contester la qualification des accords de règlement amiable et de licence Krka de restriction de la concurrence par objet.

57      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur.

58      Ainsi, pour tomber sous l’interdiction de principe prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, un comportement d’entreprises doit révéler l’existence d’une collusion entre elles, à savoir un accord entre entreprises, une décision d’association d’entreprises ou une pratique concertée [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 31 ainsi que jurisprudence citée].

59      Cette dernière exigence suppose, s’agissant d’accords de coopération horizontale conclus entre des entreprises opérant à un même niveau de la chaîne de production ou de distribution, que ladite collusion intervienne entre des entreprises se trouvant en situation de concurrence si ce n’est actuelle du moins potentielle [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 32].

60      En outre, il est nécessaire, conformément aux termes mêmes de cette disposition, de démontrer soit que ce comportement a pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence, soit que ce comportement a un tel effet (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 158). Il en découle que cette disposition, telle qu’interprétée par la Cour, procède à une distinction nette entre la notion de restriction par objet et celle de restriction par effet, chacune étant soumise à un régime probatoire différent [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 63].

61      Ainsi, s’agissant des pratiques qualifiées de restrictions de la concurrence par objet, il n’y a pas lieu d’en rechercher ni a fortiori d’en démontrer les effets sur la concurrence, dans la mesure où l’expérience montre que de tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs (voir, en ce sens, arrêts du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 115, ainsi que du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 159).

62      En revanche, lorsque l’objet anticoncurrentiel d’un accord, d’une décision d’une association d’entreprises ou d’une pratique concertée n’est pas établi, il convient d’en examiner les effets afin de rapporter la preuve que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint, soit faussé de façon sensible (voir, en ce sens, arrêt du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C‑345/14, EU:C:2015:784, point 17).

63      Cette distinction tient à la circonstance que certaines formes de collusion entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (arrêts du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C‑209/07, EU:C:2008:643, point 17, et du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C‑32/11, EU:C:2013:160, point 35). La notion de restriction de la concurrence par objet doit être interprétée de manière stricte et ne peut être appliquée qu’à certains accords entre entreprises révélant, en eux-mêmes et compte tenu de la teneur de leurs dispositions, des objectifs qu’ils visent ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel ils s’insèrent, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire (voir, en ce sens, arrêts du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C‑345/14, EU:C:2015:784, point 20, ainsi que du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, points 161 et 162 ainsi que jurisprudence citée).

64      La Cour a déjà jugé que des accords portant sur la répartition des marchés constituent des violations particulièrement graves de la concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 2013, Gosselin Group/Commission, C‑429/11 P, EU:C:2013:463, point 50 ; du 5 décembre 2013, Solvay Solexis/Commission, C‑449/11 P, EU:C:2013:802, point 82, ainsi que du 4 septembre 2014, YKK e.a./Commission, C‑408/12 P, EU:C:2014:2153, point 26). La Cour a considéré, en outre, que des accords de cette nature ont un objet restrictif de la concurrence en eux-mêmes et relèvent d’une catégorie d’accords expressément interdite par l’article 101, paragraphe 1, TFUE, un tel objet ne pouvant être justifié au moyen d’une analyse du contexte économique dans lequel le comportement anticoncurrentiel en cause s’inscrit (arrêt du 19 décembre 2013, Siemens e.a./Commission, C‑239/11 P, C‑489/11 P et C‑498/11 P, EU:C:2013:866, point 218).

65      S’agissant de telles catégories d’accords, c’est donc uniquement en application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE et pour autant que l’ensemble des conditions prévues par cette disposition soient respectées qu’ils peuvent se voir octroyer le bénéfice d’une exemption de l’interdiction énoncée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C‑209/07, EU:C:2008:643, point 21, ainsi que du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 187).

66      La mise en œuvre des principes qui viennent d’être rappelés à l’égard de pratiques collusoires prenant la forme d’accords de coopération horizontale entre entreprises, tels que les accords Krka, implique de déterminer, dans un premier stade, si ces pratiques peuvent être qualifiées de restriction de la concurrence par des entreprises se trouvant dans une situation de concurrence, ne serait-ce que potentielle. Si tel est le cas, il y a lieu de vérifier, dans un second stade, si, eu égard à leurs caractéristiques économiques, lesdites pratiques relèvent de la qualification de restriction de la concurrence par objet.

67      S’agissant du premier stade de cette analyse, la Cour a déjà jugé que, dans le contexte spécifique de l’ouverture du marché d’un médicament aux fabricants de médicaments génériques, il convient de déterminer, afin d’apprécier si l’un de ces fabricants, bien qu’absent d’un marché, se trouve dans un rapport de concurrence potentielle avec un fabricant de médicaments princeps présent sur ce marché, s’il existe des possibilités réelles et concrètes que le premier intègre ledit marché et concurrence le second [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 36 ainsi que jurisprudence citée].

68      Ainsi, il y a lieu d’apprécier, premièrement, si, à la date de conclusion de tels accords, le fabricant de médicaments génériques avait effectué des démarches préparatoires suffisantes lui permettant d’accéder au marché concerné dans un délai à même de faire peser une pression concurrentielle sur le fabricant de médicaments princeps. De telles démarches permettent d’établir l’existence de la détermination ferme ainsi que de la capacité propre d’un fabricant de médicaments génériques d’accéder au marché d’un médicament contenant un principe actif tombé dans le domaine public, même en présence de brevets de procédé détenus par le fabricant de médicaments princeps. Deuxièmement, il doit être vérifié que l’entrée sur le marché d’un tel fabricant de médicaments génériques ne se heurte pas à des barrières à l’entrée présentant un caractère insurmontable [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 43 à 45].

69      La Cour a déjà jugé que d’éventuels brevets protégeant un médicament princeps ou l’un de ses procédés de fabrication font incontestablement partie du contexte économique et juridique caractérisant les rapports de concurrence entre les titulaires de ces brevets et les fabricants de médicaments génériques. Toutefois, l’appréciation des droits conférés par un brevet ne doit pas consister en un examen de la force du brevet ou de la probabilité avec laquelle un litige entre son titulaire et un fabricant de médicaments génériques pourrait aboutir au constat que le brevet est valide et contrefait. Cette appréciation doit davantage porter sur la question de savoir si, malgré l’existence de ce brevet, le fabricant de médicaments génériques dispose de possibilités réelles et concrètes d’intégrer le marché au moment pertinent [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 50].

70      Par ailleurs, le constat d’une concurrence potentielle entre un fabricant de médicaments génériques et un fabricant de médicaments princeps peut être corroboré par des éléments supplémentaires, tels que la conclusion d’un accord entre eux lorsque le fabricant de médicaments génériques n’était pas présent sur le marché concerné, ou l’existence de transferts de valeur au profit de ce fabricant en contrepartie du report de son entrée sur le marché [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 54 à 56].

71      Dans un second stade de ladite analyse, afin de déterminer si un report de l’entrée sur le marché de médicaments génériques, résultant d’un accord de règlement amiable de litige en matière de brevets, en contrepartie de transferts de valeur du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de ces médicaments génériques doit être considéré comme étant une pratique collusoire constitutive d’une restriction de la concurrence par objet, il y a lieu d’examiner d’abord si ces transferts de valeur peuvent se justifier de manière intégrale par la nécessité de compenser des frais ou des désagréments liés à ce litige, tels que les frais et honoraires des conseils de ce dernier fabricant, ou par celle de rémunérer la fourniture effective et avérée de biens ou de services de celui-ci au fabricant du médicament princeps. Si tel n’est pas le cas, il importe de vérifier si ces transferts de valeur s’expliquent uniquement par l’intérêt commercial de ces fabricants de médicaments à ne pas se livrer une concurrence par les mérites. Aux fins de cet examen, il convient, dans chaque cas d’espèce, d’apprécier si le solde positif net des transferts de valeur était suffisamment important pour inciter effectivement le fabricant de médicaments génériques à renoncer à entrer sur le marché concerné et, partant, à ne pas concurrencer par ses mérites le fabricant de médicaments princeps, sans qu’il soit requis que ce solde positif net soit nécessairement supérieur aux bénéfices que ce fabricant de médicaments génériques aurait réalisés s’il avait obtenu gain de cause dans la procédure en matière de brevets [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 84 à 94].

72      À cet égard, il y a lieu de rappeler que la contestation de la validité et de la portée d’un brevet fait partie du jeu normal de la concurrence dans les secteurs dans lesquels existent des droits d’exclusivité sur des technologies, de sorte que des accords de règlement amiable par lesquels un fabricant de médicaments génériques candidat à l’entrée sur un marché reconnaît, au moins temporairement, la validité d’un brevet détenu par un fabricant de médicaments princeps et s’engage, de ce fait, à ne pas le contester pas plus qu’à entrer sur ce marché sont susceptibles de restreindre la concurrence [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 81 et jurisprudence citée].

73      Eu égard aux éléments qui précèdent, il incombait au Tribunal d’appliquer les critères exposés aux points 71 et 72 du présent arrêt afin de statuer sur la partie de l’argumentation de Krka invoquée en particulier dans le cadre du troisième moyen de première instance, relative à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet et ainsi de déterminer si la Commission avait valablement pu, dans la décision litigieuse, constater l’existence d’une telle restriction.

74      Ainsi, une fois établie l’existence des éléments relatifs à la concurrence potentielle, qui font l’objet du premier moyen du pourvoi, il incombait au Tribunal, dans ce second stade, de vérifier si les accords de règlement amiable et de licence Krka constituaient un accord de partage de marché qui restreignait la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, catégorie d’accords expressément interdite par cette disposition. Il lui appartenait d’examiner, dans ce contexte, les objectifs de ces accords ainsi que le lien économique qui existait entre eux, selon la décision litigieuse, et, plus particulièrement, la question de savoir si le transfert de valeur par Servier au bénéfice de Krka au moyen de l’accord de licence Krka était suffisamment important pour inciter Krka à procéder à une répartition des marchés avec Servier, en renonçant, ne serait-ce que temporairement, à entrer sur les marchés principaux de Servier en contrepartie de l’assurance de pouvoir commercialiser sa version générique du périndopril sur ses propres marchés principaux sans encourir le risque de faire l’objet d’actions en contrefaçon de la part de Servier.

75      En outre, le Tribunal devait prendre en considération les intentions des entreprises impliquées pour vérifier si, au vu des éléments visés au point précédent, ces intentions correspondaient à son analyse des buts objectifs que lesdites entreprises visaient à atteindre à l’égard de la concurrence, étant cependant précisé que, conformément à la jurisprudence de la Cour, la circonstance que ces mêmes entreprises ont agi sans avoir l’intention d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence et le fait qu’elles ont poursuivi certains objectifs légitimes ne sont pas déterminants aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 167 et jurisprudence citée).

3.      Sur le premier moyen

76      Par son premier moyen, qui se subdivise en cinq branches, la Commission reproche au Tribunal d’avoir considéré que Krka ne représentait plus une source de pression concurrentielle sur Servier au moment de la conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka.

a)      Sur les première et deuxième branches

1)      Argumentation des parties

77      Par la première branche de son premier moyen, dirigée contre les points 262 et 400 de l’arrêt attaqué, la Commission reproche au Tribunal d’avoir considéré que le fait que Krka a continué d’exercer une pression concurrentielle sur Servier après la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 pouvait s’expliquer par le désir de Krka de renforcer sa position dans les négociations avec Servier en vue de la conclusion de l’accord de règlement amiable Krka. Le Tribunal aurait semblé estimer que Krka n’était plus un concurrent potentiel de Servier, sans appliquer le critère juridique approprié, à savoir celui consistant à examiner si Krka disposait de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur les marchés principaux de Servier. En outre, le Tribunal se serait fondé sur un élément subjectif – le désir de Krka de renforcer sa position dans les négociations avec Servier – et dépourvu de pertinence pour évaluer cette concurrence potentielle. Par ailleurs, le Tribunal aurait substitué sa propre évaluation à celle de la Commission en jugeant que Krka n’avait continué d’exercer une pression concurrentielle sur Servier après cette décision de l’OEB qu’aux fins de renforcer sa position dans la négociation avec cette entreprise, sans expliquer les raisons pour lesquelles Krka n’aurait pas été en mesure, en l’absence des accords en cause, d’entrer sur le marché.

78      Par la deuxième branche de son premier moyen, la Commission soutient que les constatations opérées par le Tribunal, aux points 206, 243, 264 et 392 de l’arrêt attaqué, à l’égard de la reconnaissance par Krka de la validité du brevet 947 et de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 ont été faites en violation des règles relatives à l’administration de la preuve. En omettant de statuer sur le deuxième moyen de première instance de Krka, tiré de l’absence de concurrence potentielle, le Tribunal n’aurait pas pris en compte toutes les preuves pertinentes et aurait méconnu la portée du contrôle de légalité qu’il lui appartient d’opérer au titre de l’article 263 TFUE à l’égard des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE.

79      Krka soutient que la première branche procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué. Contrairement à ce que prétend la Commission, les points 262 et 400 de cet arrêt n’abordent pas le sujet de la concurrence potentielle exercée par Krka sur Servier. En outre, il résulterait clairement des points 48 et 49 dudit arrêt que le Tribunal n’a pas entendu répondre au deuxième moyen de première instance relatif à la concurrence potentielle. En tout état de cause, les preuves contemporaines de la date de conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka confirmeraient que Krka et Servier n’étaient, à cette date, ni des concurrents actuels ni des concurrents potentiels.

80      Quant à la deuxième branche, Krka soutient que, sous couvert d’invoquer l’application d’un critère juridique erroné pour apprécier l’existence de la concurrence potentielle, la Commission cherche à remettre en cause les appréciations factuelles du Tribunal selon lesquelles Servier et Krka avaient des raisons objectives de croire que le brevet 947 était valide. L’affirmation selon laquelle le Tribunal était tenu d’examiner les éléments de preuve et le raisonnement de la Commission relatifs à la concurrence potentielle serait dépourvue de fondement, conformément à la jurisprudence de la Cour. Après avoir accueilli les moyens relatifs à l’absence de restriction de la concurrence par objet et par effet, le Tribunal n’était pas tenu de statuer sur le moyen tiré de l’absence de concurrence potentielle.

2)      Appréciation de la Cour

81      Krka soutient, en substance, que la deuxième branche du premier moyen est irrecevable car l’argumentation de la Commission viserait à demander à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation des faits.

82      À cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort de l’article 256, paragraphe 1, TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le pourvoi est limité aux questions de droit et que le Tribunal est, dès lors, seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que les éléments de preuve. L’appréciation des faits et des éléments de preuve ne constitue pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi. Une telle dénaturation doit ressortir de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 10 juillet 2019, VG/Commission, C‑19/18 P, EU:C:2019:578, point 47 et jurisprudence citée).

83      En revanche, lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié des faits, la Cour est compétente pour exercer son contrôle, dès lors que le Tribunal a qualifié leur nature juridique et en a fait découler des conséquences en droit. Le pouvoir de contrôle de la Cour s’étend, notamment, à la question de savoir si le Tribunal a appliqué des critères juridiques corrects lors de son appréciation des faits (voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021, Commission/Italie e.a., C‑425/19 P, EU:C:2021:154, point 53 ainsi que jurisprudence citée).

84      En l’occurrence, par la deuxième branche de son premier moyen, la Commission soutient que le Tribunal a omis, d’une part, de se prononcer sur les griefs relatifs à la concurrence potentielle développés dans le cadre notamment du deuxième moyen du recours en première instance et, d’autre part, d’analyser le raisonnement et l’ensemble des preuves relatives à la concurrence potentielle figurant aux considérants 1686 à 1690 de la décision litigieuse, enfreignant de ce fait les règles régissant l’administration de la preuve et la portée du contrôle juridictionnel. Contrairement à ce que soutient Krka, cette argumentation porte sur des questions de droit et relève donc de la compétence de la Cour dans le cadre d’un pourvoi, conformément à la jurisprudence citée aux points 82 et 83 du présent arrêt.

85      Sur le fond, par les deux premières branches de son premier moyen, la Commission fait valoir, en substance, que le Tribunal a, dans le cadre de son analyse de la qualification des accords Krka au regard de la notion de restriction de la concurrence par objet, pris en considération la prétendue reconnaissance par Krka de la validité du brevet 947, sur le fondement, notamment, d’un critère juridique erroné, d’une appréciation partielle des éléments de preuve figurant dans la décision litigieuse ainsi que d’un élément subjectif dépourvu de pertinence, et, en agissant ainsi, a méconnu la portée du contrôle de légalité qui lui incombait d’effectuer à l’égard de cette décision. La Commission soutient, en particulier, que le Tribunal ne pouvait pas se prononcer sur la prétendue reconnaissance par Krka de la validité du brevet 947 sans examiner les preuves mentionnées dans la décision litigieuse dont il ressort que Krka était un concurrent potentiel de Servier. Selon cette institution, ces preuves démontrent que Krka, qui avait à la fois la détermination ferme et la capacité propre d’entrer sur le marché du périndopril, était un concurrent potentiel de Servier.

86      En premier lieu, il importe de rejeter l’allégation de Krka selon laquelle l’argumentation de la Commission développée dans le cadre de la première branche du premier moyen repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué.

87      En effet, le Tribunal a constaté, tout d’abord, au point 206 de l’arrêt attaqué, qu’il existait au moment de la conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka « des indices concordants pouvant laisser penser aux parties que le brevet 947 était valide » et, ensuite, au point 207 de cet arrêt, que la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 confirmant la validité du brevet 947 avait donc été « [l’]un des éléments déclencheurs aboutissant aux accords de règlement amiable et de licence ». Il en a déduit, enfin, au point 208 dudit arrêt que « l’association de ces deux accords était justifiée et ne constitu[ait] donc pas un indice sérieux d’un paiement inversé de Servier vers Krka auquel [aurait donné] lieu l’accord de licence ».

88      De même, le Tribunal a jugé, au point 262 de l’arrêt attaqué, que la circonstance que Krka avait continué à contester les brevets de Servier et à commercialiser son produit alors même que la validité du brevet 947 avait été confirmée par la division d’opposition de l’OEB ne constituait pas un élément déterminant aux fins de constater l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, un tel maintien par Krka de la pression concurrentielle exercée sur Servier pouvant s’expliquer par son désir, malgré les risques contentieux qu’elle anticipait, de renforcer sa position dans les négociations qu’elle était susceptible d’engager avec Servier en vue de parvenir à un accord de règlement amiable.

89      Or, ce raisonnement n’est compréhensible que si l’on considère que le Tribunal a nécessairement jugé que, après que l’OEB avait confirmé la validité du brevet 947, le périndopril de Krka, composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par ce brevet, ne pouvait plus concurrencer celui de Servier, mettant ainsi fin à toute concurrence potentielle entre ces entreprises. Dans cette perspective, l’accord de règlement amiable Krka, par lequel cette entreprise a renoncé à entrer sur les marchés de Servier, ne ferait que refléter les droits issus de ce brevet et ne pourrait donc pas être perçu comme étant la véritable contrepartie de l’octroi, par Servier, d’une licence dudit brevet sur les marchés principaux de Krka. Or, le Tribunal a explicitement indiqué aux points 471 et 472 de l’arrêt attaqué qu’il y avait lieu de conclure, « sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du recours, que c’est à tort que la Commission a constaté l’existence d’une infraction au titre de l’article 101, paragraphe 1, TFUE s’agissant des accords conclus entre Servier et Krka » et, par conséquent, d’annuler l’article 4 de la décision litigieuse. Il résulte ainsi de ces motifs, lus à la lumière des points 48 et 49 de cet arrêt, que le Tribunal a porté ces appréciations sans statuer sur le deuxième moyen du recours en première instance de Krka pris de l’absence de concurrence potentielle. Toutefois, il ressort des motifs ayant conduit à l’annulation de cette décision que le Tribunal a, en réalité, examiné certains griefs relevant de ce moyen ainsi que plusieurs considérants de ladite décision qui se rapportent à la question de la concurrence potentielle entre Krka et Servier.

90      En effet, il ressort des appréciations opérées, notamment, aux points 179 à 268 et 378 à 471 de l’arrêt attaqué que le Tribunal s’est fondé de manière décisive sur la prétendue reconnaissance, par Krka, de la validité du brevet 947 à la suite de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et de celle de la High Court du 3 octobre 2006, en ce qui concerne la qualification des accords Krka tant de restriction de la concurrence par objet que de restriction de la concurrence par effet. Le Tribunal ayant considéré que la possibilité pour Krka d’entrer sur les marchés principaux de Servier pour concurrencer cette dernière dépendait essentiellement de la question de savoir si, à la date des accords Krka, Krka reconnaissait la validité du brevet 947, et la qualité de Krka en tant que concurrent potentiel de Servier résultant de la possibilité pour Krka d’entrer sur ces marchés, il y a lieu de considérer qu’il existe un lien étroit entre cette prétendue reconnaissance et la qualité de Krka en tant que concurrent potentiel de Servier.

91      Dans ces conditions, contrairement à ce que prétend Krka, le fait que le Tribunal, après avoir accueilli l’argumentation de cette entreprise concernant l’existence d’une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, a indiqué au point 471 de l’arrêt attaqué que, les moyens relatifs à l’absence de restriction de la concurrence par objet ainsi que celui relatif à l’absence de restriction de la concurrence par effet étant fondés, il y avait lieu de conclure que c’est à tort que la Commission a constaté l’existence d’une infraction à l’article 101 TFUE s’agissant des accords Krka et ce, « sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du recours », parmi lesquels figure le deuxième moyen de ce recours, ne signifie donc pas que le premier moyen de la Commission, pris en sa première branche, repose sur une lecture erronée de cet arrêt. En effet, il résulte, notamment, des points 203, 204 et 206 à 208 de celui-ci que le Tribunal, en jugeant qu’il existait, au moment de la conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka, des indices concordants pouvant laisser penser à Servier et à Krka que le brevet 947 était valide, a déduit de ces indices qu’une concurrence entre ces entreprises sur les marchés nationaux à l’intérieur de l’Union était désormais exclue et qu’il n’existait plus de concurrence potentielle entre elles. Ce faisant, il a nécessairement examiné certains griefs avancés par Krka en première instance relatifs à la concurrence potentielle.

92      En deuxième lieu, il incombait au Tribunal d’appliquer les critères exposés aux points 67 à 70 du présent arrêt afin de statuer sur la partie de l’argumentation avancée par Krka, en particulier, dans le cadre de son deuxième moyen de première instance relative à la concurrence potentielle et ainsi de déterminer si la Commission avait valablement pu, dans la décision litigieuse, conclure que Krka était un concurrent potentiel de Servier au moment de la conclusion des accords Krka.

93      Compte tenu des caractéristiques de l’infraction à l’article 101 TFUE constatée dans la décision litigieuse, le Tribunal devait donc examiner si ces accords avaient été conclus entre des entreprises se trouvant dans un rapport de concurrence potentielle et pouvaient être qualifiés de restriction de la concurrence. À cette fin, cette juridiction était tenue de vérifier si la Commission avait considéré, à juste titre, qu’il existait, à la date de conclusion desdits accords, des possibilités réelles et concrètes que Krka entre sur le marché pertinent et concurrence Servier, compte tenu de démarches préparatoires suffisantes et de l’absence de barrières à cette entrée présentant un caractère insurmontable, le constat d’une concurrence potentielle pouvant, le cas échéant, être corroboré par des éléments supplémentaires, tels que l’existence d’un transfert de valeur au profit de Krka en contrepartie du report de son entrée sur le marché.

94      Certes, dans l’hypothèse où la validité d’un brevet protégeant un médicament princeps ou l’un de ses procédés de fabrication aurait été établie de manière définitive devant toutes les juridictions ayant été saisies de cette question, il serait difficilement concevable que d’autres éléments du contexte économique et juridique caractérisant de manière objective les rapports de concurrence entre le titulaire de ces brevets et un fabricant de médicaments génériques puissent fonder la conclusion selon laquelle il existe encore une relation de concurrence potentielle entre eux. Toutefois, lorsque des litiges les opposant sur la question de la validité du brevet en question sont encore pendants, il incombe à l’autorité administrative ou au juge compétent d’examiner l’ensemble des éléments pertinents avant d’arriver à la conclusion selon laquelle ce titulaire et ce fabricant ne sont pas des concurrents potentiels, ainsi qu’il découle de la jurisprudence rappelée au point 69 du présent arrêt.

95      Or, au lieu d’appliquer les critères exposés aux points 67 à 70, 93 et 94 du présent arrêt afin de procéder aux vérifications nécessaires pour déterminer si Krka était un concurrent potentiel de Servier, ainsi qu’il lui incombait de le faire, le Tribunal s’est borné à affirmer, en substance, notamment aux points 206, 262 et 264 de l’arrêt attaqué, que ces deux entreprises étaient convaincues que le brevet 947 était valide et, sans motivation spécifique ou preuves à l’appui, que le comportement de Krka consistant à maintenir la pression concurrentielle sur Servier pouvait s’expliquer par son désir de renforcer sa position dans les négociations qu’elle était susceptible d’engager avec Servier en vue de parvenir à un accord de règlement amiable accompagné d’un accord de licence, l’obtention d’une telle licence étant devenue la solution commerciale qui avait sa préférence sur le marché du périndopril.

96      Il s’ensuit que la première branche du premier moyen est fondée. En effet, le Tribunal s’est mépris quant à la pertinence en droit de la situation brevetaire constatée sur les marchés en cause, ainsi que des intentions des parties, et a commis une erreur de droit dans l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE en appréciant selon des critères erronés la notion de concurrence potentielle.

97      Quant à la deuxième branche du premier moyen, il incombait au Tribunal, conformément à ce qui a été jugé au point 94 du présent arrêt et compte tenu de la jurisprudence citée au point 69 de celui-ci, de prendre en compte l’ensemble des éléments pertinents sur le fondement desquels la Commission a considéré, dans la décision litigieuse, que Krka et Servier étaient dans une relation de concurrence potentielle. Or, en limitant, pour l’essentiel, son analyse relative à la relation entre ces deux entreprises, à la date de conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka, sur la seule situation brevetaire et, en particulier, sur la perception que Krka pouvait avoir de la validité du brevet 947, ainsi que sur les intentions des parties, eu égard plus particulièrement à la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et à celle de la High Court du 3 octobre 2006, le Tribunal a méconnu cette obligation.

98      En effet, le Tribunal a non seulement commis une erreur de droit quant au contrôle qu’il lui appartient d’opérer à l’égard des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE, mais il a en outre enfreint l’obligation de motiver les arrêts, qui lui incombe en vertu de l’article 36 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, du même statut, faute d’avoir exposé, au point 206 de l’arrêt attaqué, les motifs sur lesquels il s’est fondé pour constater implicitement, à ce même point, que Servier et Krka n’étaient plus des concurrents potentiels et ce, alors même que les éléments figurant, notamment, aux considérants 1686 à 1690 de la décision litigieuse visaient à démontrer le contraire. Le fait pour le Tribunal de ne pas avoir énoncé explicitement qu’il avait écarté l’existence d’une concurrence potentielle entre Krka et Servier n’est pas de nature à remettre en cause cette constatation relative à un défaut de motivation. En effet, il ne saurait être admis que le Tribunal puisse, en omettant d’énoncer une étape essentielle de son propre raisonnement, se dispenser de son obligation de motiver ses arrêts et, ainsi, d’empêcher la Cour d’être en mesure d’exercer son contrôle sur pourvoi.

99      Il s’ensuit que les première et deuxième branches du premier moyen doivent être accueillies.

b)      Sur les troisième et cinquième branches

1)      Argumentation des parties

100    Par les troisième et cinquième branches de son premier moyen, dirigées, respectivement, contre les points 203, 204, 206, 235 et 261 à 264 de l’arrêt attaqué ainsi que contre les points 253, 260 et 387 de cet arrêt, la Commission reproche au Tribunal d’avoir dénaturé la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et la décision de la High Court du 3 octobre 2006.

101    En premier lieu, ces dénaturations auraient vicié l’appréciation du Tribunal selon laquelle il existait des indices concordants pouvant laisser penser aux parties que le brevet 947 était valide. De même, ces dénaturations auraient affecté l’appréciation du Tribunal selon laquelle la reconnaissance de la validité du brevet 947 a conduit Krka à préférer entrer sur ses propres marchés principaux en bénéficiant de la protection conférée par l’accord de licence Krka plutôt que d’entrer sur les marchés principaux de Servier en s’exposant au risque de faire l’objet d’actions en contrefaçon.

102    En second lieu, la Commission reproche au Tribunal d’avoir jugé, au point 253 de l’arrêt attaqué, que la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et la décision de la High Court du 3 octobre 2006 avaient « substantiellement modifié le contexte dans lequel [les accords de règlement amiable et de licence Krka] ont été conclus, en particulier en ce qui concerne la perception que Krka, mais aussi Servier, pouvaient avoir de la validité du brevet 947 ». Aucun document contemporain de ces accords ne permettrait de soutenir cette appréciation. Au contraire, les preuves dont disposait le Tribunal – notamment celles concernant le rejet en Hongrie d’une demande d’injonction formée par Servier – ainsi que le caractère temporaire des injonctions obtenues par Servier tendraient à infirmer ladite appréciation. La Commission fait également valoir dans ce contexte que la motivation de l’arrêt attaqué est insuffisante et contradictoire.

103    Krka soutient que ces troisième et cinquième branches sont irrecevables. La troisième branche n’identifierait pas précisément les éléments qui auraient été dénaturés et n’indiquerait pas les erreurs d’analyse qui auraient été commises par le Tribunal. En outre, la Commission chercherait à obtenir que la Cour procède à une nouvelle appréciation des faits. Quant à la cinquième branche, la Commission viserait, par celle-ci, à obtenir une nouvelle appréciation des preuves par la Cour.

104    Sur le fond, Krka soutient que les troisième et cinquième branches sont non fondées. Le Tribunal aurait procédé à un examen approfondi de l’ensemble des preuves démontrant que, à la suite de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, Krka avait admis la validité du brevet 947 et poursuivi ses actions contentieuses uniquement afin de renforcer sa position en vue de la négociation d’un accord de règlement amiable avec Servier. Le grief selon lequel l’appréciation du Tribunal serait contredite par le caractère temporaire des injonctions obtenues par Servier serait manifestement non fondé. En effet, la question de l’accès aux marchés principaux de Servier par Krka serait distincte de celle de la reconnaissance par cette entreprise de la validité du brevet 947.

2)      Appréciation de la Cour

105    S’agissant de la recevabilité des troisième et cinquième branches du premier moyen, il importe de rappeler que sont recevables, au stade du pourvoi, des griefs relatifs à la constatation des faits et à leur appréciation dans la décision attaquée lorsqu’il est allégué que le Tribunal a effectué des constatations dont l’inexactitude matérielle résulte des pièces du dossier ou qu’il a dénaturé les éléments de preuve qui lui ont été soumis  (arrêt du 18 janvier 2007, PKK et KNK/Conseil, C‑229/05 P, EU:C:2007:32, point 35).

106    Une dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 28 janvier 2021, Qualcomm et Qualcomm Europe/Commission, C‑466/19 P, EU:C:2021:76, point 43). Si une telle dénaturation peut consister dans une interprétation d’un document contraire au contenu de celui-ci, elle doit ressortir de façon manifeste du dossier et elle suppose que le Tribunal ait manifestement outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable de ces éléments de preuve. À cet égard, il ne suffit pas de montrer qu’un document pourrait faire l’objet d’une interprétation différente de celle retenue par le Tribunal (arrêt du 17 octobre 2019, Alcogroup et Alcodis/Commission, C‑403/18 P, EU:C:2019:870, point 64 ainsi que jurisprudence citée).

107    Contrairement à ce que soutient Krka, la Commission a identifié avec précision les éléments de preuve dont elle allègue la dénaturation, à savoir la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et la décision de la High Court du 3 octobre 2006.

108    Avant d’examiner, au fond, les griefs de dénaturation invoqués par la Commission, il convient de relever d’emblée que, nonobstant le fait que les deux premières branches du premier moyen ont été accueillies, avec pour conséquence le constat selon lequel le raisonnement du Tribunal relatif à la concurrence potentielle était entaché d’erreurs de droit, il demeure utile d’examiner les autres branches de ce moyen afin d’établir si, indépendamment du fait que le Tribunal n’a pas appliqué les critères juridiques qui s’imposaient et a omis de prendre en compte l’ensemble des preuves pertinentes, l’interprétation qu’il a retenue des preuves qu’il a effectivement examinées est entachée d’illégalité, et notamment d’une éventuelle dénaturation de ces preuves, ainsi que l’allègue la Commission.

109    Au point 201 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné s’il existait de véritables litiges entre Servier et Krka et si l’accord de licence Krka apparaissait avoir un lien suffisamment direct avec le règlement amiable de ces litiges pour que son association à l’accord de règlement amiable Krka soit justifiée. Aux points 203 et 204 de cet arrêt, le Tribunal a relevé l’existence de litiges entre Servier et Krka ayant donné lieu, d’une part, à la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et, d’autre part, à la décision de la High Court du 3 octobre 2006. Au point 206 dudit arrêt, le Tribunal a affirmé qu’il existait, au moment de la conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka, « des indices concordants pouvant laisser penser aux parties que le brevet 947 était valide » et a, à cet égard, renvoyé à la lecture des points 203 et 204 du même arrêt.

110    Afin d’apprécier si le Tribunal a dénaturé la décision de la High Court du 3 octobre 2006 et la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, le contrôle opéré par la Cour se limite à la vérification de ce que le Tribunal n’a pas manifestement outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable desdits éléments. Il appartient à la Cour non pas d’apprécier de manière autonome si la Commission s’est acquittée de la charge de la preuve qui lui incombait pour démontrer l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, mais de déterminer si le Tribunal en concluant que tel n’était pas le cas, a fait une lecture de ces mêmes éléments de preuve qui est manifestement contraire à leur libellé (voir, par analogie, arrêt du 10 février 2011, Activision Blizzard Germany/Commission, C‑260/09 P, EU:C:2011:62, point 57).

111    C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les griefs de dénaturation invoqués par la Commission.

i)      Sur la décision de la High Court du 3 octobre 2006

112    Le point 204 de l’arrêt attaqué est rédigé comme suit :

« [...] Le 1er septembre 2006, Krka avait introduit une demande reconventionnelle en annulation du brevet 947 et, le 8 septembre 2006, une autre demande reconventionnelle en annulation du brevet 340. Le 3 octobre 2006, la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], a fait droit à la demande d’injonction provisoire de Servier et a rejeté la demande introduite par Krka le 1er septembre 2006. Le 1er décembre 2006, l’instance en cours s’est éteinte conformément à l’accord de règlement amiable intervenu entre les parties et l’injonction provisoire a été levée. »

113    Il résulte de la formulation de ce point 204 que le Tribunal, en se référant au rejet de « la demande introduite par Krka le 1er septembre 2006 » visait le rejet par la décision de la High Court du 3 octobre 2006 de la demande reconventionnelle de cette entreprise.

114    Cependant, cette décision, qui figure à l’annexe B.2 du mémoire en défense en première instance de la Commission, énonce, d’une part, qu’il est fait droit à la demande d’injonction provisoire de Servier et, d’autre part, qu’est rejetée non pas la demande reconventionnelle de Krka mais celle visant à ce qu’il soit fait droit à cette demande reconventionnelle tendant à l’invalidation du brevet 947 par la procédure de jugement sommaire.

115    Il s’ensuit que, au point 208 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a dénaturé les termes clairs et précis de la décision de la High Court du 3 octobre 2006, alors même qu’il a fidèlement cité celle-ci aux points 12 et 334 de cet arrêt.

116    Sur le fondement de cette dénaturation, le Tribunal a, tout d’abord, affirmé, au point 206 de l’arrêt attaqué, qu’« il existait, au moment de la conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka, des indices concordants pouvant laisser penser aux parties que le brevet 947 était valide » et, ensuite, au point 253 de cet arrêt, que les deux événements constitués par la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et la décision de la High Court du 3 octobre 2006 « ont substantiellement modifié le contexte dans lequel les accords ont été conclus, en particulier en ce qui concerne la perception que Krka, mais aussi Servier, pouvaient avoir de la validité du brevet 947 ». Enfin, sur la base de cette dernière constatation, le Tribunal a, au point 260 dudit arrêt, considéré que la survenance de ces deux événements « limite considérablement » la pertinence d’un document de Servier relatif à sa stratégie à l’égard de Krka. Par ailleurs, au point 235 du même arrêt, le Tribunal a affirmé que Krka avait transigé avec Servier non pas en contrepartie des bénéfices procurés par l’accord de licence Krka, mais en raison du fait que Krka « reconnaissait la validité du brevet 947 », lequel aurait été l’« élément déterminant » à cet égard.

117    La décision de la High Court du 3 octobre 2006, compte tenu de sa nature provisoire et de la procédure préliminaire au terme de laquelle cette décision a été adoptée, ne préjugeait en rien de la solution au fond du litige. En effet, le juge national s’est borné à constater, en réalité, conformément aux critères d’octroi d’un jugement sommaire, que la demande reconventionnelle de Krka n’était pas manifestement fondée, tout en soulignant à cet égard, au point 70 de la même décision, qu’il n’avait « aucun doute que Krka a pu démontrer qu’il existe une question sérieuse à juger, en l’occurrence celle de savoir si la vente des comprimés [de périndopril de Servier] préalablement à la date de priorité prive le brevet [947] de nouveauté », précisant toutefois qu’il n’était pas « persuadé que Servier n’a pas de réelles perspectives de défense à mettre en œuvre pour défendre le brevet [947] contre une telle attaque ».

118    En dénaturant ainsi les termes clairs et précis de la décision de la High Court du 3 octobre 2006, le Tribunal a entaché d’illégalité les points 204, 206, 235, 253 et 260 de l’arrêt attaqué.

ii)    Sur la décision de l’OEB du 27 juillet 2006

119    Le point 203 de l’arrêt attaqué est rédigé comme suit :

« [D]ix sociétés de génériques, dont Krka, avaient formé opposition contre le brevet 947 devant l’OEB en 2004, en vue d’obtenir sa révocation dans sa totalité, en invoquant des motifs tirés du manque de nouveauté et d’activité inventive et de l’exposé insuffisant de l’invention. Le 27 juillet 2006, la division d’opposition de l’OEB a confirmé la validité de ce brevet à la suite de légères modifications des revendications initiales de Servier. Sept sociétés ont ensuite formé un recours contre la décision de l’OEB du 27 juillet 2006. Krka s’est retirée de la procédure d’opposition le 11 janvier 2007 conformément à l’accord de règlement amiable intervenu avec Servier. »

120    Le Tribunal a ainsi relaté de manière exacte le contenu de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006.

121    Toutefois, il y a lieu de constater que l’affirmation, au point 206 de l’arrêt attaqué, selon laquelle « il existait, au moment de la conclusion des accords de règlement amiable et de licence [Krka], des indices concordants pouvant laisser penser aux parties que le brevet 947 était valide » repose, à tout le moins partiellement, sur la dénaturation de la décision de la High Court du 3 octobre 2006, sur laquelle le Tribunal s’est fondé également aux points 253 et 260 de cet arrêt.

122    Par ailleurs, cette affirmation du Tribunal fait abstraction de plusieurs autres éléments de preuve mentionnés dans la décision litigieuse, lesquels prouveraient, selon la Commission, que, si la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 constituait un revers pour Krka, cette entreprise était loin de s’être résignée à reconnaître la validité du brevet 947. La décision litigieuse mentionne, notamment, aux considérants 1687 à 1689 que Krka, qui avait interjeté appel de cette décision de l’OEB, a également poursuivi la contestation du brevet 947 en introduisant le 1er septembre 2006, au Royaume-Uni, une demande reconventionnelle contre Servier tendant à l’invalidation de ce brevet. La décision de la High Court du 3 octobre 2006 souligne que Krka disposait d’une « base solide » pour contester le brevet 947. La décision litigieuse mentionne également des déclarations d’employés de Krka en réaction à ladite décision, qui contredisent toute résignation à l’égard de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 ainsi que le fait que Krka a obtenu, au mois de septembre 2006, le rejet de l’action en contrefaçon du brevet 947 intentée par Servier en Hongrie et poursuivi la commercialisation de sa version générique du périndopril sur le marché de cet État membre.

123    C’est sur la base de ces éléments que la décision litigieuse a émis, au considérant 1690, la constatation suivante quant à la position de Krka à la suite de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 :

« L’évaluation par Krka de la situation brevetaire a certainement été influencée par la décision d’opposition et l’octroi d’injonctions provisoires contre Krka et Apotex au Royaume-Uni. Pourtant, ce qui précède suggère fortement que, d’un point de vue ex ante, rien ne faisait obstacle à une possibilité réelle et concrète pour Krka d’invalider le brevet 947 dans un procès au fond. »

124    Il est donc clair, à la lecture de ces éléments, que la décision litigieuse, examinée dans son ensemble, visait à démontrer, sur le fondement d’un faisceau d’indices concordants, que Krka ne s’était pas résignée à reconnaître la validité du brevet 947 à la suite de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, en dépit des doutes que cette décision avait pu engendrer quant aux chances d’obtenir la révocation de ce brevet. Or, au point 206 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a affirmé sans motivation adéquate, dès lors qu’il n’a pas examiné l’ensemble des preuves invoquées à cet égard dans la décision litigieuse, qu’« il existait [...] des indices concordants pouvant laisser penser aux parties que le brevet 947 était valide ». Ainsi, le Tribunal a non seulement omis de prendre en considération les éléments visés aux points 122 et 123 du présent arrêt, mais s’est également abstenu d’expliquer les raisons de cette omission, alors que l’existence d’une infraction aux règles de concurrence ne peut être appréciée correctement que si les indices invoqués par la décision litigieuse sont considérés non pas isolément, mais dans leur ensemble, compte tenu des caractéristiques du marché des produits en cause (arrêt du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries/Commission, 48/69, EU:C:1972:70, point 68).

125    Ce faisant, le Tribunal a dénaturé le sens et la portée de la décision litigieuse en ce qu’elle se rapporte aux effets de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 sur la reconnaissance par Krka de la validité du brevet 947 (voir, par analogie, arrêt du 11 septembre 2003, Belgique/Commission, C‑197/99 P, EU:C:2003:444, points 66 et 67). En outre, il a enfreint l’obligation de motiver ses arrêts, qui lui incombe en vertu de l’article 36 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, de ce statut, faute d’avoir exposé les motifs sur lesquels il a fondé son appréciation, au point 206 de l’arrêt attaqué, d’une manière suffisante pour permettre aux intéressés de prendre connaissance de ces motifs et à la Cour de disposer des éléments pour exercer son contrôle dans le cadre d’un pourvoi (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2020, Commission/GEA Group, C‑823/18 P, EU:C:2020:955, point 42 et jurisprudence citée).

126     Dès lors, outre la dénaturation de la décision de la High Court du 3 octobre 2006, constatée au point 118 du présent arrêt, le point 206 de l’arrêt attaqué repose sur une dénaturation de la décision litigieuse et est entaché d’un défaut de motivation.

127    Eu égard aux éléments qui précèdent, il y a lieu d’accueillir les troisième et cinquième branches du premier moyen.

c)      Sur la quatrième branche

1)      Argumentation des parties

128    Par la quatrième branche de son premier moyen, la Commission reproche au Tribunal d’avoir dénaturé, au point 236 de l’arrêt attaqué, l’estimation par Krka du coût d’opportunité de ne pas transiger avec Servier à dix millions d’euros sur une période de trois ans, en considérant que cette estimation constituait un indice de la reconnaissance, par Krka, de la validité du brevet 947. Premièrement, cette estimation aurait été fournie au mois d’avril 2013, de telle sorte qu’elle ne pouvait être utilisée rétroactivement comme preuve de la perception de Krka à la date de conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka. Deuxièmement, les profits escomptés par Krka auraient été l’une des raisons pour lesquelles l’accord de licence Krka constituait une incitation à transiger. Troisièmement, aucune preuve n’aurait permis d’affirmer, comme l’a fait le Tribunal au point 236 de cet arrêt, qu’il était peu probable que Krka décide d’entrer « à risque » sur ses marchés principaux, lesquels étaient couverts par l’accord de licence Krka. Au contraire, le considérant 1675 de la décision litigieuse aurait fait état de preuves sérieuses d’une telle intention de la part de Krka.

129    Krka soutient que le dossier ne révèle aucune dénaturation manifeste. La Commission chercherait à faire prévaloir sa propre interprétation des preuves sur celle du Tribunal.

2)      Appréciation de la Cour

130    Il importe de relever que, par la quatrième branche de son premier moyen, la Commission, sous couvert d’une prétendue dénaturation d’un élément de preuve, vise en réalité à obtenir une nouvelle appréciation de cette preuve, ce qui ne relève pas de la compétence de la Cour dans le cadre de la procédure de pourvoi.

131    Il convient, dès lors, de rejeter la quatrième branche du premier moyen comme étant irrecevable.

132    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter la quatrième branche du premier moyen et d’accueillir les première à troisième et cinquième branches de ce moyen.

4.      Sur le deuxième moyen

133    Par son deuxième moyen, la Commission conteste les appréciations du Tribunal relatives à l’accord de licence Krka en tant qu’incitation pour Krka à accepter les restrictions de la concurrence contenues dans l’accord de règlement amiable Krka. Ce moyen se compose de huit branches.

a)      Sur la deuxième branche

1)      Argumentation des parties

134    Par la deuxième branche de son deuxième moyen, la Commission reproche au Tribunal d’avoir, aux points 199 et 201 à 208 de l’arrêt attaqué, considéré que, en présence d’un véritable litige relatif à un brevet, l’association d’un accord de règlement amiable et d’un accord de licence ne constitue pas un indice sérieux de paiement inversé. Cette approche formaliste serait contraire à la jurisprudence, notamment à l’arrêt du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a. (C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631, point 136), qui exigerait, afin d’identifier une restriction de la concurrence par objet, de tenir compte du contenu, de l’objectif ainsi que du contexte économique et juridique des accords litigieux.

135    Krka soutient que cette argumentation procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué. Le Tribunal, aux points 201 à 268 et 279 à 298 de cet arrêt, se serait fondé non pas sur la forme des accords de règlement amiable et de licence Krka, mais sur leur contenu, leurs objectifs, ainsi que leur contexte économique et juridique. Par ailleurs, l’argumentation de la Commission serait contredite par le point 204 de la communication de la Commission intitulée « Lignes directrices relatives à l’application de l'article [101 TFUE] aux accords de transfert de technologie » (JO 2004, C 101, p. 2). Il ressortirait, en outre, des points 234 et 236 de la communication de la Commission intitulée « Lignes directrices concernant l’application de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords de transfert de technologie » (JO 2014, C 89, p. 3), que cette institution encourage les accords de licence en tant que mode de règlement amiable de litiges en matière de brevets et considère qu’un accord de licence et de non-revendication ne constitue pas, en soi, une restriction de la concurrence.

2)      Appréciation de la Cour

136    Eu égard au fait que la deuxième branche du deuxième moyen porte sur les critères au regard desquels le Tribunal devait apprécier l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, il convient de l’examiner en premier lieu.

137    S’agissant des critiques de la Commission dirigées contre le point 199 de l’arrêt attaqué, il convient de rappeler que, audit point, le Tribunal a considéré que, en présence d’un véritable litige relatif à un brevet et d’un accord de licence en lien direct avec le règlement amiable de ce litige, un accord de règlement amiable de ce litige, comportant des clauses restrictives de la concurrence telles que des clauses de non-contestation et de non-commercialisation, associé à un accord de licence portant sur ce brevet, ne peut être qualifié de restriction de la concurrence par objet que si la Commission peut démontrer que cet accord de licence ne constitue pas une transaction conclue aux conditions normales de marché et masque ainsi un paiement inversé.

138    Or, alors que l’infraction à l’article 101 TFUE constatée par la décision litigieuse consistait pour Servier et Krka à se répartir les marchés en deux zones, dont l’une seulement relève du champ de cette infraction, le Tribunal a indiqué en substance, aux points 199 à 201 de l’arrêt attaqué, qu’il se bornerait à examiner si l’accord de licence Krka pouvait être justifié par l’accord de règlement amiable Krka ou si, au contraire, cet accord de licence masquait en réalité un paiement inversé incitant Krka à se soumettre aux clauses de non-commercialisation et de non-contestation prévues par cet accord de règlement amiable. Ce raisonnement fait abstraction, d’une part, du fait que l’accord de licence Krka concerne des marchés qui ne relèvent pas du champ de l’infraction à l’article 101 TFUE et, d’autre part, de la nature de cette infraction consistant non pas en un simple accord de règlement amiable de litige de brevet contre paiement inversé, mais en un accord de partage de marché.

139    Ainsi, les points 199 à 201 de l’arrêt attaqué énoncent des critères d’appréciation de l’existence d’une restriction de la concurrence par objet qui sont incompatibles avec ceux rappelés aux points 66 à 72 du présent arrêt et qui reposent sur une interprétation erronée de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Il convient de constater que les différences entre ces critères juridiques appliqués par le Tribunal et ceux rappelés auxdits points 66 à 72 du présent arrêt ne sont pas simplement de nature sémantique mais conduisent à des résultats qui sont substantiellement différents.

140    En outre, il importe de rappeler que, au point 208 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que, « eu égard à la portée des clauses des [accords de règlement amiable et de licence Krka] ainsi qu’au contexte dans lequel ces accords ont été passés, il y a lieu de constater que l’association de ces deux accords était justifiée et ne constitue donc pas un indice sérieux de l’existence d’un paiement inversé de Servier vers Krka auquel donnerait lieu l’accord de licence », tout en renvoyant à la lecture du point 184 de cet arrêt.

141    Certes, le fait pour des entreprises de conclure un accord de règlement amiable d’un litige relatif à un brevet associé à un accord de licence portant sur ce même brevet ne constitue pas, en soi, un comportement restrictif de la concurrence. Néanmoins, de tels accords peuvent, en fonction tant de leur contenu que de leur contexte économique, constituer un moyen apte à influer sur le comportement commercial des entreprises en cause, de manière à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence sur le marché où ces deux entreprises déploient leur activité commerciale (voir, par analogie, arrêt du 17 novembre 1987, British American Tobacco et Reynolds Industries/Commission, 142/84 et 156/84, EU:C:1987:490, point 37).

142    Or, pour relever de l’interdiction prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, une pratique collusoire doit remplir diverses conditions dépendant non pas de la nature juridique de cette pratique ou des instruments juridiques destinés à la mettre en œuvre, mais de ses rapports avec le jeu de la concurrence. L’application de cette disposition reposant sur l’évaluation des répercussions économiques de la pratique en cause, ladite disposition ne saurait être interprétée comme instituant quelque préjugé que ce soit à l’égard d’une catégorie d’accords déterminée par sa nature juridique, tout accord devant être apprécié au regard de son contenu spécifique et de son contexte économique, et notamment à la lumière de la situation du marché concerné (voir, en ce sens, arrêts du 30 juin 1966, LTM, 56/65, EU:C:1966:38, p. 358, ainsi que du 17 novembre 1987, British American Tobacco et Reynolds Industries/Commission, 142/84 et 156/84, EU:C:1987:490, point 40). L’effectivité du droit de la concurrence de l’Union serait gravement compromise si les parties à des accords anticoncurrentiels pouvaient se soustraire à l’application de l’article 101 TFUE simplement en faisant prendre certaines formes à ces accords (arrêt de ce jour, Commission/Servier e.a., C-176/19 P, point 179).

143    Outre le fait que, en l’espèce, les accords de règlement amiable et de licence Krka portent sur des marchés distincts et que les marchés couverts par l’accord de licence Krka ne relèvent pas du champ de l’infraction à l’article 101 TFUE, il importe de souligner que, si la conclusion par le titulaire d’un brevet d’un accord de règlement amiable d’un litige avec un fabricant de médicaments génériques accusé de contrefaçon constitue certes l’expression du droit de propriété intellectuelle de ce titulaire et l’autorise, notamment, à s’opposer à toute contrefaçon, il n’en demeure pas moins que ledit brevet n’autorise pas son titulaire à conclure des contrats qui violeraient l’article 101 TFUE [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 97].

144    Au demeurant, la qualification de restriction de la concurrence par objet ne dépend ni de la forme des contrats ou autres instruments juridiques destinés à mettre en œuvre une telle pratique collusoire ni de la perception subjective que les parties peuvent avoir de l’issue du litige qui les oppose quant à la validité d’un brevet.

145    Par ailleurs, ainsi qu’il a été rappelé au point 75 du présent arrêt, la circonstance que des entreprises dont le comportement pourrait être qualifié de restriction de la concurrence par objet ont agi sans avoir l’intention d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence et le fait qu’elles ont poursuivi certains objectifs légitimes ne sont pas déterminants aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 167 et jurisprudence citée). Seule est pertinente l’appréciation du degré de nocivité économique de cette pratique sur le bon fonctionnement de la concurrence dans le marché concerné. Cette appréciation doit reposer sur des considérations objectives, au besoin à l’issue d’une analyse détaillée de ladite pratique ainsi que de ses objectifs et du contexte économique et juridique dans lequel elle s’insère [voir, en ce sens, arrêts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 84 et 85, ainsi que du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission, C‑591/16 P, EU:C:2021:243, point 131].

146    C’est pourquoi, afin de déterminer si une pratique collusoire peut être qualifiée de restriction de la concurrence par objet, il convient d’examiner son contenu, sa genèse, ainsi que son contexte juridique et économique, en particulier les caractéristiques spécifiques du marché dans lequel se produiront concrètement ses effets. Le fait que les termes d’un accord destiné à mettre en œuvre cette pratique ne dévoilent pas un objet anticoncurrentiel n’est pas, en soi, déterminant (voir, en ce sens, arrêts du 8 novembre 1983, IAZ International Belgium e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, EU:C:1983:310, points 23 à 25, ainsi que du 28 mars 1984, Compagnie royale asturienne des mines et Rheinzink/Commission, 29/83 et 30/83, EU:C:1984:130, point 26).

147    Or, au lieu de procéder à une telle appréciation de la pratique collusoire mise en œuvre au moyen des accords de règlement amiable et de licence Krka à la lumière de son contenu spécifique et de ses répercussions économiques, le Tribunal, aux points 179 à 199 de l’arrêt attaqué, a élaboré des critères visant à identifier, de manière générale et abstraite, les conditions dans lesquelles la conjonction d’un accord de règlement d’un litige relatif à un brevet et d’un accord de licence portant sur ce même brevet peut, compte tenu des seules caractéristiques juridiques de ces accords, relever de la qualification de restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. En appliquant ces critères aux accords de règlement amiable et de licence Krka, le Tribunal a concentré son analyse sur la forme et les caractéristiques juridiques de ces accords, plutôt que de s’attacher à examiner leurs rapports concrets avec le jeu de la concurrence. Il a ainsi méconnu les principes régissant l’application et l’interprétation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, visés aux points 142 et 146 du présent arrêt et entaché d’illégalité les points 179 à 208 de l’arrêt attaqué.

148    Il s’ensuit que la deuxième branche du deuxième moyen doit être accueillie.

b)      Sur les première, troisième et quatrième branches

1)      Argumentation des parties

149    Par la première branche de son deuxième moyen, la Commission dénonce le caractère contradictoire du raisonnement du Tribunal. En effet, au point 265 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait reconnu que l’accord de licence Krka était une condition pour que cette entreprise accepte les clauses de non-concurrence et de non-contestation, lesquelles, ainsi que le Tribunal l’a souligné au point 152 de cet arrêt, sont « intrinsèquement restrictives ». Toutefois, il aurait refusé d’en déduire que cet accord de licence a incité Krka à régler à l’amiable les litiges relatifs au brevet 947, en s’appuyant sur deux motifs erronés, à savoir, d’une part, la perception par les parties de la validité de ce brevet et, d’autre part, la circonstance que ledit accord de licence aurait été conclu aux conditions normales de marché. Le Tribunal, en se fondant sur la fiction d’un règlement amiable fondé sur les mérites du brevet 947 et d’une licence de ce brevet conclue aux conditions du marché, n’aurait donc pas accordé, aux fins de la qualification juridique de ces accords de restriction de la concurrence par objet, une importance suffisante à l’objectif poursuivi par lesdits accords. Le Tribunal aurait d’ailleurs ignoré des déclarations par lesquelles Krka reconnaissait avoir « sacrifié » son entrée sur les marchés principaux de Servier afin de pouvoir rester sur ses sept marchés principaux.

150    Par la troisième branche, la Commission critique les motifs exposés aux points 173, 199, 211 à 220 et 225 de l’arrêt attaqué, par lesquels le Tribunal a considéré que l’accord de licence Krka avait été conclu aux conditions de marché. Or, cette considération serait dénuée de pertinence, car le facteur décisif serait que les accords de règlement amiable et de licence Krka étaient fondés non pas sur l’évaluation par chacune des parties de la validité du brevet 947, mais sur leur objectif commun de se partager les marchés, aux dépens des consommateurs, au moyen des accords Krka, pris dans leur ensemble.

151    Par la quatrième branche, la Commission reproche au Tribunal d’avoir, aux points 173 et 213 à 218 de l’arrêt attaqué, limité son analyse du caractère incitatif de l’accord de licence Krka à la question de savoir si le taux de redevance prévu par cet accord était anormalement bas. Le Tribunal aurait dû analyser ledit accord, ensemble avec l’accord de règlement amiable Krka, et examiner l’effet de ces accords sur les incitations des parties à se concurrencer ainsi que le profit – estimé à plus de 25 millions d’euros – auquel Servier aurait renoncé en concluant ce même accord de licence.

152    S’agissant de la première branche, Krka soutient que l’argumentation de la Commission procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué. Le Tribunal aurait considéré non pas que Krka avait fait de l’accord de licence Krka une condition de son acceptation des clauses de non-commercialisation et de non-contestation, mais que la Commission n’avait pas établi « l’existence même d’un paiement inversé résultant de l’octroi d’une licence » et qu’aucun des autres éléments retenus par la Commission ne saurait infirmer cette constatation, ainsi qu’il ressort des points 220 et 222 de cet arrêt. En outre, il ne saurait être reproché au Tribunal de ne pas avoir tenu compte de l’ensemble des faits et preuves puisqu’il ressort du point 265 dudit arrêt que celui-ci a pris en considération les éléments de preuve visés aux considérants 913 et 1746 à 1748 de la décision litigieuse.

153    Krka soutient que les troisième et quatrième branches sont irrecevables, car elles tendent à remettre en cause des appréciations factuelles. En outre, ce serait à juste titre que le Tribunal a souligné que, en absence d’accord avec Servier, Krka n’aurait pas été en mesure de commercialiser son périndopril composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947 sur un quelconque marché.

154    Krka affirme que la quatrième branche procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué. En effet, le Tribunal aurait procédé à une analyse globale des preuves afin de déterminer s’il existait un transfert de valeur. Il aurait souverainement constaté, entre autres, que l’accord de licence Krka n’avait pas incité Krka à renoncer à concurrencer Servier.

2)      Appréciation de la Cour

155    Il convient de relever d’emblée que les troisième et quatrième branches du deuxième moyen sont recevables, car elles visent, en substance, à remettre en cause non pas des constatations factuelles mais le critère appliqué par le Tribunal aux fins d’apprécier l’incitation pour Krka à régler à l’amiable les litiges relatifs au brevet 947 par l’accord de règlement amiable Krka.

156    Par les première, troisième et quatrième branches du deuxième moyen, qu’il convient d’examiner ensemble, la Commission critique essentiellement le Tribunal pour avoir jugé que l’accord de licence Krka n’avait pas incité cette entreprise à conclure l’accord de règlement amiable Krka. Cette institution fait valoir que le Tribunal s’est fondé sur une analyse limitée et réductrice de la teneur, des objectifs et du contexte économique de l’infraction résultant de ces accords.

157    S’agissant de la première branche du deuxième moyen, il y a lieu de relever que, ainsi que l’allègue la Commission, le point 265 de l’arrêt attaqué est contradictoire. En effet, il ressort de ce point que la conclusion de l’accord de licence Krka était la « condition » ou, en d’autres termes, l’incitation offerte à Krka pour qu’elle accepte les clauses de non-commercialisation et de non-contestation contenues dans l’accord de règlement amiable Krka. Il en résulte que, indépendamment de la question de savoir si le niveau de la redevance prévue par cet accord de licence était adéquat au regard des conditions de marché, c’est l’accès à ses marchés principaux sans risque de contrefaçon qui a motivé Krka à renoncer à vendre son périndopril sur les marchés principaux de Servier. Dès lors, le Tribunal ne pouvait pas, sans se contredire, affirmer, audit point, que la Commission n’avait pas établi que le taux de redevance « n’aurait pas été choisi sur la base de considérations commerciales mais aux fins d’inciter Krka à accepter de se soumettre [à ces] clauses ».

158    Eu égard aux caractéristiques de l’infraction retenue par la Commission, rappelées aux points 44 et 45 du présent arrêt, il incombait au Tribunal, afin de statuer sur la partie de l’argumentation de Krka avancée dans le cadre du troisième moyen de première instance relative à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, d’appliquer les critères qui ont été rappelés aux points 61, 63 à 66, 71, 72, 74 et 75 du présent arrêt à la pratique infractionnelle résultant des accords de règlement amiable et de licence Krka. Il lui appartenait ainsi d’apprécier le degré de nocivité économique de cette pratique, en procédant à une analyse détaillée de ses caractéristiques, ainsi que de ses objectifs et du contexte économique et juridique dans lequel elle s’insère.

159    Or, ainsi qu’il a été relevé au point 137 du présent arrêt, le Tribunal a considéré, en substance, au point 199 de l’arrêt attaqué, que, en présence d’un véritable litige, l’association d’un accord de licence et d’un accord de règlement amiable de ce litige ne constitue pas un indice sérieux de l’existence d’un paiement inversé, et qu’il appartient à la Commission de « démontrer que l’accord de licence ne constitue pas une transaction conclue aux conditions normales de marché », de sorte que cette institution ne pouvait constater l’existence d’une restriction de la concurrence par objet en l’espèce.

160    Il s’ensuit que, en concentrant son analyse sur l’accord de licence Krka, alors qu’il aurait dû examiner l’infraction constatée par la Commission, prise dans sa globalité, telle qu’elle résultait de la conjonction de cet accord et de l’accord de règlement amiable Krka, le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’interprétation et dans l’application de l’article 101 TFUE. Cette erreur a conduit le Tribunal à restreindre le champ de son analyse de la qualification de restriction de la concurrence par objet à la question de savoir si la Commission était parvenue à établir que le taux de redevance prévu par l’accord de licence Krka était anormalement bas.

161    En se bornant à considérer, pour les motifs exposés aux points 209 à 220 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas établi que Servier avait octroyé à Krka une licence à un prix anormalement bas, le Tribunal a ignoré les éléments essentiels de l’infraction visés aux points 44 et 45 du présent arrêt et omis d’examiner, à la lumière des engagements et des incitations réciproques des parties, si l’accord de licence Krka avait pu inciter cette entreprise à renoncer à concurrencer Servier.

162    Il s’ensuit que, en se fondant sur l’absence de caractère anormalement bas du taux de redevance prévu par l’accord de licence Krka, sans analyser à la lumière du contexte économique et juridique, qui donnait lieu à un partage de marché résultant de la conjonction de cet accord et de l’accord de règlement amiable Krka, si le transfert de valeur résultant du fait que l’accord de licence Krka a permis à cette entreprise de commercialiser ses produits sur ses marchés principaux sans risque de contrefaçon, était suffisamment important pour inciter effectivement Krka à renoncer à entrer sur les marchés principaux de Servier, le Tribunal a commis des erreurs de droit dans l’interprétation et dans l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et entaché d’illégalité les motifs exposés aux points 199, 209 à 220 et 265 de l’arrêt attaqué.

163    Il convient, dès lors, d’accueillir les première, troisième et quatrième branches du deuxième moyen.

c)      Sur les cinquième à huitième branches

1)      Argumentation des parties

164    Par la cinquième branche de son deuxième moyen, la Commission soutient que les motifs exposés aux points 211 à 220 de l’arrêt attaqué reposent sur la dénaturation de plusieurs éléments de preuve. Premièrement, contrairement à l’énoncé des points 214 et 216 de cet arrêt, la Commission aurait considéré non pas que le taux de redevance prévu par l’accord de licence Krka était très inférieur au résultat d’exploitation de Servier, mais que la perte subie par Servier constituait un transfert de valeur net au profit de Krka. Deuxièmement, au point 215 dudit arrêt, le Tribunal aurait dénaturé le fait que cette redevance représentait une faible proportion des profits de Krka provenant des marchés couverts par cet accord de licence. Troisièmement, contrairement à ce qui est exposé au point 217 du même arrêt, le fait que la licence concédée à Krka n’est pas exclusive ne l’empêcherait pas de constituer une incitation suffisante, puisqu’elle offrait à cette entreprise, sur ses marchés principaux, la perspective de constituer un duopole de fait avec Servier.

165    Par la sixième branche, la Commission reproche au Tribunal d’avoir jugé, aux points 228 à 234 de l’arrêt attaqué, qu’il serait paradoxal de considérer que plus les termes d’une licence de brevet sont larges, plus l’incitation à conclure un accord de règlement amiable comportant des clauses restrictives de la concurrence serait importante, et plus il serait facile de qualifier ces accords de restriction de la concurrence par objet. Cette affirmation reposerait sur une lecture erronée de la décision litigieuse dont il ressort que l’accord de licence Krka a servi à inciter cette entreprise à renoncer à entrer sur les marchés principaux de Servier, lesquels n’étaient pas couverts par l’accord de licence Krka.

166    Par la septième branche, la Commission critique le point 233 de l’arrêt attaqué en ce qu’il affirme que la décision litigieuse oblige le titulaire d’un brevet à octroyer une licence sur la totalité du territoire couvert par un accord de règlement amiable. La décision litigieuse n’énoncerait pas une telle obligation.

167    Par la huitième branche, la Commission reproche au Tribunal d’avoir jugé, au point 234 de l’arrêt attaqué, que, pour qu’un accord puisse être considéré comme « incitatif » à l’égard d’une partie, cet accord doit compenser ladite partie pour la perte résultant des clauses lui interdisant d’entrer sur certains marchés. Cette appréciation, premièrement, serait contraire à la jurisprudence qui exigerait simplement qu’un transfert de valeur soit suffisamment élevé pour inciter un fabricant de médicaments génériques à renoncer à entrer sur le marché et, deuxièmement, dénaturerait les éléments de preuve visés à la note en bas de page 2348 de la décision litigieuse sur la base desquels la Commission a considéré que les profits que Krka escomptait réaliser sur ses marchés principaux grâce à l’accord de licence Krka étaient suffisamment élevés pour la convaincre de renoncer à entrer sur les marchés principaux de Servier.

168    Krka estime que la cinquième branche est irrecevable, car elle vise à remettre en cause des appréciations factuelles et n’identifie pas avec précision les dénaturations et les erreurs alléguées. Sur le fond, aucune des dénaturations invoquées ne serait fondée.

169    Selon Krka, les sixième et septième branches sont non fondées et confirment d’ailleurs l’arrêt attaqué. En effet, au point 70 de son pourvoi, la Commission aurait admis que « le titulaire du brevet dispose de plusieurs options licites, y compris celle de conclure un accord fondé sur l’évaluation par chaque partie de la validité du brevet contesté et du fait que le produit générique enfreint ce brevet (sans être tenu d’accorder une licence) ou, autre possibilité, le titulaire pourrait conclure un accord de règlement amiable dont la portée géographique est la même que celle de l’accord de licence ». Or, l’option considérée comme licite par la Commission correspondrait aux faits de l’espèce, tels que constatés par le Tribunal.

170    De l’avis de Krka, il ressort des points 228 à 235 de l’arrêt attaqué que la huitième branche est manifestement non fondée.

2)      Appréciation de la Cour

171    Par la cinquième branche de son deuxième moyen, la Commission soutient que le Tribunal a dénaturé plusieurs éléments de preuve dans le cadre de ses appréciations portées, aux points 211 à 220 de l’arrêt attaqué, sur le niveau auquel le taux de redevance de l’accord de licence Krka a été fixé, afin de déterminer si cet accord a pu inciter cette entreprise à renoncer à entrer sur les marchés principaux de Servier. Or, la Cour a déjà constaté, aux points 160 à 162 du présent arrêt, que ce raisonnement du Tribunal repose sur l’application d’un critère juridiquement erroné, tenant à la question de savoir si l’accord de licence Krka avait été conclu aux conditions normales de marché. Les points 211 à 220 de l’arrêt attaqué étant, en raison de cette erreur de droit, entachés d’illégalité, il n’est pas nécessaire de statuer sur cette cinquième branche.

172    Par les sixième à huitième branches de son deuxième moyen, la Commission critique les appréciations effectuées aux points 228 à 234 de l’arrêt attaqué, par lesquelles le Tribunal a rejeté le raisonnement de la Commission selon lequel l’accord de licence Krka constituait une incitation à reporter son entrée sur les marchés principaux de Servier, au motif, en substance, que le champ d’application des clauses de non-commercialisation et de non-contestation prévues par l’accord de règlement amiable Krka était plus étendu que celui de l’accord de licence Krka. Or, ces appréciations du Tribunal reposent sur la prémisse selon laquelle un accord de licence ayant été conclu aux conditions normales de marché répondrait de ce fait au critère défini par le Tribunal, au point 199 de cet arrêt, et ne pourrait donc pas constituer une incitation à conclure un accord de règlement amiable de litiges relatifs à ce brevet contenant des clauses restrictives de la concurrence. Ce critère étant juridiquement erroné, les appréciations effectuées aux points 230 à 234 dudit arrêt reposent sur une prémisse qui est elle-même erronée et sont, dès lors, entachées d’illégalité. Il s’ensuit qu’il y a lieu d’accueillir les  sixième à huitième branches de ce moyen.

173    Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir le deuxième moyen.

5.      Sur le troisième moyen

174    Par son troisième moyen, la Commission soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’application de la notion de restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Ce moyen comporte six branches.

a)      Sur la première branche

1)      Argumentation des parties

175    Par la première branche de son troisième moyen, la Commission critique les points 240 à 242 de l’arrêt attaqué, par lesquels le Tribunal a considéré qu’un accord de partage de marché suppose une répartition « étanche » des marchés entre les parties. Cette appréciation serait contraire à l’article 101, paragraphe 1, sous c), TFUE, qui n’impose, ainsi qu’il ressortirait de l’arrêt du 27 juillet 2005, Brasserie nationale e.a./Commission (T‑49/02 à T‑51/02, EU:T:2005:298, point 156), aucune condition de cette nature pour la qualification d’accord de partage de marché ni, comme il résulterait, en particulier, de l’arrêt du 20 janvier 2016, Toshiba Corporation/Commission (C‑373/14 P, EU:C:2016:26, point 28), pour qualifier ce type d’accord de restriction de la concurrence par objet.

176    Selon Krka, cette argumentation repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué. Aux points 239 à 250 de cet arrêt, le Tribunal aurait non pas exigé une répartition « étanche » des marchés, mais constaté que les accords Krka n’avaient pas pour objet de répartir les marchés. S’agissant des marchés principaux de Krka, le Tribunal aurait considéré que la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 permettait à Servier d’exclure le périndopril de Krka. L’accord de licence Krka était non seulement dépourvu d’effets anticoncurrentiels, mais, en outre, il aurait eu un effet proconcurrentiel. Quant aux marchés principaux de Servier, la Commission aurait explicitement admis que la situation brevetaire empêchait Krka de commercialiser son périndopril. Krka ne disposait pas d’autorisations de mise sur le marché pour une version du périndopril qui ne soit pas contrefaisante. Krka n’était donc pas exclue des marchés principaux de Servier à cause de l’accord de règlement amiable Krka, mais en raison de l’effet combiné de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et de l’absence d’autorisation de mise sur le marché pour une version non contrefaisante du périndopril.

2)      Appréciation de la Cour

177    Après avoir, en substance, conclu, au point 221 de l’arrêt attaqué, que la Commission ne pouvait pas qualifier les accords de règlement amiable et de licence Krka de restriction de la concurrence par objet, le Tribunal a estimé que cette conclusion ne pouvait être infirmée par aucun des autres éléments retenus dans la décision litigieuse. Ainsi, pour les motifs énoncés aux points 239 à 250 de cet arrêt, le Tribunal a jugé que la Commission n’était pas fondée à considérer que ces accords étaient constitutifs d’un partage de marché entre Servier et Krka. En particulier, au point 241 dudit arrêt, il a constaté que Servier n’était pas exclue des marchés principaux de Krka. Au point 242 du même arrêt, il a déduit de ce constat qu’« il n’existait pas une partie du marché qui, en vertu des accords de règlement amiable et de licence [Krka], aurait été réservée à Krka » et que, dès lors, il ne pouvait « être conclu à l’existence d’un partage de marché, au sens d’une répartition étanche entre les parties aux accords, concernant cette partie du marché intérieur ».

178    Or, la circonstance qu’un accord consistant à répartir les marchés ne soit pas « étanche » ne fait nullement obstacle à sa qualification de restriction de la concurrence par objet. En effet, l’article 101, paragraphe 1, sous c), TFUE interdit expressément les accords consistant à répartir les marchés. Il résulte de la jurisprudence visée au point 64 du présent arrêt que des accords de coopération horizontale entre entreprises portant sur la répartition des marchés relèvent, compte tenu de leur caractère particulièrement grave, de la qualification de restriction de la concurrence par objet (arrêt de ce jour, Commission/Servier e.a., C-176/19 P, point 216).

179    L’article 101, paragraphe 1, sous c), TFUE ne comporte à cet égard aucune condition particulière prévoyant que l’interdiction qu’il édicte soit limitée aux seuls accords qui instaurent une répartition « étanche » entre ces marchés, au moyen, par exemple, de dispositions réservant l’accès à certains de ces marchés à l’une de ces entreprises, à l’exclusion de l’autre, ou interdisant les exportations d’un marché vers un autre. Ainsi, en l’absence de toute disposition spécifique à cet égard, il n’y a pas lieu d’opérer une distinction entre les accords de répartition de marché sur le fondement d’une condition que l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne prévoit pas et qu’aucune considération liée à la finalité ou à l’économie de cette disposition ne permet d’envisager.

180    Au demeurant, l’interprétation retenue par le Tribunal reviendrait à faire échapper à la qualification de restriction de la concurrence par objet des accords consistant à répartir des marchés, notamment en réservant certains marchés à une entreprise en contrepartie de l’octroi par celle-ci d’une licence de brevet à une autre entreprise opérant à un même niveau de la chaîne de production ou de distribution, permettant ainsi à cette seconde entreprise d’entrer sur d’autres marchés sans risque de contrefaçon, ce qui réduirait la pleine efficacité de l’interdiction édictée à l’article 101, paragraphe 1, sous c), TFUE, et porterait gravement atteinte à la mise en œuvre du droit de la concurrence de l’Union, eu égard à la nature clairement anticoncurrentielle de tels accords.

181    Dès lors, en jugeant, au point 242 de l’arrêt attaqué, que, faute pour les accords de règlement amiable et de licence Krka d’avoir réservé une partie du marché à Krka, « [i]l ne peut donc être conclu à l’existence d’un partage de marché, au sens d’une répartition étanche entre les parties [à ces] accords, concernant [une] partie du marché intérieur », le Tribunal s’est appuyé sur une interprétation erronée de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et a entaché ledit point 242 d’illégalité.

182    Il s’ensuit qu’il y a lieu d’accueillir la première branche du troisième moyen.

b)      Sur la deuxième branche

1)      Argumentation des parties

183    Par la deuxième branche de son troisième moyen, la Commission critique le point 248 de l’arrêt attaqué, dont il ressortirait qu’un ensemble contractuel fondé sur la reconnaissance par les parties de la validité du brevet concerné ne peut être qualifié d’accord d’exclusion du marché. Le Tribunal aurait dénaturé le sens clair des preuves relatives à la perception par les parties de la validité du brevet 947. Quand bien même l’accord de règlement amiable Krka aurait été fondé sur cette reconnaissance, cet accord ne pouvait échapper à l’interdiction prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, dès lors que ledit accord avait pour objet de diviser le marché.

184    Krka conteste la recevabilité de cette deuxième branche. La Commission n’indiquerait pas précisément les éléments qui auraient été dénaturés, ni ne démontrerait les erreurs d’analyse qui auraient, selon elle, conduit à une telle dénaturation. Le grief tiré d’une prétendue erreur de droit serait, quant à lui, infondé, car il reposerait sur la prémisse erronée de l’existence d’un accord de partage de marché.

2)      Appréciation de la Cour

185    Contrairement à ce que prétend Krka, la Commission a indiqué les éléments de preuve dont elle invoque la dénaturation, en renvoyant, dans une note en bas de page, d’une manière précise aux éléments de preuve visés dans le cadre de la quatrième branche de son premier moyen. La deuxième branche du troisième moyen est donc recevable.

186    Au point 248 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que, « en l’absence de démonstration de l’existence d’une incitation [...], les clauses de non-commercialisation et de non-contestation doivent être regardées comme résultant d’un accord légitime de règlement amiable d’un litige en matière de brevets auquel est associé un accord de licence » et qu’« [u]n tel ensemble contractuel, fondé sur la reconnaissance de la validité du brevet, ne peut, dès lors, être qualifié d’accord d’exclusion du marché ».

187    Il y a lieu de considérer, conformément à ce qui a été jugé aux points 69 et 94 du présent arrêt, que, si la reconnaissance de la validité d’un brevet faisant l’objet d’un litige entre deux parties peut constituer un élément pertinent afin d’apprécier si, sur un même marché, les restrictions de la concurrence induites d’un accord de règlement amiable de ce litige peuvent être atténuées, voire neutralisées, par la conclusion, entre les mêmes parties, d’un accord de licence de ce brevet, cette reconnaissance ne constitue pas, en soi, un facteur décisif, voire pertinent, pour déterminer si une pratique collusoire telle que celle imputée, par la décision litigieuse, à Servier et à Krka, consistant à se répartir des marchés au moyen d’un accord de règlement amiable d’un litige de brevet qui concerne, notamment, des marchés relevant du champ géographique de l’infraction et d’un accord de licence de ce brevet portant sur des marchés qui n’en relèvent pas, peut être qualifiée de restriction de la concurrence par objet.

188    Or, il résulte des considérations exposées aux points 69, 94, 141 à 147 et 187 du présent arrêt que, en se fondant, d’une part, sur la reconnaissance par Krka du brevet 947 alors que ce facteur n’est pas, en soi, décisif et, d’autre part, sur le contenu et la forme des accords de règlement amiable et de licence Krka plutôt que sur l’analyse concrète de leur nocivité pour la concurrence, au vu du contexte dans lequel ils s’inscrivent, afin d’invalider la qualification de ces accords de restriction de la concurrence par objet, le Tribunal a commis une erreur de droit.

189    Par ailleurs, il est vrai qu’un accord de règlement amiable d’un litige relatif à un brevet et un accord de licence de ce brevet peuvent être conclus, dans un but légitime et en toute légalité, sur le fondement de la reconnaissance par les parties de la validité dudit brevet, en l’absence de toute autre circonstance constitutive d’une infraction à l’article 101 TFUE. Cependant, le fait que de tels accords poursuivent un objectif légitime n’est pas de nature à les faire échapper à l’application de l’article 101 TFUE s’il s’avère qu’ils visent également à répartir des marchés ou à réaliser d’autres restrictions à la concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 30 janvier 1985, BAT Cigaretten-Fabriken/Commission, 35/83, EU:C:1985:32, point 33, et du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 70).

190    Dès lors, il y a lieu d’accueillir la deuxième branche du troisième moyen.

c)      Sur la troisième branche

1)      Argumentation des parties

191    Par la troisième branche de son troisième moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal, aux points 223 et 224 de l’arrêt attaqué, a dénaturé les termes de l’accord de licence Krka. Le Tribunal aurait affirmé que l’éventuelle instauration d’un duopole de fait dans les sept États membres couverts par cet accord – les marchés principaux de Krka – résultait non pas des termes dudit accord, mais de choix ultérieurs opérés individuellement par Servier et par Krka. Or, cette affirmation serait contredite par l’article 2, paragraphe 2, du même accord aux termes duquel Servier s’est engagée à ne pas autoriser un troisième opérateur à utiliser le brevet 947 sur ces sept marchés nationaux.

192    Krka soutient qu’il ressort clairement de la décision litigieuse que les griefs de la Commission étaient dirigés non pas contre le fait que Krka soit l’unique bénéficiaire d’une licence du brevet 947, mais contre l’avantage que cette licence procurait à Krka. Au point 223 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait, à juste titre, écarté ce grief en considérant que le « duopole avantageux entre Servier et Krka » ne résultait pas « de [l’accord de licence Krka] lui-même, mais de choix opérés par Servier et Krka postérieurement à celui-ci ». Il s’ensuit que le Tribunal était fondé à considérer que la Commission n’avait pas établi que Krka avait été incitée, au moyen de cet accord de licence, à conclure l’accord de règlement amiable Krka et, par voie de conséquence, que la qualification de restriction de la concurrence par objet ne pouvait pas être retenue.

2)      Appréciation de la Cour

193    Au point 223 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que, quand bien même l’accord de licence Krka aurait permis l’instauration d’un « duopole avantageux » entre Servier et Krka, « un tel duopole ne résultait pas de l’accord lui-même mais de choix opérés par Servier et Krka postérieurement à celui-ci, à savoir, s’agissant de Servier, le choix de ne pas accorder de licence à une autre société de génériques ou de ne pas commercialiser lui-même une version générique à bas prix de son propre périndopril [...] et, s’agissant de Krka, le choix de ne pas engager une politique agressive basée sur les prix ».

194    À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 2 de l’accord de licence Krka, qui est mentionné au point 20 de l’arrêt attaqué et qui figure à l’annexe B.3 du mémoire en défense de la Commission dans l’affaire T‑684/14, est rédigé comme suit :

« Par la présente, Servier concède à Krka une licence exclusive et irrévocable sur le brevet 947 et Krka l’accepte en vue d’utiliser, de fabriquer, de vendre, de proposer à la vente, de promouvoir et d’importer des produits de Krka contenant la forme cristalline alpha du sel de périndopril tert-butylamine sur le territoire pendant la durée du présent accord.

Sans préjudice de ce qui précède, Servier se réserve le droit, directement ou par l’intermédiaire de ses filiales ou par l’intermédiaire d’un seul tiers par pays, d’utiliser le brevet 947 pour exécuter l’une des opérations mentionnées ci-dessus sur le territoire.

Krka n’est pas autorisée à concéder des sous-licences, à part celles qu’elle concède à ses filiales, sans l’accord préalable écrit de Servier. »

195    Il ressort ainsi de ces termes clairs et précis que Servier a octroyé à Krka, à titre exclusif et irrévocable, la licence du brevet 947, sous réserve du droit pour Servier d’utiliser ce brevet « directement par l’intermédiaire de ses filiales ou d’un seul tiers par pays ». Si l’existence de cette réserve peut contribuer à expliquer le langage prudent utilisé par la Commission, qui s’est bornée à faire état, notamment aux considérants 1728, 1734 et 1742 de la décision litigieuse, d’un duopole « de fait » sur les marchés principaux de Krka, il demeure que les termes de cette réserve, lus à la lumière du caractère exclusif et irrévocable de la licence accordée à Krka, ne sauraient être interprétés comme permettant à Servier d’accorder une licence dudit brevet à un autre fabricant de médicaments génériques qui, tout en agissant indépendamment de Servier, pourrait concurrencer Krka. Ainsi, en affirmant, au point 223 de l’arrêt attaqué, qu’un duopole entre Servier et Krka résulterait non pas des dispositions de l’accord de licence Krka mais du choix opéré postérieurement par Servier « de ne pas accorder une licence à une autre société de génériques », le Tribunal a procédé à une lecture de cet accord qui est incompatible avec son libellé. En dénaturant le sens dudit accord, le Tribunal a entaché d’illégalité le point 223 de cet arrêt.

196    Dans ces conditions, il convient d’accueillir la troisième branche du troisième moyen.

d)      Sur la quatrième branche

1)      Argumentation des parties

197    Par la quatrième branche de son troisième moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, aux points 225 et 226 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse ne pouvait pas se fonder sur l’instauration d’un duopole entre Servier et Krka pour constater l’existence d’une restriction de la concurrence par objet sans analyser les effets potentiels des accords de règlement amiable et de licence Krka. En effet, ces accords avaient, de l’avis de la Commission, pour objet de modifier sensiblement la structure des marchés principaux de Servier en accordant une licence à Krka en contrepartie de la renonciation de cette dernière à entrer sur ces marchés. Par conséquent, l’examen de leurs effets n’aurait pas été nécessaire et n’aurait été entrepris dans la décision litigieuse que par souci d’exhaustivité.

198    Krka rétorque que cette argumentation procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué. Le Tribunal aurait souverainement constaté que les éléments sur la base desquels la Commission a allégué la possibilité d’un duopole de fait n’étaient pas objectivement prévisibles à la date de conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka, mais étaient seulement hypothétiques.

2)      Appréciation de la Cour

199    Il convient de rappeler que, ainsi qu’il découle de la jurisprudence citée au point 63 du présent arrêt, la notion de restriction de la concurrence par objet ne peut être appliquée qu’à certains accords entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire.

200    Afin d’apprécier si un accord entre entreprises présente un tel degré de nocivité, il y a lieu de s’attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. Dans le cadre de l’appréciation dudit contexte, il convient également de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question (arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 53).

201    Toutefois, ainsi qu’il a été rappelé aux points 60 et 61 du présent arrêt, et comme le souligne à juste titre la Commission, s’agissant de pratiques qualifiées de restrictions de la concurrence par objet, il n’y a pas lieu d’en rechercher ni a fortiori d’en démontrer les effets sur la concurrence. En effet, l’expérience montre que certains comportements sont susceptibles en soi d’avoir des conséquences négatives sur les marchés (voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 51, et du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 162). En outre, il résulte de la jurisprudence rappelée au point 64 du présent arrêt que les accords qui visent la répartition des marchés ont un objet restrictif de la concurrence en eux-mêmes et relèvent d’une catégorie d’accords expressément interdite par l’article 101, paragraphe 1, TFUE, cette interdiction ne pouvant être remise en cause au moyen d’une analyse du contexte économique dans lequel le comportement anticoncurrentiel en cause s’inscrit.

202    Dès lors, ainsi que le Tribunal l’a lui-même relevé aux points 124 et 225 de l’arrêt attaqué, il ressort de la jurisprudence de la Cour rappelée aux points 199 à 201 du présent arrêt que l’établissement de l’existence d’une restriction de la concurrence par objet ne saurait, sous couvert notamment de l’examen du contexte économique et juridique de l’accord en cause, conduire à apprécier les effets de cet accord, sous peine de faire perdre son effet utile à la distinction entre objet et effet restrictif de concurrence établie à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Or, le Tribunal a également jugé au même point 225 de cet arrêt, en se référant exclusivement aux conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire ING Pensii (C‑172/14, EU:C:2015:272), que la Commission et le juge de l’Union ne peuvent, lors de l’examen de l’objet restrictif d’un accord et, en particulier, dans le cadre de la prise en compte de son contexte économique et juridique, ignorer complètement les effets potentiels de cet accord. Au point 226 du même arrêt, il a donc relevé que « les prétendus effets potentiels en cause, c’est-à-dire le duopole allégué par la Commission, sont fondés sur des circonstances hypothétiques et ainsi non objectivement prévisibles à la date de conclusion [des accords de règlement amiable et de licence Krka] ».

203    Force est de constater que le point 225 de l’arrêt attaqué est entaché d’une contradiction interne, car il indique à la fois que les effets d’une restriction de la concurrence par objet ne doivent pas être appréciés aux fins d’établir l’existence de cette restriction et que de tels effets ne peuvent pas être ignorés lors de l’examen de l’objet restrictif d’un accord. Or, ces deux affirmations sont incompatibles.

204    En outre, le point 225 de l’arrêt attaqué contient une erreur de droit dans la mesure où le Tribunal a observé que la Commission et le juge de l’Union ne peuvent, lors de l’examen de l’objet restrictif d’un accord, ignorer complètement les effets potentiels de cet accord. En effet, cette observation, qui ne se fonde sur aucun arrêt de la Cour, contredit directement la jurisprudence rappelée aux points 199 à 201 du présent arrêt, selon laquelle, s’agissant de pratiques qualifiées de restrictions de la concurrence par objet, il n’y a pas lieu d’en rechercher ni a fortiori d’en démontrer les effets sur la concurrence.

205    Cette appréciation erronée confond, par ailleurs, l’exercice consistant à vérifier si un comportement est susceptible, par sa nature même, de nuire systématiquement à la concurrence en raison de caractéristiques qui lui sont propres et s’il présente donc un degré de nocivité suffisant pour être qualifié de restriction de la concurrence par objet avec celui consistant à analyser les effets, réels ou potentiels, d’un comportement spécifique dans un cas particulier, qui est pertinent uniquement pour apprécier l’existence d’une éventuelle restriction de la concurrence par effet.

206    En effet, aux fins d’établir si un comportement présente un tel degré de nocivité, il n’est en aucune manière nécessaire d’examiner, et à plus forte raison de démontrer, les effets de ce comportement sur la concurrence, qu’ils soient réels ou potentiels et négatifs ou positifs (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, points 159, 162 et 166 ainsi que jurisprudence citée).

207    Compte tenu de la jurisprudence rappelée aux points 199 à 201 et 206 du présent arrêt, qui exclut la prise en compte des effets d’un accord ou d’une pratique, le Tribunal a commis une erreur de droit, au point 226 de l’arrêt attaqué, en introduisant, dans son raisonnement relatif à la restriction de la concurrence par objet constatée dans la décision litigieuse et fondée sur le fait que les accords de règlement amiable et de licence Krka donnaient lieu à une répartition des marchés géographiques dans l’Union, des considérations relatives au caractère prétendument hypothétique des effets potentiels de ces accords, considérations qu’il n’appartenait pas à la Commission de prendre en compte à cet égard.

208    Il convient, par conséquent, d’accueillir la quatrième branche du troisième moyen.

e)      Sur la cinquième branche 

1)      Argumentation des parties

209    Par la cinquième branche de son troisième moyen, la Commission critique le Tribunal pour avoir, au point 259 de l’arrêt attaqué, écarté la déclaration de Lupin visée au considérant 1730 de la décision litigieuse, selon laquelle il « semblerait que, du point de vue de Servier, la justification de [l’accord de règlement amiable Krka] soit la protection des marchés principaux dans lesquels on constate la prédominance d’un niveau élevé de substitution et/ou d’une prescription de [dénomination commune internationale] », au motif que cette déclaration ne permet pas de prouver l’intention de Servier d’adopter avec Krka des accords de partage ou d’exclusion du marché. Or, cette déclaration visait, selon la Commission, non pas à prouver l’intention de Servier, mais à corroborer une déclaration ultérieure de Krka, permettant de démontrer que les accords de règlement amiable et de licence Krka avaient rendu possible une forme de partage de marché, contribuant ainsi à établir l’objet anticoncurrentiel de ces accords.

210    Krka conteste cette argumentation. Au point 259 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait estimé que ladite déclaration de Lupin ne permettait pas d’établir l’existence d’un accord de partage de marché. Krka souligne que, dans la décision litigieuse, la Commission se serait référée à cette même déclaration dans une section concernant non pas l’objet des accords de règlement amiable et de licence Krka, mais dans une section concernant l’intérêt de Servier pour les engagements de Krka contenus dans l’accord de règlement amiable Krka.

2)      Appréciation de la Cour

211    Il y a lieu de rappeler qu’il ressort de l’article 256, paragraphe 1, TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le pourvoi est limité aux questions de droit et que le Tribunal est, dès lors, seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que les éléments de preuve. L’appréciation des faits et des éléments de preuve ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 16 février 2023, Commission/Italie, C‑623/20 P, EU:C:2023:97, point 116 et jurisprudence citée).

212    En l’espèce, force est de constater que la Commission n’invoque pas de dénaturation, de telle sorte que la cinquième branche du troisième moyen est irrecevable.

f)      Sur la sixième branche

1)      Argumentation des parties

213    Par la sixième branche de son troisième moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal, aux points 130, 182 et 194 de l’arrêt attaqué, a procédé à une interprétation erronée du règlement (CE) no 772/2004 de la Commission, du 27 avril 2004, concernant l’application de l’article [101, paragraphe 3, TFUE] à des catégories d’accords de transfert de technologie (JO 2004, L 123, p. 11), et de la communication de la Commission intitulée « Lignes directrices relatives à l’application de l’article [101 TFUE] aux accords de transfert de technologie » (JO 2004, C 101, p. 2).

214    Krka soutient que le Tribunal a jugé que les accords de règlement amiable et de licence Krka ne constituaient pas une restriction de la concurrence par objet en se fondant sur une analyse globale des clauses de ces accords et du contexte dans lequel ils ont été conclus. La Commission ferait abstraction du fait que le périndopril de Krka ne pouvait pas être commercialisé sur les marchés principaux de Servier non pas en raison desdits accords, mais à cause du brevet 947.

2)      Appréciation de la Cour

215    Il y a lieu de constater que le point 130 de l’arrêt attaqué, qui se borne, en substance, à rappeler et à commenter certains points des lignes directrices visées au point 213 du présent arrêt, fait partie des considérations liminaires ayant conduit le Tribunal à déclarer, au point 131 de l’arrêt attaqué, qu’« il convient de trouver un point d’équilibre entre, d’une part, la nécessité de permettre aux entreprises de procéder à des règlements amiables dont le développement est favorable à la collectivité et, d’autre part, la nécessité de prévenir le risque d’un usage détourné des accords de règlement amiable, contraire au droit de la concurrence, conduisant au maintien des brevets dépourvus de toute validité et, en particulier dans le secteur des médicaments, à une charge financière injustifiée pour les budgets publics ». Or, de telles considérations liminaires étant, en raison de leur généralité, sans influence sur le dispositif de cet arrêt, le grief dirigé contre le point 130 dudit arrêt est donc inopérant. En outre, il découle des considérations exposées aux points 142 à 147 du présent arrêt, en réponse à la deuxième branche du deuxième moyen, que les points 179 à 208 de l’arrêt attaqué sont entachés d’illégalité. Dès lors, il n’est pas nécessaire de répondre aux griefs remettant en cause les points 182 et 194 de l’arrêt attaqué.

216    Les première à quatrième branches étant fondées, il y a lieu d’accueillir le troisième moyen.

6.      Sur le quatrième moyen

217    Par son quatrième moyen, la Commission conteste les appréciations auxquelles s’est livré le Tribunal quant à l’intention des parties aux accords Krka. Ce moyen se compose de quatre branches.

a)      Sur la première branche

1)      Argumentation des parties

218    Par la première branche de son quatrième moyen, la Commission critique le Tribunal pour avoir jugé, au point 251 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse n’avait pas démontré que Servier ou Krka avait eu l’intention de conclure des accords anticoncurrentiels. En effet, une telle preuve ne serait pas requise, puisque l’infraction imputée à ces entreprises est une restriction de la concurrence par objet. Quand bien même lesdites entreprises n’auraient pas eu l’intention de restreindre la concurrence, cette circonstance serait sans incidence sur le fait que les accords Krka présentaient, dans les marchés principaux de Servier, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour justifier leur qualification de restriction de la concurrence par objet.

219    Krka soutient que, si la preuve de l’intention anticoncurrentielle des parties n’est pas requise pour établir le caractère restrictif de la concurrence d’un accord entre entreprises, rien n’interdit aux autorités de concurrence ou aux juridictions de tenir compte de cette intention. Or, le Tribunal aurait, à juste titre, considéré que la Commission n’était pas parvenue à établir l’intention des parties de se répartir les marchés nationaux du périndopril.

2)      Appréciation de la Cour

220    Après avoir jugé, en substance, au point 221 de l’arrêt attaqué, que la Commission ne pouvait pas qualifier les accords de règlement amiable et de licence Krka de restriction de la concurrence par objet, le Tribunal a estimé que cette appréciation ne pouvait pas être infirmée par les autres éléments retenus dans la décision litigieuse. Parmi ces éléments, le point 251 de cet arrêt énonce que « la Commission n’a pas démontré que Servier ou Krka avait eu l’intention de procéder à un accord de partage ou d’exclusion du marché ou encore que Servier avait entendu inciter Krka à renoncer à lui faire concurrence ou que Krka avait eu l’intention de renoncer, en échange d’un avantage incitatif, à exercer une pression concurrentielle sur Servier ». Pour les motifs exposés aux points 252 à 260 dudit arrêt, le Tribunal a, ensuite, écarté certaines preuves relatives aux intentions des parties aux accords Krka visées par la décision litigieuse, et considéré, au point 261 du même arrêt que, en tout état de cause, la Commission n’avait pas été en mesure de produire des indices pertinents et convergents permettant de remettre en cause la conclusion à laquelle il était parvenu au point 221 de l’arrêt attaqué.

221    À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi qu’il a été relevé aux points 75 et 145 du présent arrêt, la circonstance que des entreprises dont le comportement pourrait être qualifié de restriction de la concurrence par objet ont agi sans avoir l’intention d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence et le fait qu’elles ont poursuivi certains objectifs légitimes ne sont pas déterminants aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 167 et jurisprudence citée). Si des preuves relatives aux intentions des parties à un accord peuvent contribuer, dans certains cas, à établir quels sont les buts objectifs que cet accord vise à atteindre à l’égard de la concurrence, il résulte de la jurisprudence rappelée au présent point que, en reprochant à la Commission de ne pas avoir démontré, en substance, que Servier ou Krka avait l’intention de restreindre la concurrence entre elles, alors qu’une telle démonstration n’était pas requise aux fins d’établir l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, le Tribunal a commis une erreur de droit et entaché d’illégalité le point 251 de l’arrêt attaqué.

222    La première branche du quatrième moyen doit, dès lors, être accueillie.

b)      Sur la deuxième branche

1)      Argumentation des parties

223    Par la deuxième branche de son quatrième moyen, la Commission soutient que le Tribunal, en statuant aux points 252 à 260 de l’arrêt attaqué sur l’intention de Servier et de Krka de se répartir les marchés, a commis des erreurs dans l’interprétation des principes gouvernant l’analyse des preuves. Elle invoque quatre griefs à cet égard.

224    Premièrement, s’agissant de la reconnaissance par Servier et Krka de la validité du brevet 947, le Tribunal se serait limité, aux points 253 à 260 de cet arrêt, à examiner certaines pièces mentionnées dans la décision litigieuse, alors qu’il était tenu de vérifier si l’ensemble des preuves documentaires, analysées comme un tout, permettait d’établir une infraction selon le standard de preuve requis. Le Tribunal aurait ainsi omis de prendre en considération les documents visés aux considérants 873, 874 et 1759 de la décision litigieuse.

225    Deuxièmement, s’agissant de l’importance accordée, au point 252 dudit arrêt, au contenu des accords de règlement amiable et de licence Krka, le Tribunal aurait, en substance, suivi un raisonnement erroné, de type « a contrario », et mal interprété la jurisprudence issue de l’arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 57), concernant les inférences pouvant être tirées d’indices lorsque les parties n’ont pas conservé de preuves documentaires du contenu de leur accord. En effet, le Tribunal en a déduit que le fait que le contenu d’un accord est disponible relativise la pertinence des autres preuves documentaires. En l’absence de cette erreur de droit, le Tribunal aurait dû prendre en compte un courriel de Krka du 29 septembre 2005, identifiant la stratégie anticoncurrentielle poursuivie ainsi que la déclaration de Lupin, visée aux considérants 1730 et 1748 de la décision litigieuse, corroborant l’existence de cette stratégie.

226    Troisièmement, au point 252 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en jugeant, de manière générale et abstraite, que des documents contemporains d’accords « ne peuvent aisément remettre en cause une conclusion fondée sur le contenu même de ces accords ». En effet, une telle hiérarchie dans l’administration de la preuve n’existerait pas. Le Tribunal aurait méconnu la fonction principale de la preuve qui est d’établir de manière convaincante les mérites d’un argument et commis une erreur de droit en ne vérifiant pas la crédibilité de toutes les preuves visées aux considérants 1758 à 1760 de la décision litigieuse.

227    Quatrièmement, la Commission soutient que le point 255 de l’arrêt attaqué est insuffisamment motivé. En particulier, cet arrêt n’expliquerait pas pourquoi les preuves visées aux considérants 1758 à 1760 de la décision litigieuse, lus en combinaison avec les considérants 1687 à 1690 de cette décision, ne suffisaient pas à établir que Krka ne reconnaissait pas la validité du brevet 947.

228    Selon Krka, l’argumentation de la Commission visant à remettre en cause les constatations factuelles ainsi que l’appréciation des preuves effectuées par le Tribunal, elle doit être rejetée comme étant irrecevable.

229    En outre, cette argumentation serait dénuée de fondement.

230    Premièrement, le Tribunal aurait bien recherché si les constatations de la Commission étaient étayées par l’ensemble des preuves invoquées dans la décision litigieuse. Cela étant, le Tribunal n’était pas tenu de fournir un exposé qui suivait exhaustivement tous les arguments ni de prendre expressément position sur chacun des moyens de preuve soumis par la Commission.

231    Deuxièmement, l’allégation selon laquelle les accords Krka n’avaient pas fait l’objet d’une large publicité serait contredite par le document interne de Lupin mentionné au considérant 915 de la décision litigieuse. Krka souligne que la Commission a pu disposer aisément du contenu complet des accords Krka.

232    Troisièmement, l’argument selon lequel le Tribunal aurait établi une hiérarchie entre les preuves serait dénué de fondement. Le Tribunal aurait vérifié la fiabilité de l’ensemble des éléments factuels sous-tendant les considérants 1758 à 1760 de la décision litigieuse.

233    Quatrièmement, Krka soutient qu’est irrecevable le grief de la Commission dirigé contre la valeur probante des faits et des preuves sur lesquels le Tribunal s’est appuyé pour considérer que, au moment de la conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka, Krka estimait que le brevet 947 était valide.

2)      Appréciation de la Cour

234    Par la deuxième branche de son quatrième moyen, la Commission ne demande pas à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation des faits ou des preuves, mais invoque la violation de règles procédurales relatives aux preuves. Contrairement à ce que prétend Krka, une telle argumentation relève de la compétence de la Cour dans le cadre de la procédure de pourvoi et, dès lors, est recevable.

235    Sur le fond, la Commission ayant avancé, dans le cadre de son premier grief, des arguments qui se recoupent avec ceux invoqués dans la quatrième branche de son quatrième moyen, il convient d’examiner l’ensemble de ces arguments dans le cadre de l’appréciation de cette quatrième branche.

236    S’agissant du quatrième grief, pris d’un défaut de motivation, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, la motivation d’un arrêt doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement du Tribunal, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la décision prise et à la Cour d’exercer son contrôle juridictionnel (arrêt du 9 mars 2023, Les Mousquetaires et ITM Entreprises/Commission, C‑682/20 P, EU:C:2023:170, point 40 ainsi que jurisprudence citée).

237    Le Tribunal, au point 255 de l’arrêt attaqué, a écarté les éléments de preuve visés aux considérants 849 à 854 et 1758 à 1760 de la décision litigieuse, au motif qu’ils étaient trop « fragmentaires ou ambigus » pour infirmer la constatation opérée par le Tribunal selon laquelle Krka avait fini par reconnaître la validité du brevet 947. Cette motivation, certes laconique, est néanmoins suffisante pour comprendre, à la lumière du point 252 de cet arrêt, les raisons pour lesquelles le Tribunal a ainsi écarté ces éléments de preuve. Le quatrième grief étant non fondé, il doit, dès lors, être rejeté.

238    S’agissant des deuxième et troisième griefs, qu’il convient d’examiner ensemble, la Commission fait valoir, en substance, que le point 252 de l’arrêt attaqué est entaché d’une erreur de droit en ce que le Tribunal a jugé que des documents contemporains d’accords ne peuvent aisément remettre en cause une conclusion fondée sur le contenu même de ces accords.

239    Au point 252 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé, à bon droit, en se référant à l’arrêt du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission (C‑403/04 P et C‑405/04 P, EU:C:2007:52, point 51), que, même si la Commission découvre des pièces attestant de manière explicite une prise de contact illégitime entre des opérateurs, celles-ci ne seront normalement que fragmentaires et éparses, de sorte qu’il se révèle souvent nécessaire de reconstituer certains détails par des déductions. Il a cependant considéré, à ce point 252, que les accords de règlement amiable et de licence Krka étaient « de véritables contrats qui ont d’ailleurs fait l’objet d’une large publicité (considérant 915 de la décision [litigieuse]) », que, « [l]a Commission ayant pu disposer aisément du contenu complet des accords en cause, la jurisprudence qui vient d’être citée s’applique avec moins d’évidence », et que, « [a]insi, des déductions tirées d’extraits partiels de courriels ou d’autres documents censés établir les intentions des parties ne peuvent aisément remettre en cause une conclusion qui serait fondée sur le contenu même des accords, c’est-à-dire sur les liens juridiques contraignants que les parties ont décidé d’instaurer entre elles ».

240    À cet égard, il importe de rappeler que, en droit de l’Union, le principe qui prévaut est celui de la libre administration des preuves et le seul critère pour apprécier les preuves produites réside dans leur crédibilité (arrêts du 25 janvier 2007, Dalmine/Commission, C‑407/04 P, EU:C:2007:53, points 49 et 63, ainsi que du 27 avril 2017, FSL e.a./Commission, C‑469/15 P, EU:C:2017:308, point 38).

241    Pour satisfaire à la charge de la preuve qui lui incombe, la Commission doit réunir des éléments de preuve suffisamment sérieux, précis et concordants pour fonder la ferme conviction que l’infraction alléguée a eu lieu (voir, en ce sens, arrêts du 28 mars 1984, Compagnie royale asturienne des mines et Rheinzink/Commission, 29/83 et 30/83, EU:C:1984:130, point 20, ainsi que du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, C‑403/04 P et C‑405/04 P, EU:C:2007:52, points 42 et 45).

242    Cependant, chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence (voir, en ce sens, arrêts du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, points 513 à 523, ainsi que du 14 mai 2020, NKT Verwaltungs et NKT/Commission, C‑607/18 P, EU:C:2020:385, point 180).

243    Ces principes relatifs à l’administration de la preuve s’appliquent non seulement lorsque la Commission doit déduire l’existence même d’une pratique collusoire d’éléments de preuve fragmentaires et épars, mais également lorsque la Commission a pu disposer du contenu d’accords destinés à mettre en œuvre cette pratique. En effet, dans une telle situation, le contenu même de ces accords ne permet pas nécessairement de déterminer si lesdits accords s’inscrivent dans le cadre d’une pratique anticoncurrentielle, ni, à plus forte raison, si cette pratique présente un degré de nocivité suffisant pour pouvoir être qualifiée de restriction de la concurrence par objet (arrêt de ce jour, Commission/Servier e.a., C-176/19 P, point 274).

244    Or, ainsi qu’il a déjà été exposé, au point 146 du présent arrêt, en réponse à la deuxième branche du deuxième moyen, le fait que les termes d’accords destinés à mettre en œuvre une pratique collusoire ne dévoilent pas un objet anticoncurrentiel n’est pas, en soi, déterminant. C’est pourquoi il est nécessaire de tenir compte non seulement du contenu de ces accords, mais également de leurs objectifs ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel ils s’insèrent (voir, en ce sens, arrêts du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C‑345/14, EU:C:2015:784, point 20, ainsi que du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C‑179/16, EU:C:2018:25, points 78 et 79). À cet égard, bien que l’intention des parties ne constitue pas un élément nécessaire pour déterminer le caractère restrictif d’un accord entre entreprises, rien n’interdit aux autorités de la concurrence ou aux juridictions nationales et de l’Union d’en tenir compte (arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 54 et jurisprudence citée), notamment afin de comprendre le véritable objet de cet accord à la lumière du contexte dans lequel il a été conclu, ainsi qu’il a été jugé au point 221 du présent arrêt.

245    Dès lors, premièrement, le Tribunal a violé le principe de la libre administration de la preuve en droit de l’Union en jugeant, au point 252 de l’arrêt attaqué, qu’il existe une distinction en droit, s’agissant de la prise en compte d’éléments fragmentaires et épars pour établir l’existence d’une infraction, entre les situations dans lesquelles la Commission dispose du contenu d’accords anticoncurrentiels et celles dans lesquelles elle n’en dispose pas. Deuxièmement, il a commis une erreur de droit en observant, à ce point 252, que « des déductions tirées d’extraits partiels de courriels ou d’autres documents censés établir les intentions des parties ne peuvent aisément remettre en cause une conclusion qui serait fondée sur le contenu même des accords, c’est-à-dire sur les liens juridiques contraignants que les parties ont décidé d’instaurer entre elles ». Ce faisant, le Tribunal a entaché d’illégalité ses appréciations figurant aux points 252 à 261 de cet arrêt.

246    La deuxième branche du quatrième moyen, prise en ses deuxième et troisième griefs, doit, dès lors, être accueillie.

c)      Sur la troisième branche

1)      Argumentation des parties

247    Par la troisième branche de son quatrième moyen, la Commission soutient que, pour les raisons exposées dans le cadre de la cinquième branche de son premier moyen, les points 253 et 260 de l’arrêt attaqué sont entachés d’une erreur de droit.

248    Selon Krka, cette troisième branche doit être rejetée pour les mêmes raisons que celles qui justifieraient le rejet de la cinquième branche du premier moyen.

2)      Appréciation de la Cour

249    La cinquième branche du premier moyen ayant été accueillie au point 127 du présent arrêt, il n’y a pas lieu de statuer de manière autonome sur la troisième branche du quatrième moyen.

d)      Sur la quatrième branche

1)      Argumentation des parties

250    Par la quatrième branche de son quatrième moyen, la Commission critique le Tribunal pour avoir, aux points 235, 236, 246, 262 et 396 de l’arrêt attaqué, enfreint les principes lui imposant d’analyser la globalité des preuves. Le Tribunal aurait « préféré » des preuves subjectives postérieures à la date de conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka, aux preuves contemporaines visées aux points 251 à 260 de cet arrêt, alors que ces dernières lui auraient permis de vérifier si Krka reconnaissait effectivement la validité du brevet 947. Quand bien même cette entreprise aurait prétendu que la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 l’avait conduite à croire que le brevet 947 était valide, une telle allégation ne pouvait pas résister à une évaluation de la globalité des preuves. Le Tribunal aurait commis une erreur de droit en n’examinant pas l’ensemble des preuves visées à la section 5.5 de la décision litigieuse.

251    Krka estime que cette argumentation est non fondée. Le Tribunal aurait procédé à une évaluation approfondie et diligente de tous les éléments de preuve pertinents, considérés tant individuellement que collectivement.

2)      Appréciation de la Cour

252    Par la deuxième branche du quatrième moyen, prise en son premier grief, ainsi que par la quatrième branche de ce moyen, la Commission fait valoir, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit en se prononçant sur l’existence d’une restriction de la concurrence par objet sur le fondement d’une appréciation incomplète et sélective des preuves de la reconnaissance, par Krka, de la validité du brevet 947 et des intentions des parties aux accords Krka.

253    À cet égard, il a été jugé aux points 124 à 126 du présent arrêt que, en omettant de prendre en considération les éléments visés aux points 122 et 123 de cet arrêt relatifs à la perception par Krka de la validité du brevet 947 et en s’abstenant d’expliquer les raisons de cette omission, alors que l’existence d’une infraction aux règles de concurrence ne peut être appréciée correctement que si les indices invoqués par la décision litigieuse sont considérés dans leur ensemble, le Tribunal a dénaturé la décision litigieuse et a entaché l’arrêt attaqué d’un défaut de motivation. Dans ces conditions, il y a lieu d’accueillir le premier grief de la deuxième branche et la quatrième branche du quatrième moyen.

254    Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir la première branche, la deuxième branche prise en ses premier à troisième griefs, ainsi que la quatrième branche du quatrième moyen.

7.      Sur le cinquième moyen

255    Par son cinquième moyen, la Commission conteste les appréciations du Tribunal relatives aux effets proconcurrentiels de l’accord de licence Krka.

a)      Argumentation des parties

256    Par son cinquième moyen, la Commission critique les points 243 à 245 ainsi que 267 de l’arrêt attaqué, par lesquels le Tribunal a pris en compte les effets positifs de l’accord de licence Krka dans les marchés principaux de Krka. Le Tribunal aurait commis trois erreurs. Tout d’abord, aucune infraction n’ayant été constatée sur ces marchés, les effets positifs allégués ne justifieraient pas la restriction de la concurrence sur les autres marchés. Ensuite, le Tribunal aurait méconnu l’arrêt du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission (56/64 et 58/64, EU:C:1966:41), selon lequel, en substance, un accord de distribution exclusive qui met en place une protection territoriale absolue constitue une restriction de la concurrence par objet. Enfin, le Tribunal aurait méconnu la jurisprudence constante selon laquelle la mise en balance des effets positifs et négatifs d’un accord sur la concurrence ne peut être effectuée que dans le cadre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE.

257    Krka conteste cette argumentation. Tout d’abord, elle réitère que ce sont non pas les accords de règlement amiable et de licence Krka mais les brevets de Servier – dont les parties ont reconnu la validité – qui ont éliminé la concurrence sur les marchés principaux de cette entreprise. Dans cette perspective, l’accord de licence Krka serait proconcurrentiel.

258    Ensuite, Krka considère que l’argumentation de la Commission repose sur une interprétation erronée de la jurisprudence issue de l’arrêt du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission (56/64 et 58/64, EU:C:1966:41), laquelle ne concernait ni des droits de propriété intellectuelle ni le règlement de litiges relatifs à ces droits, mais un accord de coopération verticale de distribution exclusive. Or, en l’espèce, selon Krka, la licence octroyée par Servier n’était pas exclusive et les accords de règlement amiable et de licence Krka ne conféraient aucune protection territoriale absolue aux parties. En effet, Servier pouvait rester sur les marchés principaux de Krka et Krka pouvait commercialiser une version non contrefaisante de son périndopril sur les marchés principaux de Servier.

259    Enfin, Krka fait valoir que l’argumentation de la Commission repose sur une lecture erronée des points 239 à 250 de l’arrêt attaqué. Le Tribunal n’aurait pas mis en balance les effets positifs avec les effets négatifs des accords de règlement amiable et de licence Krka, mais aurait cherché à déterminer si ces accords étaient constitutifs d’un partage de marché. C’est dans ce contexte que le Tribunal aurait relevé, entre autres, l’existence d’une situation de concurrence entre Servier et Krka sur les marchés principaux de Krka. Si les effets desdits accords sur ces marchés n’étaient pas pertinents, ainsi que le soutenait la Commission, alors il n’aurait pas été nécessaire de consacrer la section 5.5.3.3.3.2 de la décision litigieuse à cette question.

b)      Appréciation de la Cour

260    Il convient de rappeler que, comme la Cour l’a jugé, aux fins d’établir si un comportement présente le degré de nocivité requis pour constituer une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il n’est en aucune manière nécessaire d’examiner et à plus forte raison de démontrer les effets de ce comportement sur la concurrence, qu’ils soient réels ou potentiels et négatifs ou positifs (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, points 159 et 166 ainsi que jurisprudence citée). Il s’ensuit que les éventuels effets positifs ou proconcurrentiels d’un comportement ne peuvent être pris en compte aux fins d’apprécier s’il y a lieu de le qualifier de restriction de la concurrence par objet au titre de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, y compris dans le cadre d’un éventuel examen de la question de savoir si le comportement en cause présente le degré de nocivité requis aux fins d’une telle qualification.

261    En tout état de cause, ainsi qu’il a été relevé au point 138 du présent arrêt, l’accord de licence Krka concerne des marchés qui ne relèvent pas du champ d’application géographique de l’infraction à l’article 101 TFUE. Dans ces conditions, les éventuels effets favorables à la concurrence que cet accord pourrait avoir sur ces marchés, à supposer qu’ils existent, seraient dénués de toute pertinence, d’un point de vue logique, pour apprécier l’existence de l’infraction constatée en l’espèce sur les marchés principaux de Servier.

262    Dès lors, en s’appuyant, au point 267 de l’arrêt attaqué ainsi qu’à son point 268 qui en tire les conséquences, sur les effets proconcurrentiels qu’il avait constatés sur les marchés principaux de Krka, aux points 243 à 245 de cet arrêt, le Tribunal a commis une erreur d’interprétation et d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et entaché l’ensemble de ces points d’illégalité.

263    Il convient, en conséquence, d’accueillir le cinquième moyen.

8.      Conclusion intermédiaire sur les premier à cinquième moyens

264    Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré, en substance, que, afin de qualifier les accords de règlement amiable et de licence Krka de restriction de la concurrence par objet, il incombait à la Commission d’établir, d’une part, qu’il existait un lien suffisamment direct entre ces deux accords pour que leur association soit justifiée et, d’autre part, que, en l’absence d’un tel lien, il appartenait à la Commission de prouver que l’accord de licence Krka n’avait pas été conclu aux conditions normales de marché, mais masquait un paiement inversé de Servier au bénéfice de Krka, visant à retarder l’entrée du second sur les principaux marchés du premier.

265    Or, ainsi qu’il ressort des points 95 à 97 et 142 à 147 du présent arrêt, le Tribunal a fait abstraction de la nature même de l’infraction à l’article 101 TFUE imputée à Servier et à Krka, infraction qui ne se limitait pas à un accord de règlement amiable d’un litige de brevet contre paiement inversé mais poursuivait l’objectif plus large de répartir les marchés entre ces entreprises. Il a également fait abstraction du champ d’application géographique de cette infraction, lequel ne s’étendait pas aux marchés principaux de Krka.

266    Cette erreur de droit a conduit le Tribunal, ainsi qu’il résulte des points 141 à 147 du présent arrêt, à vérifier la qualification de la pratique infractionnelle imputée à Servier et à Krka de restriction de la concurrence par objet en analysant la forme et les caractéristiques juridiques des accords destinés à mettre en œuvre cette pratique plutôt qu’en ayant égard aux répercussions économiques de ladite pratique. C’est au regard de ces critères erronés que le Tribunal a accordé une importance déterminante à la reconnaissance par Krka de la validité du brevet 947 et à la question de savoir si le taux de redevance de l’accord de licence Krka correspondait aux conditions normales de marché, alors que, ainsi qu’il résulte des points 158 à 162 et 186 à 189 du présent arrêt, ces éléments n’étaient pas, en soi, décisifs.

267    Par ailleurs, lorsque, sur la base de ces erreurs de droit, le Tribunal a examiné si la conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka était justifiée par la circonstance que Krka, après avoir subi deux revers judiciaires, n’était plus convaincue de l’invalidité du brevet 947, le Tribunal a, ainsi qu’il résulte des points 109 à 126 du présent arrêt, dénaturé le sens clair et précis d’une de ces décisions judiciaires et, s’agissant de l’autre, a dénaturé la décision litigieuse et violé son obligation de motivation.

268    En outre, afin de conforter la conclusion – entachée des erreurs de droit qui viennent d’être résumées – selon laquelle la Commission ne pouvait pas qualifier les accords de règlement amiable et de licence Krka de restriction de la concurrence par objet, le Tribunal a réfuté sept éléments qui, selon la décision litigieuse, démontraient que l’accord de licence Krka était la contrepartie de la renonciation par cette entreprise à concurrencer Servier sur ses marchés principaux.

269    Premièrement, le Tribunal a réfuté, aux points 223 à 227 de l’arrêt attaqué, la perspective de l’instauration d’un duopole de fait entre Servier et Krka sur les marchés principaux de Krka, au motif que ce duopole résulterait non pas de l’accord de licence Krka, mais de choix ultérieurs des parties à cet accord. Toutefois, cette constatation repose sur l’examen du seul contenu des clauses de cet accord, abstraction faite de son contexte économique, et sur une dénaturation des termes de l’une de ces clauses, ainsi qu’il ressort des points 141 à 147 et 193 à 195 du présent arrêt.

270    Deuxièmement, le Tribunal a rejeté, aux points 228 à 235 de l’arrêt attaqué, la possibilité que l’accord de licence Krka ait pu constituer la contrepartie de l’accord de règlement amiable Krka, au motif que c’est la reconnaissance par Krka de la validité du brevet 947 qui a été l’élément déterminant de sa décision de transiger. Toutefois, cette appréciation repose, d’une part, sur l’erreur de droit constatée aux points 186 à 189 du présent arrêt s’agissant du caractère décisif de cette reconnaissance et, d’autre part, sur les dénaturations et le défaut de motivation constatés aux points 109 à 126, ainsi qu’aux points 252 à 254 du présent arrêt.

271    Troisièmement, le Tribunal a affirmé, aux points 236 à 238 de l’arrêt attaqué, que l’évaluation par Krka du coût d’opportunité de l’accord de règlement amiable Krka ne permettait pas d’établir que l’accord de licence Krka était la contrepartie de l’accord de règlement amiable Krka, mais confirmait plutôt que cette entreprise reconnaissait la validité du brevet 947. Toutefois, cette dernière circonstance n’est pas, en soi, décisive, ainsi qu’il ressort des points 186 à 189 du présent arrêt.

272    Quatrièmement, le Tribunal a considéré, aux points 238 à 250 de l’arrêt attaqué, tout d’abord, que, en l’absence de marchés réservés à Krka, la Commission n’avait pas prouvé l’existence d’une répartition « étanche » des marchés, ensuite, que la licence avait eu un effet proconcurrentiel sur les marchés principaux de Krka, et enfin, qu’aucune partie du marché n’avait été réservée de manière illicite à Servier. Toutefois, il ressort des points 178 à 181, 188 et 189 du présent arrêt que ces appréciations reposent, d’une part, sur une analyse formaliste des accords de règlement amiable et de licence Krka plutôt que sur l’analyse concrète de leur nocivité pour la concurrence et, d’autre part, sur une erreur d’interprétation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, la prohibition des accords visant à répartir les marchés n’étant pas applicable aux seuls accords opérant une répartition « étanche » entre ces marchés.

273    Cinquièmement, le Tribunal a jugé, aux points 251 à 261 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas démontré que Servier et Krka avaient l’intention de conclure un accord de partage des marchés. Toutefois, outre le fait que, comme il a été jugé au point 221 du présent arrêt, la Commission n’était pas tenue de démontrer que Servier ou Krka avait l’intention de restreindre la concurrence entre elles, il ressort des points 109 à 126 et 238 à 245 du présent arrêt que cette appréciation repose sur la dénaturation de la décision litigieuse et de la décision de la High Court du 3 octobre 2006 ainsi que sur une violation de l’obligation de motiver les arrêts et sur une application erronée des principes relatifs à l’administration de la preuve.

274    Sixièmement, le Tribunal a considéré, aux points 262 à 264 de l’arrêt attaqué, que le fait que Krka a continué de contester les brevets de Servier après la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 ne signifiait pas que cette décision n’avait pas eu une incidence déterminante sur la perception, par Krka, de la validité du brevet 947 et que Krka continuait d’exercer une pression concurrentielle sur Servier. Selon le Tribunal, cette poursuite des actions contentieuses pouvait s’expliquer par le désir de Krka de renforcer sa position dans les négociations avec Servier et par sa conviction qu’elle n’encourrait qu’un risque limité de faire l’objet d’actions en contrefaçon. Toutefois, il ressort des points 92 à 99 et 109 à 126 du présent arrêt que cette constatation du Tribunal repose sur la prémisse erronée du caractère déterminant de la reconnaissance, par Krka, de la validité du brevet 947, laquelle est elle-même fondée sur la dénaturation non seulement d’un élément de preuve mais aussi de la décision litigieuse en tant que telle ainsi que sur un défaut de motivation de l’arrêt attaqué.

275    Septièmement, le Tribunal a réitéré, aux points 265 à 267 de l’arrêt attaqué, sa position selon laquelle, d’une part, l’accord de licence Krka avait pour fondement la reconnaissance par cette entreprise de la validité du brevet 947 et, d’autre part, la Commission n’avait pas établi que cet accord n’avait pas été conclu aux conditions normales de marché. Il ressort toutefois des points 57 à 71, 93 à 96 et 158 à 162 du présent arrêt que ces considérations reposent sur l’application de critères qui sont erronés en droit.

276    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent et compte tenu de l’ampleur, de la nature et de la portée des erreurs de droit commises par le Tribunal, identifiées dans le cadre de l’analyse des premier à cinquième moyens, il convient de constater que ces erreurs affectent l’ensemble du raisonnement relatif à la qualification de restriction de la concurrence par objet des accords de règlement amiable et de licence Krka, exposé aux points 179 à 268 de l’arrêt attaqué.

9.      Sur le sixième moyen

277    Par son sixième moyen, la Commission conteste le refus par le Tribunal de qualifier l’accord de cession et de licence Krka de restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

a)      Argumentation des parties

278    La Commission soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en refusant, aux points 279 à 298 de l’arrêt attaqué, de reconnaître que l’accord de cession et de licence Krka constituait une restriction de la concurrence par objet. Le Tribunal aurait considéré que cette qualification reposait sur le constat erroné de l’existence d’un partage de marché entre Krka et Servier. Cette appréciation s’appuyant, de l’avis de la Commission, sur une prémisse erronée, elle ne saurait subsister. Cette institution estime, en outre, que le Tribunal a insuffisamment motivé ladite appréciation.

279    Krka soutient que la motivation de l’arrêt attaqué est suffisante. En outre, elle estime que le Tribunal, après avoir infirmé, aux points 239 et 250 dudit arrêt, l’existence d’un accord de partage de marché et considéré, aux points 291 à 293 et 298 du même arrêt, que la Commission n’avait pas établi que l’accord de licence Krka avait incité Krka à conclure l’accord de règlement amiable Krka, a valablement pu considérer que l’accord de cession et de licence Krka ne constituait pas une restriction de la concurrence par objet.

b)      Appréciation de la Cour

280    Aux points 291, 292 et 297 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que, dans la décision litigieuse, la Commission avait qualifié l’accord de cession et de licence Krka de restriction de la concurrence par objet en s’appuyant sur la constatation de l’existence d’un accord de partage de marché résultant des accords de règlement amiable et de licence Krka. Cette constatation ayant été invalidée par le Tribunal, ce dernier a considéré qu’il convenait également, pour cette seule raison, d’écarter la qualification de restriction de la concurrence par objet à l’égard de l’accord de cession et de licence Krka.

281    Toutefois, il résulte de l’examen des premier à cinquième moyens que le raisonnement du Tribunal relatif à la qualification des accords de règlement amiable et de licence Krka, exposé aux points 179 à 268 de l’arrêt attaqué, est, dans son ensemble, entaché d’illégalité. La prémisse du raisonnement par lequel le Tribunal a écarté la qualification de restriction de la concurrence par objet à l’égard de l’accord de cession et de licence Krka étant ainsi viciée, il convient d’accueillir le sixième moyen.

B.      Sur le septième moyen, relatif à l’existence d’une restriction de la concurrence par effet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE

282    Le septième moyen critique l’appréciation du Tribunal selon laquelle les accords Krka ne peuvent pas être qualifiés de restriction de la concurrence par effet.

1.      Les points pertinents de la décision litigieuse et de larrêt attaqué

a)      La décision litigieuse

283    Aux considérants 1214 à 1218 de la décision litigieuse, la Commission a exposé que, afin d’évaluer les effets anticoncurrentiels d’un accord, il convient de tenir compte des conditions concrètes dans lesquelles se produisent ces effets, à la lumière non seulement de la concurrence actuelle, mais également de la concurrence potentielle. Aux considérants 1219 et 1220 de cette décision, la Commission a précisé que cette évaluation doit être effectuée sur la base des faits au moment de la conclusion de cet accord, tout en prenant en compte sa mise en œuvre effective.

284    Aux considérants 1221 à 1227 de la décision litigieuse, la Commission a indiqué que les effets d’un accord doivent être comparés à ce qui se serait produit en l’absence dudit accord, en particulier s’agissant de la concurrence potentielle. Selon les considérants 1228 à 1243 de cette décision, la principale contrainte concurrentielle exercée sur le marché du périndopril résultait de l’entrée sur ce marché de versions génériques de ce médicament, sans laquelle Servier pouvait maintenir ses prix à un niveau supérieur au prix concurrentiel. Les accords de règlement amiable conclus par cette entreprise avec des fabricants de médicaments génériques auraient donc directement produit des effets anticoncurrentiels. Aux considérants 1244 à 1269 de ladite décision, la Commission a souligné que, après la conclusion d’accords de règlement amiable avec Niche, Matrix, Teva, Krka et Lupin, seuls deux fabricants de médicaments génériques – Apotex et Sandoz – constituaient une menace importante d’entrée sur les marchés principaux de Servier, ce qui tendrait à démontrer que, face à un faible nombre de concurrents potentiels, l’élimination d’un seul suffit à réduire de manière significative la probabilité d’une telle entrée.

285    S’agissant plus spécifiquement de la qualification des accords Krka de restriction de la concurrence par effet sur les marchés en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, seuls retenus aux fins de la constatation de cette infraction, il ressort des considérants 1813 à 1850 de la décision litigieuse que Krka était un concurrent potentiel de Servier sur ces marchés et disposait de possibilités réelles et concrètes pour y entrer à brève échéance. Krka avait engagé des actions contentieuses au Royaume-Uni et préparait son entrée sur lesdits marchés. En incitant cette entreprise à renoncer à ce projet, les accords Krka auraient eu pour effet d’éliminer une source de concurrence potentielle.

286    En outre, ces accords auraient réduit de manière significative le risque d’entrée d’autres fabricants de médicaments génériques, auxquels Krka aurait pu fournir des produits à base de périndopril. Sur la base de ces éléments, la Commission a considéré que lesdits accords avaient eu pour effet de restreindre de manière sensible la concurrence potentielle, notant à cet égard, au considérant 1850 de cette décision, que ces mêmes accords « ont augmenté de façon sensible la probabilité que l’exclusivité de Servier sur le marché reste incontestée pendant une période de temps plus longue et que les consommateurs soient privés d’une réduction des prix considérable qui aurait découlé d’une mise sur le marché effective des génériques en temps voulu ».

b)      Larrêt attaqué

287    Pour les motifs exposés aux points 315 à 472 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a accueilli le cinquième moyen de première instance, par lequel Krka contestait la qualification des accords Krka de restriction de la concurrence par effet sur les trois marchés géographiques visés.

288    En premier lieu, après avoir rappelé, aux points 317 à 342 de cet arrêt, les motifs ayant conduit la Commission à retenir cette qualification, le Tribunal a considéré, aux points 345 à 377 dudit arrêt, que la jurisprudence relative à la prise en compte des effets potentiels d’un accord, en particulier celle résultant des arrêts du 21 janvier 1999, Bagnasco e.a. (C‑215/96 et C‑216/96, EU:C:1999:12, point 34), du 23 novembre 2006, Asnef-Equifax et Administración del Estado (C‑238/05, EU:C:2006:734, point 50), du 28 février 2013, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas (C‑1/12, EU:C:2013:127, point 71), et du 26 novembre 2015, Maxima Latvija (C‑345/14, EU:C:2015:784, point 30), est inapplicable lorsque cet accord a déjà été mis en œuvre. Selon le Tribunal, la Commission ne peut constater une restriction de la concurrence par effet sur le seul fondement d’une limitation, voire de l’élimination, d’une source de concurrence potentielle. La preuve de tels effets exigerait de prendre en considération, par souci de réalisme, l’ensemble des développements factuels pertinents, notamment ceux postérieurs à la conclusion de l’accord concerné.

289    En deuxième lieu, le Tribunal a constaté, aux points 378 à 455 de l’arrêt attaqué, que la Commission, en se fondant uniquement sur une entrave à la concurrence potentielle et sur des considérations hypothétiques, a erronément qualifié l’accord de règlement amiable Krka et l’accord de cession et de licence Krka de restriction de la concurrence par effet.

290    Tout d’abord, pour les motifs exposés aux points 380 à 425 de cet arrêt, le Tribunal a jugé que la Commission n’avait pas démontré que, en l’absence de la clause de non-commercialisation prévue par l’accord de règlement amiable Krka, Krka serait probablement entrée sur les marchés en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Selon ledit arrêt, la Commission a omis de prendre en compte le fait que Krka reconnaissait la validité du brevet 947 et n’a pas démontré que, en l’absence de cet accord, la concurrence aurait probablement été plus ouverte, faute d’avoir précisé les effets probables d’une telle situation sur les prix, la production ou l’innovation.

291    Ensuite, le Tribunal a considéré, aux points 426 à 451 dudit arrêt, que la Commission n’avait pas établi que, en l’absence de la clause de non-contestation prévue par l’accord de règlement amiable Krka, la poursuite des litiges relatifs au brevet 947 aurait, de manière probable, voire plausible, permis une invalidation plus rapide ou plus complète de ce brevet. Selon le Tribunal, la Commission n’a donc pas démontré que cette clause avait pour effet de restreindre la concurrence.

292    Enfin, le Tribunal a relevé, aux points 452 et 453 du même arrêt, que la Commission n’avait pas démontré que l’accord de cession et de licence Krka avait pour effet de restreindre la concurrence, cet accord ne prévoyant aucune mesure d’éviction analogue à une clause de non-commercialisation.

293    En troisième lieu, après avoir accueilli, aux points 454 et 455 de l’arrêt attaqué, le moyen pris de l’absence d’effets anticoncurrentiels des accords Krka, le Tribunal a examiné « si la Commission [avait], au surplus, entaché [la décision litigieuse] d’une erreur de droit ». À cet égard, il a constaté, aux points 457 à 470 de cet arrêt, que, en omettant de prendre en compte le déroulement des événements observables à la date de la décision litigieuse et en analysant le jeu de la concurrence en l’absence des accords Krka sur le fondement de considérations hypothétiques, la Commission avait limité son examen des effets sur la concurrence de ces accords d’une manière injustifiée, tant au regard de la jurisprudence relative à la prise en compte des effets potentiels sur la concurrence que de la jurisprudence relative à l’élimination de la concurrence potentielle. Un tel examen incomplet serait contraire à la distinction instaurée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, entre les restrictions de la concurrence par objet et les restrictions de la concurrence par effet.

2.      Argumentation des parties

294    Le septième moyen comporte sept branches.

295    Par la première branche, la Commission reproche au Tribunal d’avoir considéré, aux points 366, 416, 417 et 465 à 470 de l’arrêt attaqué, que l’effet de restreindre la concurrence potentielle, bien que réel, ne suffisait pas à constater l’existence d’une restriction de la concurrence par effet.

296    Par la deuxième branche,  la Commission fait valoir que le Tribunal a commis, aux points 360 à 362, 365, 366 et 463 de l’arrêt attaqué, une erreur d’interprétation et d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE en considérant que la prise en compte des effets potentiels ne suffisait pas à établir les effets d’une entente qui avait déjà été mise en œuvre.

297    Par la troisième branche, la Commission critique les points 398, 399, 403, 406, 407, 411, 412, 416, 441, 446 et 449 de l’arrêt attaqué. Elle reproche au Tribunal d’avoir considéré qu’elle était tenue de démontrer que Krka serait probablement entrée sur le marché du périndopril en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni en l’absence des accords Krka, notamment en spéculant sur l’issue des litiges relatifs au brevet 947.

298    Par la quatrième branche, la Commission critique les points 368 à 371, 389, 408, 419, 436, 438, 448 et 458 de l’arrêt attaqué. En particulier, le Tribunal aurait exigé, au point 368 de cet arrêt, que la Commission prenne en compte des développements factuels postérieurs à la conclusion des accords. Or, un accord devrait être analysé à la date de sa conclusion, en fonction des développements probables qui se seraient produits sur le marché en l’absence de cet accord.

299    Par la cinquième branche, la Commission fait valoir que le Tribunal, aux points 386 à 389 et 392 de l’arrêt attaqué, a dénaturé la décision litigieuse, en affirmant que cette décision n’avait pas pris en compte les effets du brevet 947 et la reconnaissance par Krka de la validité de ce brevet.

300    Par la sixième branche, la Commission reproche au Tribunal d’avoir substitué sa propre appréciation des faits aux constatations de la décision litigieuse, outrepassant ainsi les limites du contrôle de légalité. Le Tribunal, aux points 400 à 408 de l’arrêt attaqué, aurait ainsi considéré, d’une part, que la décision de Krka de continuer à contester le brevet 947, après la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, était une simple posture, destinée à renforcer sa position lors de ses négociations avec Servier, alors que cette appréciation ne repose sur aucune preuve contemporaine des faits et, d’autre part, que Krka ne serait probablement pas entrée sur les marchés principaux de Servier.

301    Par la septième branche, la Commission critique les points 435 à 447 de l’arrêt attaqué. Le Tribunal aurait, à tort, imposé à la Commission la charge de démontrer que la poursuite, par Krka, des procédures judiciaires relatives aux brevets aurait permis d’invalider plus rapidement ou plus complètement le brevet 947.

302    S’agissant de la première branche, Krka rappelle que, au point 315 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a expliqué que la démonstration d’un effet restrictif de concurrence consiste à « faire ressortir, par une comparaison entre le jeu de la concurrence tel qu’il a existé en présence de l’accord en cause et le jeu de la concurrence tel qu’il se serait produit en l’absence de cet accord, une situation concurrentielle dégradée lorsque celui-ci s’applique ». En l’occurrence, le Tribunal aurait considéré à juste titre que la Commission n’avait pas établi que la situation concurrentielle aurait été meilleure en l’absence des accords Krka. En effet, l’analyse du jeu de la concurrence sur le marché au moment de la conclusion de ces accords devrait tenir compte du fait que la validité du brevet 947 avait été confirmée par la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et était reconnue par Krka. Dans ces circonstances, quand bien même Krka aurait été un concurrent potentiel de Servier, son exclusion du marché ne pourrait, en soi, affecter la concurrence, sauf à démontrer que, en l’absence desdits accords, Krka serait probablement entrée sur les marchés principaux de Servier. Une telle charge de la preuve serait raisonnable et conforme à l’esprit de la distinction entre les restrictions de la concurrence par objet et les restrictions de la concurrence par effet. Ce serait donc à tort que la Commission affirme que l’élimination d’une source importante de concurrence potentielle peut, en soi, mener à une probabilité raisonnable de restriction de la concurrence.

303    S’agissant de la deuxième branche, Krka soutient que le Tribunal a correctement appliqué la jurisprudence exigeant la réunion d’éléments établissant que le jeu de la concurrence a été, en fait, empêché, restreint ou faussé. Le Tribunal aurait, à juste titre, ajouté, aux points 367 à 369 de l’arrêt attaqué, que cette démonstration doit être réaliste et tenir compte de l’ensemble des développements factuels pertinents, notamment ceux postérieurs à la conclusion de l’accord concerné mais antérieurs à l’adoption d’une décision par la Commission.

304    Selon Krka, des accords qui ont été mis en œuvre mais qui ne causent aucun effet réel ne peuvent pas nuire à la concurrence. En outre, si l’article 101, paragraphe 1, TFUE permet de tenir compte tant des effets réels que des effets potentiels d’un accord sur la concurrence, cette seconde catégorie d’effets ne pourrait être prise en considération qu’aussi longtemps que cet accord n’a pas été mis en œuvre. La jurisprudence ne permettrait pas de considérer que la qualification de restriction de la concurrence par effet puisse être retenue à l’égard d’un accord qui a été mis en œuvre, en raison de ses seuls effets potentiels. Krka soutient, à cet égard, que l’analyse de la jurisprudence pertinente à laquelle s’est livré le Tribunal aux points 345 à 365 de l’arrêt attaqué n’est entachée d’aucune erreur de droit. Krka souligne que, conformément à l’arrêt du 28 février 2013, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas (C‑1/12, EU:C:2013:127, point 72), les effets potentiels seraient non pas des effets possibles qui ne se sont pas produits en réalité, mais des effets qui, bien que futurs, sont susceptibles de se produire.

305    S’agissant de la troisième branche, Krka souligne que, aux considérants 1715, 1718 et 1720 de la décision litigieuse, la Commission avait considéré que l’un des effets de la clause de non–commercialisation prévue par l’accord de règlement amiable Krka avait été d’empêcher une entrée dite « à risque » de Krka sur les marchés principaux de Servier. Or, le Tribunal a estimé que cette constatation n’était pas fondée. La Commission ne pouvait pas affirmer que les accords Krka ont eu pour effet d’empêcher Krka d’entrer sur les marchés principaux de Servier. En effet, en raison de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, une telle entrée était peu probable puisqu’elle aurait exposé Krka au risque de faire l’objet d’actions en contrefaçon. La Commission se serait donc fondée sur un scénario contrefactuel faisant abstraction de la circonstance que, en raison de cette décision de l’OEB, Krka avait reconnu la validité du brevet 947 et décidé de développer une version générique du périndopril qui ne soit pas contrefaisante du brevet 947.

306    Selon Krka, la jurisprudence exige que le scénario contrefactuel soit réaliste  et, le cas échéant, tienne compte des développements probables qui se produiraient sur le marché en l’absence de ces accords. Conformément à l’arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission (C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 177), un tel scénario devrait être non seulement économiquement viable mais également plausible, voire probable.

307    De l’avis de Krka, il est manifeste que le scénario contrefactuel retenu par la Commission ne remplissait pas ces critères. Premièrement, bien que le périndopril de Krka ait obtenu une autorisation de mise sur le marché au mois de mai 2006, il n’a pas été immédiatement commercialisé sur les marchés en France, aux Pays-Bas et au Royaume‑Uni. En effet, Krka souligne qu’elle souhaitait attendre l’issue de la procédure d’opposition devant l’OEB. Par conséquent, après la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, elle n’allait pas effectuer une telle entrée puisque sa stratégie tendant à obtenir la révocation du brevet 947 avait échoué. Deuxièmement, au Royaume-Uni, Krka était sous le coup d’une injonction provisoire qui la privait de toute possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché de cet État membre.

308    Krka souligne que, en pratique, il est fréquent d’anticiper l’octroi de mesures provisoires par les juridictions nationales dès que l’OEB confirme la validité d’un brevet. Quand bien même Krka serait entrée sur les marchés en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, elle aurait alors certainement fait l’objet d’injonctions provisoires.

309    S’agissant de la quatrième branche, Krka rappelle que le scénario contrefactuel doit être réaliste et tenir compte de l’ensemble des développements factuels pertinents.

310    S’agissant de la cinquième branche, Krka soutient que le grief de dénaturation est irrecevable, la Commission cherchant en réalité à obtenir une nouvelle appréciation des preuves par la Cour. Ce grief serait, en tout état de cause, non fondé. La Commission n’aurait nullement établi l’existence des dénaturations alléguées. Le Tribunal aurait, aux points 337, 338 et 388 de l’arrêt attaqué, analysé les considérants de la décision litigieuse auxquels la Commission se réfère.

311    S’agissant de la sixième branche, Krka soutient que la Commission demande à la Cour de procéder à un nouvel examen des faits. Quant au fond, Krka se réfère à ses observations en réponse, d’une part, à la quatrième branche du premier moyen et, d’autre part, à la troisième branche du présent moyen, par lesquelles elle a exposé pourquoi, en l’absence des accords de règlement amiable et de licence Krka, son entrée sur les marchés en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni aurait été peu probable.

312    Krka conteste la recevabilité de la septième branche, la dénaturation alléguée par la Commission ne répondant pas aux conditions requises. Sur le fond, l’affirmation de la Commission selon laquelle il existait d’autres hypothèses contrefactuelles possibles serait erronée et ne serait corroborée par aucun élément du dossier.

3.      Appréciation de la Cour

313    S’agissant de la recevabilité des cinquième à septième branches du septième moyen, il convient de relever que, par celles-ci, la Commission invoque successivement une dénaturation de la décision litigieuse, la méconnaissance des limites de la portée du contrôle juridictionnel et celle de la charge de la preuve qui incombe à cette institution aux fins d’établir l’existence d’une restriction de la concurrence par effet. Contrairement à ce que prétend Krka, les erreurs de droit ainsi alléguées par la Commission relèvent toutes de la compétence de la Cour dans le cadre de la procédure de pourvoi. Il s’ensuit que les cinquième à septième branches du septième moyen sont recevables.

314    Sur le fond, par son septième moyen, la Commission critique essentiellement le Tribunal pour avoir considéré que la décision litigieuse n’avait pas établi que les accords Krka avaient eu pour effet de restreindre la concurrence potentielle, faute pour cette institution d’avoir réussi à prouver que, en l’absence de ces accords, Krka serait probablement entrée sur les marchés principaux de Servier.

315    À cet égard, il importe de rappeler qu’un accord entre entreprises peut relever du champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, non seulement en raison de son objet, mais également en raison de ses effets sur la concurrence, y compris lorsque ces effets portent atteinte à la concurrence potentielle exercée par une ou des entreprises qui, bien qu’absentes du marché pertinent, disposent de la capacité d’y entrer, et affectent de ce fait le comportement des entreprises déjà présentes sur ce marché. La charge de la preuve de tels effets sur la concurrence potentielle incombe à la Commission (arrêt de ce jour, Commission/Servier e.a., C-176/19 P, point 338).

316    Selon la jurisprudence constante de la Cour, rappelée par le Tribunal au point 315 de l’arrêt attaqué, afin d’apprécier l’existence d’effets anticoncurrentiels causés par un accord entre entreprises, il convient de comparer la situation concurrentielle résultant de cet accord et celle qui existerait en son absence (voir, en ce sens, arrêts du 30 juin 1966, LTM, 56/65, EU:C:1966:38, p. 360 ; du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 161, ainsi que du 18 novembre 2021, Visma Enterprise, C‑306/20, EU:C:2021:935, point 74).

317    Cette méthode dite « contrefactuelle » a pour finalité d’identifier, dans le cadre de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, l’existence d’un lien de causalité entre, d’une part, un accord entre entreprises et, d’autre part, la structure ou le fonctionnement de la concurrence sur le marché à l’intérieur duquel cet accord produit ses effets. Elle permet ainsi de s’assurer que la qualification de restriction de la concurrence par effet est réservée aux accords présentant non pas une simple corrélation avec une dégradation de la situation concurrentielle de ce marché, mais à ceux qui sont la cause de cette dégradation.

318    La méthode contrefactuelle a pour raison d’être que la mise en lumière d’un tel rapport de cause à effet se heurte à l’impossibilité d’observer, dans les faits, à un même moment, l’état du marché avec et sans l’accord concerné, ces deux états étant, par définition, mutuellement exclusifs. Il est donc nécessaire de comparer la situation observable, à savoir celle qui résulte de cet accord, à la situation qui se serait produite si ledit accord n’avait pas été adopté. Ladite méthode impose donc de comparer une situation observable avec un scénario qui, par définition, est hypothétique, en ce sens qu’il ne s’est pas réalisé. Or, l’appréciation des effets d’un accord entre entreprises au regard de l’article 101 TFUE implique la nécessité de prendre en considération le cadre concret dans lequel cet accord s’insère, notamment le contexte économique et juridique dans lequel opèrent les entreprises concernées, la nature des biens ou des services affectés, ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du marché ou des marchés en question. Il s’ensuit que le scénario contrefactuel, envisagé à partir de l’absence dudit accord, doit être réaliste et crédible [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 115 à 120].

319    Il est donc impératif, pour la bonne application de la méthode contrefactuelle, de s’assurer que la comparaison effectuée repose sur des bases saines et vérifiables, s’agissant tant de la situation observée – celle qui est issue de l’accord entre entreprises – que du scénario contrefactuel. Pour ce faire, le point de référence temporel permettant d’effectuer une telle comparaison doit être le même pour la situation observée et pour le scénario contrefactuel, la nature anticoncurrentielle d’un acte devant être évaluée au moment où celui-ci a été commis (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, AstraZeneca/Commission, C‑457/10 P, EU:C:2012:770, point 110).

320    Il s’ensuit que, dans la mesure où le scénario contrefactuel vise à donner une image réaliste de la situation du marché telle qu’elle se serait produite en l’absence de l’accord qui a été conclu, ce scénario ne peut reposer sur des événements postérieurs à la date de conclusion de cet accord précisément parce que, à cette date, ces événements ne se sont pas produits et, s’agissant des circonstances de la présente affaire, ne pouvaient pas se produire à l’avenir en raison de l’existence des accords Krka (arrêt de ce jour, Commission/Servier e.a., C-176/19 P, point 343).

321    À la différence du scénario contrefactuel, la situation observée est celle correspondant aux conditions concurrentielles qui existent au moment de la conclusion de l’accord et qui résultent de celui-ci. Cette situation est réelle et il n’est donc pas nécessaire de se baser sur des hypothèses réalistes pour l’apprécier. Partant, aux fins de la constatation d’une infraction à l’article 101 TFUE, des événements postérieurs à la conclusion de cet accord peuvent être pris en compte pour apprécier cette situation. Toutefois, conformément à la jurisprudence rappelée au point 319 du présent arrêt, de tels événements ne sont pertinents que dans la seule mesure où ils contribuent à déterminer les conditions concurrentielles existant au moment où cette infraction a été commise, telles qu’elles résultent directement de l’existence dudit accord.

322    En l’espèce, aux points 317 à 341 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a analysé l’approche suivie par la Commission dans la décision litigieuse pour qualifier les accords de règlement amiable de litige en matière de brevet entre Servier et les fabricants de médicaments génériques visés par cette décision, et a souligné le caractère hypothétique de cette approche. Il a par ailleurs jugé, aux points 345 à 377 de cet arrêt, que la jurisprudence selon laquelle un accord entre entreprises peut être qualifié de restriction de la concurrence par effet en raison de ses effets potentiels cesse d’être applicable lorsque cet accord a été mis en œuvre.

323    Les effets réels d’un tel accord sur la concurrence pouvant être observés à la lumière des événements postérieurs à sa conclusion, le Tribunal a considéré, aux points 360 et 361 dudit arrêt, qu’il serait paradoxal de permettre à la Commission de prouver l’existence d’effets anticoncurrentiels en se contentant d’opérer une analyse contrefactuelle sur la base des seuls effets potentiels d’un accord, alors que, d’une part, cette institution dispose d’éléments observables quant aux effets réels de cet accord et, d’autre part, que ce n’est qu’en présence d’une restriction de la concurrence par objet que la charge, qui incombe à la Commission, de prouver les effets anticoncurrentiels peut être allégée.

324    Ce faisant, le Tribunal a méconnu, à trois principaux égards, les caractéristiques de la méthode contrefactuelle inhérente à l’appréciation d’une restriction de la concurrence par effet, aux fins de l’application de l’article 101 TFUE.

325    En premier lieu, le Tribunal a jugé que l’appréciation des effets anticoncurrentiels de l’accord de règlement amiable Krka reposait sur une approche hypothétique et un examen incomplet de ces effets, faute pour la Commission d’avoir intégré dans le scénario contrefactuel le déroulement réel des événements postérieurs à cet accord. Toutefois, ce raisonnement du Tribunal fait abstraction du fait que, ainsi qu’il a été rappelé aux points 318 à 320 du présent arrêt, la mise en lumière des effets anticoncurrentiels d’un accord nécessite de recourir à un scénario contrefactuel qui, par définition, est hypothétique, en ce sens qu’il ne s’est pas réalisé, et qui ne peut donc pas reposer sur des éléments postérieurs à la conclusion dudit accord. Il s’ensuit que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’interprétation et l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et entaché d’illégalité les motifs exposés aux points 317 à 341, 389, 408, 419, 441, 448, 457 à 461 et 465 de l’arrêt attaqué.

326    En deuxième lieu, en jugeant, aux points 345 à 377 de l’arrêt attaqué, que la jurisprudence selon laquelle un accord entre entreprises peut être qualifié de restriction de la concurrence par effet en raison de ses effets potentiels cesse d’être applicable lorsque cet accord a été mis en œuvre, au motif que les effets réels dudit accord sur la concurrence peuvent être observés, le Tribunal a fondé son raisonnement sur une compréhension imparfaite de la raison d’être, de l’objet et du fonctionnement de la méthode contrefactuelle, rappelés aux points 317 à 321 du présent arrêt.

327    Certes, s’agissant d’un accord dont la mise en œuvre a modifié le nombre ou le comportement d’entreprises déjà présentes à l’intérieur d’un même marché, l’application de la méthode contrefactuelle peut, d’un point de vue pratique et selon les circonstances de fait, s’apparenter à une comparaison entre, d’une part, l’état de la concurrence entre ces entreprises avant la conclusion de cet accord et, d’autre part, la coordination entre lesdites entreprises induite par la mise en œuvre de cet accord, laquelle peut être attestée, le cas échéant, par des événements postérieurs à sa conclusion.

328    En revanche, lorsqu’un accord conduit non pas à modifier, mais, au contraire, à maintenir en l’état le nombre ou le comportement d’entreprises concurrentes déjà présentes à l’intérieur de ce marché en repoussant ou en retardant l’entrée d’un nouveau concurrent sur celui-ci, une simple comparaison entre les situations constatées sur ledit marché avant et après la mise en œuvre de cet accord serait insuffisante pour permettre de conclure à l’absence d’effet anticoncurrentiel. En effet, dans une telle situation, l’effet anticoncurrentiel tient à la disparition certaine, en raison dudit accord, d’une source de concurrence qui, au moment de la conclusion de cet accord, demeure potentielle, dans la mesure où elle est exercée par une entreprise qui, bien que n’étant pas encore présente sur le marché concerné, est néanmoins capable d’affecter le comportement des entreprises déjà présentes sur celui-ci en raison de la menace crédible de son entrée sur ce marché.

329    Au demeurant, la distinction opérée par le Tribunal aux points 345 à 377 de l’arrêt attaqué, aux fins de la qualification de restriction de la concurrence par effet, entre les accords conclus par des entreprises selon qu’ils ont été mis en œuvre ou non, méconnaît la jurisprudence constante de la Cour, selon laquelle les effets restrictifs de concurrence peuvent être tant actuels que potentiels, mais doivent être suffisamment sensibles (voir, en ce sens, arrêts du 9 juillet 1969, Völk, 5/69, EU:C:1969:35, point 7, ainsi que du 23 novembre 2006, Asnef-Equifax et Administración del Estado, C‑238/05, EU:C:2006:734, point 50), et reviendrait à réduire la pleine efficacité de l’interdiction édictée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

330    En troisième lieu, ainsi qu’il a été rappelé au point 317 du présent arrêt, la méthode contrefactuelle vise non pas à prévoir quel aurait été le comportement d’une partie si elle n’avait pas conclu un accord avec son ou ses concurrents, mais à mettre en lumière un rapport causal entre cet accord et une dégradation de la situation concurrentielle sur le marché, sur le fondement d’un scénario contrefactuel qui, bien qu’hypothétique, doit néanmoins être réaliste et crédible. À cet égard, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser, dans le contexte d’un accord de règlement amiable de litige de brevet contre paiement inversé, que le scénario contrefactuel a uniquement pour but d’établir les possibilités réalistes de comportement du fabricant de médicaments génériques en l’absence de cet accord. Si ledit scénario contrefactuel ne saurait être indifférent aux chances de succès de ce fabricant dans la procédure de brevet ou encore relativement à la probabilité de la conclusion d’un accord moins restrictif, ces éléments ne constituent toutefois que l’un des éléments parmi d’autres à prendre en compte. Par conséquent, il n’appartient pas à l’entité supportant la charge de la preuve de l’existence d’effets sensibles potentiels ou réels sur la concurrence, lorsqu’elle établit le scénario contrefactuel, d’opérer un constat définitif relatif aux chances de succès du fabricant de médicaments génériques dans le litige relatif au brevet ou à la probabilité de la conclusion d’un accord moins restrictif [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 119 à 121].

331    Il résulte de ces éléments que la Commission est tenue de prouver que le scénario contrefactuel retenu dans une décision constatant l’existence d’une restriction de la concurrence par effet est réaliste et crédible.

332    En l’occurrence, il incombait au Tribunal de vérifier si le scénario contrefactuel employé par la Commission répondait à ces critères. Or, dans la mesure où la restriction de la concurrence constatée dans la décision litigieuse consistait à éliminer de manière certaine et délibérée la source de concurrence potentielle exercée par Krka sur Servier au moyen de son périndopril composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947, l’analyse du scénario contrefactuel correspondait, en substance, à celle de l’existence de cette concurrence potentielle, car l’élimination d’une telle concurrence, à la supposer établie, constitue par définition un effet suffisamment sensible sur celle-ci au sens de la jurisprudence rappelée au point 329 du présent arrêt. Ainsi, afin de déterminer si les accords Krka, en interdisant à Krka d’entrer sur les marchés en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, ont produit un effet avéré sur la concurrence potentielle, il y avait lieu de vérifier, conformément à la jurisprudence rappelée au point 68 et à ce qui a été jugé au point 328 du présent arrêt, si Krka disposait d’une possibilité réelle et concrète d’intégrer ces marchés dans un délai à même de faire peser une pression concurrentielle sur Servier, de telle sorte que la menace d’une telle entrée pouvait être considérée comme étant réaliste et crédible.

333    Or, en jugeant, aux points 380 à 406 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas prouvé que, en l’absence de la clause de non-commercialisation prévue par l’accord de règlement amiable Krka, Krka serait probablement entrée sur les marchés en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni et, aux points 426 à 451 de cet arrêt, que la Commission n’avait pas prouvé que, en l’absence de la clause de non-contestation prévue par cet accord, la poursuite des procédures contentieuses contestant la validité du brevet 947 aurait, selon les termes du point 440 dudit arrêt, « de manière probable, voire plausible, permis une invalidation plus rapide ou plus complète de ce brevet », le Tribunal a commis une erreur d’interprétation et d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et entaché d’illégalité les points 385 à 406 ainsi que 426 à 451 de l’arrêt attaqué.

334    Les erreurs de droit ainsi identifiées entachent d’illégalité l’intégralité du raisonnement du Tribunal relatif à la qualification de restriction de la concurrence par effet des accords Krka, exposé aux points 315 à 472 de l’arrêt attaqué.

335    Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d’accueillir le septième moyen, sans qu’il soit nécessaire de statuer séparément sur chacune des branches de ce moyen, et notamment sur la cinquième branche, tirée d’une dénaturation de la décision litigieuse ainsi que sur la sixième branche, selon laquelle le Tribunal aurait substitué sa propre appréciation à celle de la Commission.

C.      Conclusion sur le pourvoi

336    Les sept moyens du pourvoi ayant été accueillis, il y a lieu d’annuler l’arrêt attaqué.

VII. Sur les conséquences de l’annulation de l’arrêt attaqué

337    Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

338    En l’espèce, s’agissant des moyens du recours en première instance tendant à l’annulation de l’article 4 de la décision litigieuse, relatif à l’infraction à l’article 101 TFUE, la Cour estime que le litige n’est pas en état d’être jugé dans son ensemble. En effet, par le quatrième moyen de son recours en première instance, Krka soutient que la Commission a motivé la décision litigieuse de manière contradictoire et commis plusieurs erreurs en qualifiant l’accord de cession et de licence Krka de restriction de la concurrence par objet. Or, ainsi qu’il ressort du point 280 du présent arrêt, le Tribunal a invalidé cette qualification pour le seul motif qu’il avait écarté la même qualification à l’égard des accords de règlement amiable et de licence Krka, sans toutefois statuer sur le fond de ce quatrième moyen. Il y a lieu, dès lors, de renvoyer l’affaire au Tribunal, afin qu’il statue sur le quatrième moyen du recours en première instance relatif à la qualification de l’accord de cession et de licence Krka de restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

VIII. Sur le recours devant le Tribunal

339    Dans le cadre de son recours en première instance, Krka conteste, par ses premier et deuxième moyens, l’existence d’une concurrence potentielle avec Servier. Par son troisième moyen, elle conteste la qualification de l’accord de règlement amiable Krka de restriction de la concurrence par objet. Par son cinquième moyen, elle conteste la qualification des accords Krka de restriction de la concurrence par effet. Par son sixième moyen, elle reproche à la Commission de ne pas avoir considéré que ces accords pouvaient bénéficier de l’exemption prévue à l’article 101, paragraphe 3, TFUE.

340    Au vu, notamment, de la circonstance que ces moyens ont fait l’objet d’un débat contradictoire devant le Tribunal et que leur examen ne nécessite d’adopter aucune mesure supplémentaire d’organisation de la procédure ou d’instruction, la Cour estime que l’affaire est en état pour qu’il puisse être statué sur lesdits moyens.

A.      Sur les premier à troisième moyens du recours en première instance, relatifs à la qualification des accords de règlement amiable et de licence Krka de restriction de la concurrence par objet

341    Par ses premier et deuxième moyens, Krka conteste, en substance, l’existence d’une concurrence réelle ou potentielle entre elle et Servier. Par son troisième moyen, Krka réfute le fait que l’accord de licence Krka ait pu l’inciter à conclure l’accord de règlement amiable Krka et conteste que ces accords puissent être assimilés à un accord de partage de marché et qualifiés de restriction de la concurrence par objet. Ainsi, l’argumentation développée dans le cadre de ces trois moyens se rapporte soit à la question de savoir si Krka était un concurrent réel ou potentiel de Servier au moment de la conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka, nonobstant les défaites judiciaires successives subies par Krka dans ses tentatives de faire invalider le brevet 947, soit à celle de savoir si ces accords, pris ensemble, étaient constitutifs d’un accord de partage de marché relevant de la qualification de restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

342    Conformément à ce qui a été jugé au point 93 du présent arrêt, il convient de vérifier, dans un premier temps et dans la mesure où Krka a soulevé cette question devant le Tribunal, si la Commission a valablement pu qualifier les accords Krka de restriction de la concurrence potentielle exercée sur Servier par Krka. À cette fin, il y a lieu d’examiner s’il existait, à la date de conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka, des possibilités réelles et concrètes que Krka entre sur le marché du périndopril et concurrence Servier. Cet examen requiert de déterminer si Krka avait entrepris des démarches suffisantes permettant d’établir qu’elle avait la détermination ferme ainsi que la capacité propre d’entrer sur le marché dans un délai à même de faire peser une pression concurrentielle sur Servier, ainsi que de vérifier l’absence d’éventuelles barrières à cette entrée présentant un caractère insurmontable, le constat d’une concurrence potentielle pouvant, le cas échéant, être corroboré par des éléments supplémentaires.

343    Si tel est le cas, il conviendra alors de déterminer, dans un second temps, conformément à ce qui a été jugé aux points 74 et 75 du présent arrêt, si les accords de règlement amiable et de licence Krka constituaient un accord de partage de marché qui restreignait la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, ainsi que la Commission l’a considéré dans la décision litigieuse. À cette fin, il sera nécessaire d’examiner les objectifs de ces accords ainsi que le lien économique qui, selon la décision litigieuse, existait entre eux. Plus particulièrement, il y aura lieu d’apprécier si le transfert de valeur par Servier au bénéfice de Krka, au moyen de l’accord de licence Krka, était suffisamment important pour inciter Krka à accepter une répartition des marchés nationaux du périndopril avec Servier, en renonçant, ne serait-ce que temporairement, à entrer sur les marchés principaux de Servier en contrepartie de l’assurance de pouvoir commercialiser sa version générique du périndopril sur ses propres marchés principaux, sans encourir le risque de faire l’objet d’actions en contrefaçon de la part de Servier. Enfin, il y aura lieu de tenir compte, dans la mesure où Krka soulève cette question de manière pertinente, des intentions des parties aux accords Krka, dans la mesure où elles peuvent contribuer à établir les buts objectifs que ces accords visaient à atteindre.

1.      Sur la concurrence potentielle exercée sur Servier par Krka

a)      Argumentation des parties

344    Par ses premier et deuxième moyens, Krka conteste, en substance, les constatations opérées dans la décision litigieuse à l’égard de l’existence, à la date de conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka, d’une concurrence potentielle que Krka aurait exercée sur Servier.

345    En premier lieu, Krka soutient que la Commission a omis d’analyser de manière adéquate le contexte juridique, factuel et économique.

346    Krka rappelle que sa stratégie initiale consistait à développer une version générique du périndopril relevant du champ de la protection résultant du brevet 947. La décision de l’OEB du 27 juillet 2006 aurait brisé ses espoirs de voir ce brevet révoqué. Estimant qu’elle ne réussirait pas à convaincre, en appel, les chambres de recours de l’OEB d’infirmer cette décision, Krka se serait alors résignée à accepter la validité dudit brevet. Ainsi, à la date de conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka, Servier disposait, ainsi qu’il ressort du considérant 2572 de la décision litigieuse, de plusieurs brevets, ce qui empêchait Krka de commercialiser son périndopril en raison du risque de faire l’objet d’actions en contrefaçon et des coûts associés à une telle stratégie commerciale.

347    Krka reproche à la Commission d’avoir ignoré au moins trois éléments essentiels.

348    Premièrement, la Commission aurait négligé de prendre en compte le fait que le périndopril de Krka contrefaisait le brevet 947. Or, ce médicament était le seul dont disposait Krka, ce que la Commission aurait expressément reconnu aux considérants 822, 827 à 829, 834, 1675, 2674, 2690, 2815 et 2862 de la décision litigieuse.

349    Deuxièmement, la Commission aurait négligé le fait que la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 a porté atteinte aux relations de Krka avec ses clients potentiels. Ainsi, Ratiopharm, à la suite de cette décision, aurait informé Krka qu’elle renonçait à lancer le périndopril de Krka sur les marchés en France, au Royaume-Uni et sur d’autres marchés plus petits.

350    Troisièmement, la Commission aurait ignoré le fait que, après la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, Krka a décidé de cesser toute activité liée à son périndopril en raison de son caractère contrefaisant, ainsi qu’en attestent les procès-verbaux de réunions internes de Krka, en particulier celles des 13 et 14 septembre 2006. Krka affirme avoir immédiatement entamé des recherches en vue de développer une version non contrefaisante du périndopril.

351    En second lieu, Krka affirme que, compte tenu de ces éléments, elle n’était pas, à la date de conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka, un concurrent potentiel de Servier. La décision litigieuse reposerait sur des considérations hypothétiques, irréalistes et non étayées.

352    L’appréciation de la Commission, aux considérants 1675 et 1693 de la décision litigieuse, selon laquelle Krka, après la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, aurait continué de commercialiser son périndopril et introduit des actions judiciaires au Royaume-Uni serait erronée. En effet, Krka souligne que c’est Servier qui a pris l’initiative d’une action en contrefaçon au Royaume-Uni. En formant une demande reconventionnelle, Krka aurait agi en opérateur diligent, même si elle n’a pas obtenu gain de cause. Krka fait valoir que, si elle ne s’est pas immédiatement désistée des procédures qui l’opposaient à Servier et cessé de commercialiser son périndopril, c’est en raison du temps qui était nécessaire pour faire évoluer son projet de commercialisation d’une version générique du périndopril ainsi que pour des considérations stratégiques destinées à améliorer sa position lors des négociations avec Servier en vue de parvenir à une transaction. La Commission aurait d’ailleurs indirectement confirmé, au considérant 2756 de la décision litigieuse, que Krka n’était pas un concurrent potentiel à la date de conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka.

353    La Commission conteste cette argumentation.

b)      Appréciation de la Cour

354    À titre liminaire, il importe de rappeler que l’existence d’une infraction aux règles de concurrence ne peut être appréciée correctement que si les indices invoqués par la décision contestée sont considérés non pas isolément, mais dans leur ensemble, compte tenu des caractéristiques du marché des produits en cause (arrêt du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries/Commission, 48/69, EU:C:1972:70, point 68). La portée du contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE s’étend à l’ensemble des éléments des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE dont il convient d’assurer un contrôle approfondi, en droit comme en fait, à la lumière des moyens soulevés par les parties (arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 44, ainsi que du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 72).

355    Selon les considérants 1672 à 1700 de la décision litigieuse, Krka était le premier fabricant de médicaments génériques à défier la position de Servier sur le marché du périndopril. Ces deux entreprises étaient déjà des concurrents actuels sur les marchés en République tchèque, en Lituanie, en Hongrie, en Pologne et en Slovénie, où Krka avait commencé à commercialiser une version générique du périndopril. Sur les autres marchés nationaux à l’intérieur de l’Union, Krka était un concurrent potentiel de Servier. Krka préparait son entrée sur ces autres marchés par des démarches concrètes et suffisantes, ayant notamment obtenu des autorisations de mise sur le marché en France, aux Pays-Bas ainsi qu’au Royaume-Uni, et disposait déjà d’un produit prêt à être lancé. Sur certains de ces autres marchés, elle bénéficiait de la coopération de partenaires commerciaux. La Commission a constaté, au considérant 1685 de cette décision, qu’il ressortait de nombreuses preuves documentaires antérieures à la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 que Krka était alors convaincue d’obtenir gain de cause dans des litiges opposant Krka ou ses partenaires commerciaux à Servier au sujet de la validité des brevets 340 et 947.

356    Ainsi, selon la décision litigieuse, avant la conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka, Krka concurrençait déjà Servier sur certains marchés nationaux et, sur ceux où elle n’était pas encore présente, elle disposait non seulement de la capacité d’entrer dans un bref délai, mais elle était également fermement déterminée à le faire. Au vu de ces éléments, Krka pouvait être considérée comme étant un concurrent potentiel de Servier.

357    Krka ne conteste pas ces éléments en tant que tels, mais soutient que la Commission ne pouvait pas considérer que, à la date de conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka, elle pouvait encore être considérée comme étant un concurrent potentiel de Servier. Krka reproche, en substance, à la Commission d’avoir dénaturé les intentions des parties, et plus particulièrement celles de Krka, en refusant d’accepter que les défaites judiciaires en série que cette entreprise avait subies l’avaient convaincue que le brevet 947 était valide et qu’il était donc préférable pour elle de négocier avec Servier en vue d’obtenir une licence de ce brevet sur ses marchés principaux. Elle souligne, par ailleurs, le fait que la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 avait porté atteinte à ses relations avec ses clients potentiels.

358    En l’occurrence, afin de déterminer si Krka est fondée à faire valoir que, en raison de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et de la décision de la High Court du 3 octobre 2006, elle ne disposait plus de la capacité ni de la détermination ferme d’entrer sur les marchés principaux de Servier, et ne constituait donc plus une source de concurrence potentielle, il convient de rappeler que l’existence d’un brevet qui protège le procédé de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public ne saurait, en tant que telle, être regardée comme une barrière insurmontable et n’empêche pas de qualifier de concurrent potentiel du fabricant du médicament princeps concerné un fabricant de médicaments génériques qui a effectivement la détermination ferme ainsi que la capacité propre d’entrer sur le marché et qui, par ses démarches, se montre prêt à contester la validité de ce brevet et à assumer le risque de se voir, lors de son entrée sur le marché, confronté à une action en contrefaçon introduite par le titulaire de ce brevet [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 46]. D’ailleurs, ainsi qu’il a été jugé au point 94 du présent arrêt, lorsque des litiges les opposant sur la question de la validité du brevet en question sont encore pendants, il est nécessaire d’examiner l’ensemble des éléments pertinents avant d’arriver à la conclusion selon laquelle le titulaire du brevet et un tel fabricant de médicaments génériques ne sont pas des concurrents potentiels.

359    Certes, Ratiopharm, cliente potentielle de Krka en vue d’une entrée sur certains des marchés principaux de Servier, a informé Krka, à la suite de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, qu’elle n’était pas prête à lancer le périndopril de Krka sur ces marchés « tant que le brevet [947] est confirmé ». Si cette décision d’une entreprise tierce de ne pas envisager une entrée « à risque » sur lesdits marchés a sans doute rendu une telle entrée plus difficile pour Krka, il ressort néanmoins des éléments invoqués par la Commission, lus dans leur ensemble, que cette circonstance n’a pas amené Krka à renoncer à son projet d’entrer sur les marchés principaux de Servier avec son périndopril dès que possible.

360    En effet, s’agissant de la détermination ferme de Krka à poursuivre ses efforts en vue de la commercialisation de son périndopril, ainsi que de la question de savoir si les défaites judiciaires subies par Krka ont constitué une barrière insurmontable à son entrée dans un délai à même de faire peser une pression concurrentielle sur Servier sur les marchés principaux de celle-ci, au sens de la jurisprudence rappelée au point 68 du présent arrêt, il ressort des éléments de preuve cités par la Commission aux considérants 1686 à 1691 de la décision litigieuse que ni la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 ni d’ailleurs la décision de la High Court du 3 octobre 2006 n’ont amené Krka à cesser ses efforts en vue d’entrer sur ces marchés. Par ailleurs, au cours de cette période, ainsi qu’il ressort des considérants 1687 et 1700 de la décision litigieuse que Krka ne conteste pas, Krka a réussi à obtenir, en Hongrie, au mois de septembre 2006, le rejet d’une demande de mesures provisoires de Servier relative au brevet 947, alors que Krka commercialisait déjà, sur le marché hongrois, son périndopril composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947.

361    Plus particulièrement, aux considérants 1687 et 1688 de la décision litigieuse, la Commission a fait état de documents faisant au contraire ressortir que Krka était critique à l’égard de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et déterminée à ne pas s’y résigner. Il découle notamment du témoignage d’un employé de Krka, cité in extenso aux considérants 895 et 1688 de cette décision, que « [c]e qui nous dérange particulièrement est que ce procès était discriminatoire vis-à-vis de l’industrie des produits génériques et nous ne les laisserons pas s’en tirer à si bon compte ». Une telle affirmation, faite pour le compte de Krka, infirme l’allégation selon laquelle Krka avait renoncé à contester la validité du brevet 947 en vue de pouvoir entrer sur les marchés principaux de Servier. En outre, les actions concrètes prises par Krka après la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 confirment que cette entreprise n’avait pas accepté la validité de ce brevet, car elle a continué à contester sa validité devant l’OEB et a introduit contre Servier, les 1er et 8 septembre 2006, des demandes reconventionnelles en nullité des brevets 947 et 340 dans le cadre des procédures en contrefaçon engagées par Servier au Royaume-Uni.

362    Par ailleurs, aucun document contemporain des accords de règlement amiable et de licence Krka n’indique que la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et la décision de la High Court du 3 octobre 2006 aient changé la perception par Krka de la validité du brevet 947 au point de l’amener à renoncer à ses projets de commercialisation de son propre périndopril. En particulier, les documents internes de Krka, datés des 13 et 14 septembre 2006, auxquels se réfère cette entreprise, et selon lesquels les activités relatives au périndopril de Krka devaient cesser au profit de travaux sur la mise au point d’une version non contrefaisante de ce médicament, ne sauraient être interprétés comme constituant le reflet d’une décision stratégique des dirigeants de Krka. En effet, ainsi que la Commission l’a souligné au considérant 1687 de la décision litigieuse, ces documents internes se limitent à consigner des positions exprimées lors de réunions opérationnelles au sein du département « Recherche et développement » de cette entreprise, dont l’interprétation donnée par Krka est, en tout état de cause, démentie par le fait que cette entreprise a poursuivi la production de son périndopril, composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947, ainsi que l’attestent les mêmes documents internes de Krka, comme l’a relevé la Commission à la note en bas de page 2260 de cette décision.

363    Certes, Krka soutient, en substance, que l’introduction d’une demande reconventionnelle devant la juridiction du Royaume-Uni saisie par Servier et la poursuite de ses activités relatives à la commercialisation de sa version générique du périndopril pouvaient s’expliquer au regard d’objectifs commerciaux légitimes, à savoir, d’une part, de l’obligation de défendre avec diligence ses intérêts et, d’autre part, sa volonté de renforcer sa position de négociation à l’égard de Servier. Toutefois, ces objectifs commerciaux prétendument légitimes sont pertinents non pas pour apprécier l’existence d’une concurrence potentielle entre Krka et Servier mais uniquement, le cas échéant, pour apprécier l’objet des accords de règlement amiable et de licence Krka. En effet, et alors que, par ces allégations, Krka se borne à invoquer des éléments relatifs à son intention, ces allégations ne sont pas susceptibles de remettre en cause le fait que, en dépit des défaites judiciaires subies, Krka n’avait pas mis un terme à ses projets de commercialisation d’un périndopril composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947.

364    En tout état de cause, eu égard aux preuves contraires invoquées par la Commission aux considérants 1686 à 1691 de ladite décision, ces documents internes n’établissent pas de manière convaincante que Krka aurait, comme l’affirme cette entreprise, définitivement renoncé à entrer avec ce périndopril sur les marchés principaux de Servier à la suite de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006. En effet, ces preuves attestent de manière objective que Krka continuait de disposer d’une capacité propre d’accéder aux marchés principaux de Servier ainsi que de l’intention d’y entrer.

365    Dans la mesure où Krka reproche à la Commission d’avoir « dénaturé » les intentions des parties, il convient de rappeler que la Commission a reconnu, aux considérants 1688 et 1690 de la décision litigieuse, que Krka n’était plus aussi fermement convaincue de la force de sa position contentieuse à la suite de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et que c’est en réaction à cette décision que Krka avait pris l’initiative de contacter Servier afin d’envisager la possibilité que celle-ci lui octroie une licence sur le brevet 947 pour certains marchés géographiques.

366    Toutefois, cette initiative ne démontre pas non plus que Krka avait renoncé à concurrencer Servier sur les marchés principaux de cette dernière au moyen de son périndopril composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947. En effet, ainsi qu’il résulte des éléments de preuve invoqués par la Commission aux considérants 912 et 1688 de la décision litigieuse, Krka était consciente du fait que Servier avait accepté de négocier avec elle à la suite de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 parce qu’elle représentait « une menace sérieuse » pour Servier qui « croyait que Krka détenait des preuves parmi les meilleures et les plus complètes dans l’opposition devant l’OEB et dans la révocation au Royaume-Uni ». Il s’ensuit que l’existence du différend opposant Krka à Servier au sujet de la validité du brevet 947, qui faisait l’objet de litiges pendants devant l’OEB et au Royaume-Uni et que ces deux entreprises considéraient comme sérieux, constitue un indice supplémentaire du rapport de concurrence potentielle entre elles [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 52], cette concurrence étant d’ailleurs susceptible de devenir actuelle dans un délai à même de faire peser une pression concurrentielle sur Servier au sens de la jurisprudence citée au point 68 du présent arrêt. Tel est nécessairement le cas dès lors que l’existence de cette concurrence a effectivement influencé le comportement commercial de Servier en l’amenant à octroyer une licence à Krka sur les marchés principaux de celle-ci.

367    En effet, il convient de rappeler à cet égard que la conclusion d’un accord entre plusieurs entreprises opérant à un même niveau de la chaîne de production et dont certaines ne sont pas présentes sur le marché concerné constitue un indice fort de l’existence d’une relation concurrentielle entre lesdites entreprises [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 55 ainsi que jurisprudence citée].

368    Or, si le fait pour Krka de négocier avec Servier dans le but de conclure des accords tels que les accords de règlement amiable et de licence Krka suffisait pour démontrer que Krka n’avait plus la détermination ferme de concurrencer Servier au moyen de son périndopril composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947, voire qu’il existait un obstacle insurmontable à une telle entrée sur les marchés principaux de Servier, nonobstant l’existence d’éléments de preuve objectifs tels que ceux cités par la Commission aux considérants 1686 à 1691 de la décision litigieuse, cela signifierait, de manière contradictoire par rapport à la jurisprudence qui vient d’être rappelée au point précédent, que la décision d’une entreprise de négocier et ensuite de conclure un accord avec une autre entreprise opérant à un même niveau de la chaîne de production, dans le but de substituer la coopération à une concurrence sur les mérites, pourrait avoir pour conséquence qu’elle n’était plus un concurrent potentiel de son cocontractant. Si tel était le cas, le choix délibéré d’une entreprise de poursuivre une politique commerciale consistant à conclure un accord ayant un objet anticoncurrentiel pourrait faire échapper ce même accord à l’interdiction énoncée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE et priver ainsi cette disposition d’une partie importante de son effet utile.

369    Quant à l’argument de Krka selon lequel la Commission aurait indirectement confirmé, au considérant 2756 de la décision litigieuse, que Krka n’était pas un concurrent potentiel de Servier sur le marché du périndopril à la date de conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka, il convient de relever que ce considérant ne s’inscrit pas dans le cadre de l’analyse de cette concurrence potentielle aux fins de l’application de l’article 101 TFUE, mais se rapporte à l’existence d’une position dominante de Servier sur le marché de la technologie relative au principe actif de ce médicament, aux fins de l’application de l’article 102 TFUE. Dès lors, et sans qu’il soit besoin de statuer dans le présent arrêt sur la validité des éléments visés audit considérant, il y a lieu de constater que cet argument ne saurait remettre en cause les motifs exposés aux points 358 à 368 du présent arrêt.

370    Compte tenu de ce qui précède, l’argumentation de Krka ne permet pas d’infirmer la constatation opérée par la Commission, au considérant 1700 de la décision litigieuse, selon laquelle, à la date de conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka, Krka était un concurrent potentiel de Servier.

371    Il y a lieu, dès lors, de rejeter les premier et deuxième moyens du recours en première instance de Krka.

2.      Sur lexistence dun accord de partage de marché

a)      Argumentation des parties

372    Par la première branche du troisième moyen de son recours en première instance, Krka soutient que la Commission a commis des erreurs dans l’analyse factuelle et juridique des accords de règlement amiable et de licence Krka.

373    En premier lieu, après avoir réitéré que, à la date de conclusion de ces accords, elle n’était pas un concurrent au moins potentiel de Servier, Krka conteste l’appréciation de la Commission selon laquelle l’accord de licence Krka aurait servi à inciter Krka à conclure l’accord de règlement amiable Krka.

374    Tout d’abord, ce premier accord ne serait pas la contrepartie du second. En effet, l’accord de règlement amiable Krka n’aurait impliqué aucune contrepartie financière de Servier au bénéfice de Krka.

375    Ensuite, l’accord de licence Krka aurait été conclu dans des conditions normales de marché. Il s’agirait d’une licence de brevet ordinaire. Krka conteste l’estimation, donnée au considérant 1738 de la décision litigieuse, de la valeur de cet accord de licence à dix millions d’euros, une telle estimation étant spéculative. L’accord de licence Krka constituerait un accord commercial avec contrepartie ordinaire, en vertu duquel les deux parties auraient des droits et des obligations, sans transfert de valeur.

376    Enfin, l’existence d’un accord de partage de marché serait contredite par la vive concurrence entre Servier et Krka sur les marchés principaux de cette dernière, ainsi que la Commission l’aurait d’ailleurs indiqué aux considérants 1725 et 2350 de la décision litigieuse. Le fait que l’accord de licence Krka a concédé une licence exclusive à Krka sur ses marchés principaux refléterait, selon celle-ci, l’existence des droits de Servier en sa qualité de titulaire du brevet 947.

377    Par ailleurs, Krka affirme qu’elle n’a pas renoncé à entrer sur les marchés principaux de Servier en contrepartie de l’accord de licence Krka. Elle réitère que cette entrée était impossible en raison du brevet 947. Krka conteste l’interprétation de ses propres déclarations, effectuée par la Commission aux considérants 1746 et 1751 de la décision litigieuse. Contrairement aux affirmations de cette institution, Krka aurait proposé à Servier non pas un « retrait de la concurrence », mais un règlement amiable des litiges relatifs au brevet 947. De l’avis de Krka, la déclaration de Lupin, visée au considérant 1730 de la décision litigieuse, selon laquelle il « semblerait que, du point de vue de Servier, la justification de [l’accord de règlement amiable Krka] soit la protection des marchés principaux dans lesquels on constate la prédominance d’un niveau élevé de substitution et/ou d’une prescription de [dénomination commune internationale] », ne lui a pas été communiquée et est dépourvue de pertinence ainsi que de caractère probant.

378    L’accord de règlement amiable Krka aurait eu pour effet non pas de restreindre mais d’augmenter la concurrence. L’accord de licence Krka aurait permis à Krka, sur ses marchés principaux, de concurrencer Servier. La Commission aurait ignoré que les accords de licence de brevet sont, par nature, proconcurrentiels, comme il ressort du règlement no 772/2004, ainsi que des lignes directrices relatives à l’application de l’article 101 TFUE aux accords de transfert de technologie, visées au point 213 du présent arrêt.

379    Krka soutient que l’acceptation par elle de l’accord de règlement amiable Krka s’explique non pas par la conclusion de l’accord de licence Krka, mais par le fait qu’elle reconnaissait désormais la validité du brevet 947. En effet, la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et la décision de la High Court du 3 octobre 2006 l’auraient convaincue qu’il était indispensable de mettre fin aux litiges l’opposant à Servier au sujet de la validité de ce brevet et du caractère contrefaisant du périndopril de Krka.

380    Krka affirme que l’accord de règlement amiable Krka ne l’a pas conduite à abandonner le projet d’entrer sur les marchés du périndopril. La décision de l’OEB du 27 juillet 2006 l’aurait certes amenée à abandonner la commercialisation de son périndopril composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947, en raison du caractère contrefaisant de ce médicament. Cette décision l’aurait incitée à développer une forme non contrefaisante dudit médicament, pour laquelle elle aurait obtenu, dès l’année 2009, des autorisations de mise sur le marché.

381    En second lieu, Krka conteste que l’accord de règlement amiable Krka restreigne la concurrence. Cet accord ne relèverait pas de l’interdiction prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, car il aurait poursuivi l’objectif légitime de régler de véritables différends avec Servier. Ledit accord aurait été conclu non pas en contrepartie de la concession d’une licence sur le brevet 947, mais parce que Krka reconnaissait la validité de ce brevet. Par ailleurs, ce même accord ne prévoyait aucune restriction aux activités commerciales de Krka portant sur des formes non contrefaisantes du périndopril ou sur le principe actif de ce médicament.

382    Krka soutient à cet égard que les clauses de non-contestation et de non-commercialisation prévues par l’accord de règlement amiable Krka ne restreignaient pas la concurrence. Selon Krka, ces clauses avaient pour seul objet légitime de mettre un terme aux litiges qui l’opposaient à Servier. Si ces clauses empêchaient la commercialisation du périndopril, composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947, c’est uniquement parce que ce médicament était contrefaisant.

383    S’agissant de la clause de non-contestation, Krka fait valoir que la motivation de la décision litigieuse est contradictoire. D’une part, cette décision affirme que ladite clause restreint la concurrence alors que, d’autre part, elle reconnaît, au considérant 1133, que les parties à un litige en matière de brevets peuvent conclure un accord de règlement amiable nonobstant l’utilité de disposer d’une décision de justice.

384    L’affirmation de la Commission selon laquelle ladite clause de non-contestation avait pour effet d’empêcher un examen objectif de la validité du brevet 947 serait erronée puisque le désistement de Krka est resté sans effet sur la poursuite des procédures judiciaires intentées par les autres parties à ces procédures.

385    Par la deuxième branche du troisième moyen de son recours en première instance, Krka soutient que la Commission a omis d’examiner de manière adéquate le contexte économique et juridique de l’accord de règlement amiable Krka, car elle a omis de prendre en considération la nature des biens affectés, les conditions réelles du fonctionnement du marché et la structure de celui-ci.

386    Par la troisième branche du troisième moyen de son recours en première instance, Krka soutient, à titre subsidiaire que, quand bien même l’accord de licence Krka aurait constitué la contrepartie de l’accord de règlement amiable Krka, ce dernier accord n’enfreindrait pas le droit de la concurrence, que ce soit au regard des critères établis, en droit américain, par l’arrêt de la Supreme Court of the United States (Cour suprême des États-Unis) du 17 juin 2013, Federal Trade Commission v. Actavis [570 U. S. (2013)], ou, en droit de l’Union, par la Commission dans la décision litigieuse.

387    S’agissant de ces derniers critères, Krka souligne qu’il ressort du considérant 1102 de la décision litigieuse que le transfert de valeur est envisagé dans un rapport unilatéral, allant du fabricant de médicaments princeps au bénéfice du fabricant du médicament générique. Or, en l’espèce, la Commission aurait affirmé que l’accord de licence Krka était la contrepartie de l’accord de règlement amiable Krka. Cela reviendrait à considérer que ces accords ont donné lieu à des transferts de valeur réciproques. Dès lors, afin de démontrer l’existence d’un transfert de valeur net au bénéfice de Krka, permettant de déduire l’existence d’une violation du droit de la concurrence, la Commission aurait été tenue de démontrer que le gain pour Servier sur ses marchés principaux était inférieur à celui de Krka sur ses propres marchés principaux.

388    En outre, la Commission aurait omis d’établir, dans la décision litigieuse, que les accords de règlement amiable et de licence Krka ont eu pour conséquence de réduire l’incitation de Krka à poursuivre ses efforts pour commercialiser son propre périndopril. Cependant, la Commission aurait fait abstraction du fait que Krka demeurait libre de développer une forme non contrefaisante de ce médicament. La Commission aurait ignoré que, après la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, Krka a été convaincue qu’elle n’avait aucune chance d’obtenir la révocation du brevet 947 et que l’accord de licence Krka a eu des effets proconcurrentiels sur les marchés principaux de Krka.

389    La Commission conteste cette argumentation.

b)      Appréciation de la Cour

390    Krka affirme que les accords de règlement amiable et de licence Krka ont été conclus en raison de la reconnaissance de la validité du brevet 947 et visaient à trouver une solution aux litiges qui l’opposaient à Servier au sujet du brevet 947.

391    Toutefois, par cette argumentation, Krka se borne, en substance, à réitérer ses allégations, tirées de la prétendue reconnaissance de la validité de ce brevet, relatives à l’absence de concurrence potentielle exercée par Krka et à l’existence d’un accord de partage de marché. Or, ces arguments ont déjà été rejetés pour les motifs exposés, respectivement, aux points 355 à 370 et 141 à 147 du présent arrêt.

392    Par le reste de son argumentation, Krka conteste, en substance, l’existence d’un accord de partage de marché selon lequel Krka aurait renoncé à entrer sur les marchés principaux de Servier en contrepartie de l’instauration d’un duopole de fait sur les marchés principaux de Krka.

393    Dans la mesure où Krka invoque le caractère prétendument « légitime » des clauses des accords de règlement amiable et de licence Krka, il convient de rappeler d’emblée que, si les buts objectifs que des accords visent à atteindre à l’égard de la concurrence sont pertinents pour apprécier leur éventuel objet anticoncurrentiel, la circonstance que les entreprises impliquées ont agi sans avoir l’intention d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence et le fait qu’elles ont poursuivi certains objectifs légitimes ne sont pas déterminants aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 167 et jurisprudence citée). Ainsi, le fait qu’une stratégie commerciale consistant pour des entreprises opérant à un même niveau de la chaîne de production de négocier de tels accords entre elles pour mettre fin à un litige relatif à la validité d’un brevet soit logique et rationnelle du point de vue de ces entreprises ne démontre aucunement que la poursuite de cette stratégie soit justifiable du point de vue du droit de la concurrence.

394    En outre, il est certes exact, ainsi qu’il a été jugé au point 189 du présent arrêt, que les accords de règlement amiable d’un litige en matière de brevets, de même que les accords de licence associés à de tels accords, peuvent être conclus dans un but légitime et en toute légalité sur le fondement de la reconnaissance par les parties de la validité du brevet en cause. D’ailleurs, les accords de règlement à l’amiable sont encouragés par les pouvoirs publics en ce qu’ils permettent des économies en termes de ressources et sont donc avantageux pour le grand public [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 79]. De la même manière, ainsi que le relève Krka à juste titre dans sa requête en première instance, il est indéniable qu’un accord de licence permettant à un fabricant de médicaments génériques d’entrer sur certains marchés qui sont fermés à la concurrence en raison de l’existence d’un brevet est susceptible, par hypothèse, de produire des effets proconcurrentiels sur ces mêmes marchés.

395    Toutefois, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence visée au point 189 du présent arrêt, le fait que des accords poursuivent un objectif qui, dans l’abstrait, est susceptible d’être légitime ne saurait faire échapper ces accords à l’application de l’article 101 TFUE s’il s’avère que lesdits accords visent également à répartir des marchés ou à réaliser d’autres restrictions à la concurrence. Par ailleurs, ainsi qu’il a été rappelé aux points 141 à 147 du présent arrêt, le fait qu’un accord prend une forme juridique en principe légitime et que les termes de cet accord ne dévoilent pas d’objet anticoncurrentiel apparent n’est pas, en soi, déterminant pour la question de savoir s’il donne lieu à une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. En effet, tout accord doit être apprécié au regard de son contenu spécifique et de son contexte économique, et notamment à la lumière de la situation du marché concerné.

396    Or, en l’espèce, les arguments avancés par Krka dans le cadre de son troisième moyen de première instance, relatifs au contenu des accords de règlement amiable et de licence Krka, font abstraction, en premier lieu, du fait que les liens entre ces accords sont tels qu’il était indispensable d’examiner leurs clauses non pas de manière isolée, mais comme formant un ensemble. En second lieu, ces arguments ne tiennent pas compte du fait que l’accord de licence Krka autorisait Krka à commercialiser son périndopril, composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947, sur ses marchés principaux, sur lesquels l’infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE constatée dans la décision litigieuse ne porte pas, alors que l’accord de règlement amiable interdisait à Krka de commercialiser ce médicament sur les marchés principaux de Servier, sur lesquels porte cette infraction.

397    S’agissant des liens entre les accords de règlement amiable et de licence Krka, il résulte clairement des termes de ces accords et des circonstances entourant leur conclusion, tels que rapportés par la Commission au considérant 1703 de la décision litigieuse, que, sur le plan économique, ces accords sont liés en ce sens que, ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 1702 de cette décision, l’un ne pouvait être conclu en l’absence de l’autre. Par ailleurs, ce lien est attesté par les preuves documentaires invoquées par la Commission aux considérants 1746 et 2103 de la décision litigieuse, dont il ressort que Krka considérait que l’accord de licence Krka était une condition préalable pour accepter de s’abstenir d’entrer sur les marchés principaux de Servier, les restrictions prévues par l’accord de règlement amiable Krka étant indispensables pour obtenir cette licence. Ainsi, dans la mesure où Krka cherche, sans contester l’existence de ces liens en tant que tels, à remettre en cause l’analyse de ces accords effectuée par la Commission sur la base d’une argumentation qui examine lesdits accords séparément en vue d’établir le caractère prétendument légitime de leur contenu, cette argumentation est fondée sur une fausse prémisse. Il en résulte également, ainsi qu’il a été jugé au point 157 du présent arrêt, et contrairement à l’argumentation de Krka, que, indépendamment du niveau adéquat ou non de la redevance prévue par l’accord de licence Krka au regard des conditions du marché, c’est l’accès à ses marchés principaux sans risque de contrefaçon qui a motivé Krka à renoncer à vendre son périndopril, composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947, sur les marchés principaux de Servier.

398    Par ailleurs, l’argument de Krka tiré du caractère prétendument proconcurrentiel de l’accord de licence Krka sur les marchés principaux de Krka est infirmé par le fait que cet accord ne couvre pas les marchés principaux de Servier, seuls visés par l’infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE constatée dans la décision litigieuse. En effet, ce caractère proconcurrentiel, à le supposer établi, n’aurait une incidence positive sur le jeu de la concurrence que sur les marchés principaux de Krka. En tout état de cause, si l’octroi d’une licence sur certains marchés en contrepartie d’un engagement du bénéficiaire de cette licence de renoncer à contester la validité du brevet de son cocontractant en ce qui concerne ces mêmes marchés peut, sous réserve d’une appréciation de son contenu spécifique et de son contexte économique, être considéré comme étant légitime sur le plan concurrentiel, il en est autrement lorsqu’un ensemble d’accords permet à ce bénéficiaire d’entrer sans risque de contrefaçon sur certains marchés géographiques tout en lui interdisant d’entrer sur d’autres marchés.

399    Un tel ensemble d’accords implique, en principe, un partage de ces marchés et, partant, une restriction de la concurrence par objet, laquelle ne peut être relativisée ni compensée par d’éventuels effets positifs ou proconcurrentiels sur quelque marché que ce soit. Or, il n’appartient pas à la Commission d’examiner les effets d’un accord ou d’un comportement dans le cadre de son appréciation relative à l’existence d’une éventuelle restriction de la concurrence par objet (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, points 159 et 166 ainsi que jurisprudence citée).

400    En outre, comme la Commission l’a expliqué au considérant 1745 de la décision litigieuse, c’est précisément en raison du fait que l’accord de licence Krka et l’obligation de non-contrefaçon qui résulte de l’accord de règlement amiable Krka ne couvrent pas les mêmes marchés nationaux que, selon elle, cet accord de licence n’était pas légitime, mais constituait plutôt une importante incitation économique pour Krka à accepter les restrictions prévues par l’accord de règlement amiable Krka et, partant, à se répartir géographiquement ces marchés avec Servier. Ce quid pro quo serait donc assimilable, d’un point de vue économique, à un transfert de valeur au sens de la jurisprudence rappelée au point 71 du présent arrêt. Aux fins de vérifier le bien-fondé de cette analyse, il y a lieu, conformément à cette jurisprudence, d’apprécier si ce transfert de valeur de Servier en faveur de Krka s’explique uniquement par l’intérêt de Servier et Krka à ne pas se livrer une concurrence par les mérites.

401    À cet égard, ainsi qu’il a été rappelé aux points 355 et 356 du présent arrêt, non seulement Krka vendait déjà son périndopril sur certains de ses marchés principaux mais, en outre, elle devançait les concurrents potentiels de Servier dans ses projets de commercialisation d’une version générique du périndopril, notamment en France et au Royaume-Uni, deux des marchés principaux de Servier. Par ailleurs, il ressort des données relatives aux ventes du périndopril figurant notamment aux considérants 2273 à 2401 de la décision litigieuse que le prix auquel Servier vendait ce médicament sur les marchés en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni était très largement supérieur à celui auquel Krka vendait son périndopril sur le marché en Pologne. Dans ces conditions, l’incitation de Servier à retarder l’entrée de ce médicament sur ses marchés principaux était manifeste et n’a d’ailleurs pas été contestée.

402    S’agissant de la question de savoir si la Commission a valablement pu considérer que l’accord de licence Krka constituait une contrepartie de l’accord de règlement amiable Krka, il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que l’accord de licence Krka concédait, à titre exclusif et irrévocable, les droits du brevet 947 au bénéfice de Krka sur les marchés principaux de cette dernière, nonobstant la possibilité que s’était réservée Servier d’exploiter également ces droits, directement ou par l’intermédiaire de ses filiales ou par l’intermédiaire d’un seul tiers par pays. Il découle de cet arrangement que, sur chacun de ces marchés, hormis Servier, ses filiales ou un tiers désigné par elle, Krka était la seule entreprise en mesure de commercialiser du périndopril composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947 sans risquer de commettre un acte de contrefaçon de ce brevet.

403    Ensuite, ainsi que la Commission l’a souligné aux considérants 1721, 1724, 1728 à 1730 et 1819 de la décision litigieuse, la renonciation de Servier à s’opposer à la commercialisation par Krka, sur les marchés principaux de cette dernière, d’une version générique du périndopril équivaut effectivement, d’un point de vue économique, à opérer un transfert de valeur au profit de Krka. Grâce à un tel quid pro quo, Servier et Krka ont chacune pu maintenir, sur leurs marchés principaux respectifs, une position plus favorable, Servier étant parvenue à écarter la concurrence potentielle résultant d’une entrée du périndopril de Krka, composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947, sur ses marchés principaux et Krka ayant obtenu la certitude de pouvoir commercialiser ce médicament sur ses propres marchés principaux, sans risque de contrefaçon.

404    Dans ce contexte, Krka dément avoir renoncé à entrer sur les marchés principaux de Servier en contrepartie de l’accord de licence Krka. Toutefois, il résulte des preuves invoquées par la Commission aux considérants 913 et 1748 de la décision litigieuse que Krka a elle-même indiqué à la Commission, le 4 août 2009, en réponse à une demande de renseignements de cette institution, qu’elle avait « sacrifi[é] » les marchés principaux de Servier, qui « étaient d’une moindre importance pour Krka », « contre une entrée immédiate sur les marchés d’Europe centrale et orientale ». Sans qu’il soit nécessaire de statuer sur le grief de Krka relatif à la pertinence de la déclaration de Lupin mentionnée au considérant 1730 de la décision litigieuse, il résulte donc des éléments du dossier soumis à la Cour que la perspective ainsi offerte à Krka d’être le seul fabricant d’une version générique du périndopril sur ses marchés principaux était préférable, du point de vue subjectif de Krka – même si elle n’avait pas renoncé à entrer sur les marchés principaux de Servier en l’absence de l’octroi d’une licence couvrant ses propres marchés principaux – à celle d’actions judiciaires sur les marchés principaux de Servier qui risquaient d’être onéreuses, dont l’issue était incertaine et qui, en cas de succès, auraient bénéficié à l’ensemble des fabricants de médicaments génériques, ainsi que la Commission l’a constaté aux considérants 844, 874, 914, 1759 et 1763 de la décision litigieuse.

405    S’agissant de l’argument de Krka selon lequel la Commission aurait minimisé l’importance de la concurrence entre Servier et elle sur les marchés principaux de Krka, il convient de souligner que, si, aux considérants 1728 et 1744 de la décision litigieuse, la Commission n’a pas nié l’existence d’un certain degré de concurrence, le degré précis de concurrence sur ces marchés est dénué de pertinence car il ne change rien au fait que Servier a nécessairement renoncé à des parts de marchés, et donc à une partie de ses bénéfices, en faveur de Krka.

406    Quant à l’argumentation subsidiaire de Krka, selon laquelle la renonciation par Krka aux marchés principaux de Servier pourrait s’analyser comme un transfert de valeur de Krka en faveur de Servier, de telle sorte qu’il serait question en l’espèce de deux transferts de valeur réciproques, il suffit de relever que cette argumentation fait abstraction du caractère restrictif de la concurrence par objet, relevé aux points 398 et 399 du présent arrêt, d’un arrangement tel que celui constitué par les accords de règlement amiable et de licence Krka, dès lors que cet arrangement aboutit objectivement à un partage géographique des marchés nationaux.

407    S’agissant de la question de savoir si le transfert de valeur mentionné au point 403 du présent arrêt était suffisamment important pour avoir incité Krka à conclure l’accord de règlement amiable Krka, il ressort du considérant 1738 de la décision litigieuse que Krka a, elle-même, évalué la valeur économique ainsi transférée par Servier en contrepartie de son engagement à renoncer à entrer sur les marchés principaux de cette entreprise à environ dix millions d’euros sur une période de trois ans. Cette estimation s’est révélée être fiable puisque, ainsi qu’il ressort des éléments du dossier cités à la note en bas de page 4112 de cette décision, pendant la durée des accords de règlement amiable et de licence Krka, le bénéfice tiré par Krka de la vente du périndopril sur les seuls marchés en Hongrie, en Pologne et en République tchèque ont atteint la somme de dix millions d’euros. Or, même en déduisant de ce montant de dix millions d’euros les montants de la redevance annuellement due par Krka à Servier au titre de l’accord de licence Krka, il demeure qu’un transfert de valeur de Servier à Krka d’une telle importance ne peut s’expliquer par aucune autre contrepartie de la part de Krka que son engagement à ne pas livrer concurrence à Servier sur ses marchés principaux.

408    Krka fait valoir qu’il lui était interdit, sur les marchés principaux de Servier, de commercialiser son périndopril composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947, en raison de son caractère prétendument contrefaisant, mais qu’elle demeurait libre de commercialiser une version non contrefaisante de ce médicament, qu’elle aurait d’ailleurs été en train de développer. Toutefois, il suffit de relever, à cet égard, que le fait pour un accord de partage de marché de limiter les possibilités pour un concurrent potentiel de livrer concurrence au titulaire d’un brevet sans, toutefois, exclure toute possibilité d’une concurrence de la part de ce concurrent à long terme en développant un produit non contrefaisant, ne saurait infirmer la conclusion selon laquelle un tel accord constitue une restriction de la concurrence par objet.

409    S’agissant de l’argumentation de Krka aux termes de laquelle l’accord de règlement amiable Krka n’empêchait pas les autres concurrents potentiels de Servier de poursuivre leurs recours visant à invalider le brevet 947, il y a lieu de constater qu’une telle circonstance ne saurait justifier, au regard du droit de la concurrence, le fait que cet accord obligeait Krka à renoncer aux litiges en cours l’opposant à Servier à ce sujet. Cela est d’autant plus vrai que, ainsi qu’il résulte des éléments de preuve mentionnés au point 366 du présent arrêt, Servier « croyait que Krka détenait des preuves parmi les meilleures et les plus complètes dans l’opposition devant l’OEB et dans la révocation au Royaume-Uni », ce qui signifie que le retrait de ses actions en justice était susceptible de réduire de manière significative les chances que ce brevet soit invalidé et donc de renforcer la maîtrise que Servier pouvait exercer sur les marchés concernés.

410    Il convient d’ajouter, à toutes fins utiles, que, dans la mesure où Krka vise, par certains de ses arguments, à minimiser le degré de nocivité des accords Krka, il n’existe aucun doute que la restriction de la concurrence constatée par la Commission était suffisamment nocive pour être qualifiée de restriction de la concurrence par objet, au sens de la jurisprudence de la Cour [voir, par analogie, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 67 ainsi que jurisprudence citée]. En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 64 du présent arrêt, les accords qui visent la répartition des marchés ont un objet restrictif de la concurrence en eux-mêmes et relèvent d’une catégorie d’accords expressément interdite par l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

411    L’évaluation de l’ensemble des arguments des parties et des éléments de preuve du dossier conduit donc à considérer que c’est sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la Commission a pu considérer, au considérant 1745 de la décision litigieuse, que, si une licence de brevet peut être un moyen légitime pour le titulaire de ce brevet d’accorder à un tiers le droit d’exploiter l’invention protégée par ledit brevet, l’accord de licence Krka avait servi d’incitation pour obtenir l’engagement de Krka de renoncer à son entrée sur les marchés principaux de Servier, permettant ainsi à ces deux entreprises d’organiser entre elles un partage de marché.

412    Il convient, par suite, de rejeter le troisième moyen du recours de Krka en première instance et de constater que Krka n’est pas parvenue à infirmer la qualification de restriction de la concurrence par objet opérée, dans la décision litigieuse, à l’égard de la pratique visant, pour Servier et Krka, à se partager le marché du périndopril au moyen des accords de règlement amiable et de licence Krka.

B.      Sur le cinquième moyen du recours en première instance, relatif à l’existence d’une restriction de la concurrence par effet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE

1.      Argumentation des parties

413    Par son cinquième moyen du recours en première instance, Krka conteste l’appréciation portée par la Commission, aux considérants 1813 et suivants de la décision litigieuse, concernant la qualification des accords Krka de restriction de la concurrence par effet.

414    Krka soutient que, afin de constater l’existence d’une telle restriction, la Commission était tenue d’établir non pas que ces accords visaient à restreindre la concurrence, mais que la concurrence avait effectivement été restreinte. La Commission ne serait pas parvenue à établir cette preuve.

415    Krka dénonce le caractère irréaliste de l’analyse contrefactuelle de la Commission. Elle rappelle que, après la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, elle disposait de trois options, à savoir soit commercialiser son périndopril contrefaisant, soit renoncer à commercialiser ce médicament, soit tenter de régler à l’amiable les litiges l’opposant à Servier.

416    À cet égard, Krka conteste l’appréciation, au considérant 1826 de la décision litigieuse, selon laquelle, après la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, elle a poursuivi ses efforts en vue d’entrer sur les marchés principaux de Servier. Elle affirme que, dès cette décision, elle s’est employée à régler à l’amiable les litiges l’opposant à Servier. Le maintien de sa présence sur les marchés du périndopril en République tchèque, en Lituanie, en Hongrie, en Pologne et en Slovénie pendant ces négociations ne saurait être interprété comme signifiant qu’elle poursuivait ses efforts pour entrer sur les autres marchés.

417    Krka réitère qu’elle ne s’est pas désistée des procédures judiciaires qui l’opposaient à Servier au sujet du brevet 947 car elle souhaitait, d’une part, assurer sa défense dans les procédures intentées par Servier et, d’autre part, renforcer sa position de négociation en vue d’une transaction avec cette entreprise.

418    Par ailleurs, Krka conteste l’affirmation de la Commission, aux considérants 1827 à 1830 de la décision litigieuse, selon laquelle il était probable que, en l’absence des accords Krka, ses efforts pour entrer sur le marché du périndopril auraient abouti. Elle critique l’appréciation selon laquelle elle aurait continué, dans cette hypothèse, à contester la validité des brevets de Servier, ainsi qu’à commercialiser son périndopril et qu’elle aurait vendu à des fabricants de médicaments génériques sa technologie relative au principe actif de ce médicament.

419    Krka rappelle que, après la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, elle ne croyait plus possible de parvenir à obtenir la révocation du brevet 947.

420    Après la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, toute nouvelle entrée du périndopril de Krka aurait exposé cette entreprise à des risques commerciaux qu’elle n’était pas prête à supporter. La Commission aurait méconnu que cette décision a eu pour effet de dissuader Krka d’entrer sur les marchés du périndopril et ce jusqu’à la révocation du brevet 947 au mois de mai 2009, s’agissant des marchés autres que ceux couverts par l’accord de licence Krka.

421    Krka rejette l’allégation selon laquelle elle aurait pu céder sa technologie relative au principe actif du périndopril à d’autres fabricants de médicaments génériques, car, en réalité, ces fabricants n’avaient aucun intérêt pour cette technologie.

422    La Commission conteste cette argumentation.

2.      Appréciation de la Cour

423    Il résulte des éléments de droit exposés aux points 316 à 335 du présent arrêt que les arguments relatifs au scénario contrefactuel avancés par Krka dans le cadre du présent moyen reposent sur une interprétation erronée de la charge qui incombe à la Commission afin d’établir la preuve des effets restrictifs de la concurrence d’accords qui, à l’instar des accords Krka, visent à instaurer un partage des marchés en retardant l’entrée d’un médicament générique sur le marché.

424    En effet, ainsi qu’il a déjà été jugé au point 331 du présent arrêt, il incombait à la Commission de prouver que le scénario contrefactuel retenu était réaliste et crédible. Or, comme il ressort en substance du point 332 du présent arrêt, dans la mesure où, en l’espèce, la restriction de la concurrence en cause tenait à l’élimination de la source de concurrence potentielle exercée par Krka sur Servier, l’analyse du scénario contrefactuel correspondait, en substance, à celle de l’existence de cette concurrence potentielle, qui a été éliminée par les accords Krka. Ainsi, afin de déterminer si les accords Krka, qui interdisaient à Krka d’entrer sur les marchés en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, ont produit un effet avéré sur la concurrence potentielle, il y avait lieu pour la Commission de vérifier si Krka aurait disposé, en l’absence de ces accords, d’une possibilité réelle et concrète d’intégrer ces marchés dans un délai à même de faire peser une pression concurrentielle sur Servier, de telle sorte que la menace d’une telle entrée pouvait être considérée comme étant réaliste et crédible [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 117 à 120].

425    En prenant en compte, aux considérants 1826, 1829 et 1835 à 1846 de la décision litigieuse, le contexte économique et juridique des accords Krka, la Commission a valablement pu estimer que Krka représentait l’une des menaces les plus immédiates pour Servier, en raison du fait qu’elle disposait de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur les marchés en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Le fait qu’il ne soit pas possible de déterminer avec certitude si Krka serait effectivement entrée sur ces marchés est sans incidence sur la circonstance que, bien que désirant entrer sur lesdits marchés et possédant les moyens de le faire, elle s’est concertée avec Servier afin de renoncer à une telle possibilité, dans des termes mutuellement bénéfiques à ces deux entreprises.

426    En l’absence des accords Krka, cette possibilité d’entrée de la part de Krka, au moyen de son périndopril composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947, n’aurait pas été éliminée. Par voie de conséquence, la Commission a établi que l’élimination, grâce à la mise en œuvre desdits accords, de cette source de concurrence potentielle avait pour effet de restreindre la concurrence de manière sensible. Une telle élimination de la concurrence potentielle constituait donc un effet qui n’était ni hypothétique ni potentiel, mais bien réel, et de nature à justifier la qualification de restriction de la concurrence par effet retenue au considérant 1850 de la décision litigieuse.

427    Le reste de l’argumentation de Krka repose soit sur la prémisse selon laquelle cette entreprise n’exerçait plus une concurrence potentielle sur Servier à la suite de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, soit sur la prémisse selon laquelle les accords Krka ne constituaient pas un accord de partage de marché. Chacune de ces prémisses étant erronée, ainsi qu’il ressort des points 390 à 411 du présent arrêt, l’argumentation de Krka doit, dès lors, être rejetée.

428    Il convient, dès lors, de rejeter le cinquième moyen du recours en première instance de Krka.

C.      Sur le sixième moyen, relatif à l’article 101, paragraphe 3, TFUE

1.      Argumentation des parties

429    À titre subsidiaire, Krka soutient que la Commission a apprécié de manière erronée les arguments visant à établir que l’accord de règlement amiable Krka remplissait les quatre conditions cumulativement requises par l’article 101, paragraphe 3, TFUE pour être exempté de l’interdiction prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Cet accord aurait contribué à améliorer la distribution des biens, permettant aux consommateurs de recevoir une part équitable des bénéfices en résultant, les restrictions éventuelles ont été indispensables à l’obtention desdits bénéfices et aucun concurrent n’a été éliminé d’une partie substantielle du marché pertinent.

430    Tout d’abord, Krka fait valoir qu’il est manifeste que l’accord de règlement amiable Krka a procuré des bénéfices aux consommateurs. En effet, l’accord de licence Krka aurait permis de commercialiser le périndopril de Krka dans les sept marchés nationaux couverts par cet accord, permettant ainsi, aux patients, de disposer d’un choix élargi à un médicament moins cher et, aux régimes d’assurance maladie, de réduire le coût de la prise en charge du périndopril.

431    Ensuite, Krka affirme que, compte tenu de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, elle ne pouvait plus commercialiser son périndopril en raison de la validité du brevet 947. Ce n’est qu’après être parvenue à régler les litiges qui l’opposaient à Servier au sujet de la validité de ce brevet que Krka a pu entamer des négociations relatives à l’octroi d’une licence dudit brevet. Elle souligne, d’une part, qu’elle ne disposait que d’un faible pouvoir de négociation et, d’autre part, que l’accord de règlement amiable Krka ne l’empêchait pas de concurrencer Servier en commercialisant une version non contrefaisante du périndopril. Krka souligne qu’elle a proposé aux consommateurs, sur les marchés couverts par l’accord de licence Krka, un second périndopril, élargissant ainsi le choix des patients et permettant aux systèmes d’assurance de santé de réaliser des économies.

432    Enfin, Krka soutient que l’accord de règlement amiable Krka a non pas éliminé mais intensifié la concurrence sur le marché du périndopril. Elle fait observer, à cet égard, que mieux valait un seul concurrent que pas de concurrent du tout.

433    La Commission conteste cette argumentation.

2.      Appréciation de la Cour

434    L’applicabilité de l’exemption prévue à l’article 101, paragraphe 3, TFUE est subordonnée à la réunion de quatre conditions cumulatives, énoncées à cette disposition. Ces conditions consistent, premièrement, à ce que l’entente concernée contribue à améliorer la production ou la distribution des produits ou des services en cause, ou à promouvoir le progrès technique ou économique, deuxièmement, à ce qu’une partie équitable du profit qui en résulte soit réservée aux utilisateurs, troisièmement, à ce qu’elle n’impose aucune restriction non indispensable aux entreprises participantes et, enfin, quatrièmement, à ce qu’elle ne leur donne pas la possibilité d’éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits ou des services en cause (arrêt du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C‑179/16, EU:C:2018:25, point 97).

435    S’agissant de la troisième de ces conditions, selon laquelle seules les restrictions à la concurrence considérées comme étant « indispensables » peuvent bénéficier d’une exemption au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, la Commission a indiqué, au considérant 2108 de la décision litigieuse, que cette condition n’était pas satisfaite puisque les restrictions acceptées par Krka sur les marchés principaux de Servier n’étaient pas indispensables pour réaliser les gains d’efficacité allégués sur les marchés principaux de Krka. Il ressort de ce considérant que, « [p]our éviter un partage de marché, Krka et Servier auraient pu négocier un règlement amiable moins restrictif pour les États membres les plus immédiatement affectés par le contentieux [relatif au brevet 947] (notamment le Royaume-Uni et les Pays-Bas), où les restrictions n’auraient été basées que sur les mérites du contentieux et non sous l’influence d’une incitation sans lien avec le contentieux. Dans l’alternative, le règlement amiable pouvait accorder à Krka une entrée anticipée ou une licence pour l’ensemble du territoire de l’Union, ou limiter les restrictions de l’accord de règlement amiable aux États membres couverts par l’accord de licence [Krka] ».

436    Il importe de relever que Krka n’a invoqué aucun argument visant spécifiquement à remettre en cause la validité des appréciations ainsi opérées par la Commission.

437    Au demeurant, la conclusion d’un accord de partage de marché tel que celui résultant des accords Krka ne saurait être considérée comme étant indispensable à la réalisation des gains d’efficacité allégués par Krka, eu égard à la nocivité de ce type d’accord pour la concurrence reconnue par la jurisprudence de la Cour visée aux points 64 et 65 du présent arrêt ainsi qu’à la gravité de l’infraction commise, telle qu’il résulte des circonstances et des considérations exposées aux points 392 à 412 du présent arrêt.

438    Compte tenu de ces éléments, les restrictions de la concurrence résultant des accords Krka ne peuvent pas être considérées comme étant « indispensables », au sens de la troisième condition requise pour bénéficier d’une exemption au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE (voir, par analogie, arrêt du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C‑179/16, EU:C:2018:25, point 98).

439    Il y a lieu, dès lors, de rejeter le sixième moyen du recours en première instance.

440    Si, par le présent arrêt, la Cour a définitivement statué sur certains moyens de première instance en application de l’article 61 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le litige n’est pas en état d’être jugé dans son ensemble, de sorte que l’affaire T‑684/14 doit être renvoyée devant le Tribunal afin que celui-ci examine les moyens sur lesquels il n’a pas encore été définitivement statué.

441    La Cour, conformément aux conclusions de la Commission, ayant définitivement rejeté les premier à troisième, cinquième et sixième moyens du recours en première instance de Krka, il n’y aura plus lieu pour le Tribunal de les examiner.

442    Toutefois, par son quatrième moyen, Krka conteste la qualification de l’accord de cession et de licence Krka de restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Il appartiendra au Tribunal d’examiner ce moyen sur renvoi.

443    Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue sur le quatrième moyen du recours en première instance de Krka, relatif à la qualification de l’accord de cession et de licence Krka de restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

 Sur les dépens

444    L’affaire étant renvoyée devant le Tribunal, il convient de réserver les dépens afférents à la présente procédure de pourvoi.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :

1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 décembre 2018, Krka/Commission (T684/14, EU:T:2018:918), est annulé.

2)      L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne pour qu’il statue sur le quatrième moyen du recours en première instance, relatif à la qualification de l’accord de cession et de licence conclu le 5 janvier 2007 entre Les Laboratoires Servier et KRKA, tovarna zdravil, d.d. de restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

3)      Les dépens sont réservés.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.

OSZAR »
OSZAR »