Language of document : ECLI:EU:C:2024:548

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

27 juin 2024 (*)

« Pourvoi – Concurrence – Produits pharmaceutiques – Marché du périndopril – Article 101 TFUE – Ententes – Concurrence potentielle – Restriction de la concurrence par objet – Stratégie visant à retarder l’entrée sur le marché de versions génériques du périndopril – Accord de règlement amiable de litige en matière de brevets »

Dans l’affaire C‑166/19 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 22 février 2019,

Unichem Laboratories Ltd, établie à Mumbai (Inde), représentée initialement par Me F. Carlin, avocate, Mmes M. Healy, S. Mobley et M. H. Sheraton, solicitors, Me B. Hoorelbeke, advocaat, ainsi que M. A. Robertson, KC, puis par Me F. Carlin, avocate, Mme S. Mobley et M. H. Sheraton, solicitors, Me B. Hoorelbeke, advocaat, ainsi que M. A. Robertson, KC,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Commission européenne, représentée initialement par Mme F. Castilla Contreras, MM. B. Mongin et C. Vollrath, en qualité d’agents, assistés de Mme S. Kingston, SC, puis par Mme F. Castilla Contreras, M. B. Mongin, Mme J. Norris ainsi que M. C. Vollrath, en qualité d’agents, et enfin par Mmes F. Castilla Contreras, J. Norris ainsi que M. C. Vollrath, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

soutenue par :

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté initialement par Mme D. Guðmundsdóttir, en qualité d’agent, puis par M. S. Fuller, en qualité d’agent,

partie intervenante au pourvoi,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la première chambre, MM. P. G. Xuereb, A. Kumin et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. M. Longar et Mme R. Şereş, administrateurs,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience des 20 et 21 octobre 2021,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, Unichem Laboratories Ltd (ci-après « Unichem ») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 décembre 2018, Unichem Laboratories/Commission (T‑705/14, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:915), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation, en ce qui concerne Unichem, de la décision C(2014) 4955 final de la Commission, du 9 juillet 2014, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 102 [TFUE] [affaire AT.39612 – Périndopril (Servier)] (ci–après la « décision litigieuse ») et à l’annulation ou à la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée par cette décision.

 Les antécédents du litige

2        Les antécédents du litige, tels qu’ils ressortent, notamment, des points 1 à 26 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit.

 Le périndopril

3        Servier SAS est la société mère du groupe pharmaceutique Servier qui comprend Les Laboratoires Servier SAS et Servier Laboratories Ltd (ci-après, prises individuellement ou ensemble, « Servier »). La société Les Laboratoires Servier est spécialisée dans le développement de médicaments princeps, sa filiale Biogaran SAS dans celui des médicaments génériques.

4        Servier a mis au point le périndopril, un médicament principalement destiné à lutter contre l’hypertension et l’insuffisance cardiaque. Ce médicament fait partie des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine. Le principe actif du périndopril se présente sous la forme d’un sel. Le sel utilisé initialement était l’erbumine.

5        Le brevet EP0049658, relatif au principe actif du périndopril, a été déposé par une société du groupe Servier devant l’Office européen des brevets (OEB) le 29 septembre 1981. Ce brevet devait arriver à expiration le 29 septembre 2001, mais sa protection a été étendue dans plusieurs États membres, notamment au Royaume-Uni, jusqu’au 22 juin 2003. En France, la protection dudit brevet a été étendue jusqu’au 22 mars 2005 et, en Italie, jusqu’au 13 février 2009.

6        Le 16 septembre 1988, Servier a déposé devant l’OEB plusieurs brevets relatifs aux procédés de fabrication du principe actif du périndopril qui expiraient le 16 septembre 2008, à savoir les brevets EP0308339 (ci-après le « brevet 339 »), EP0308340 (ci-après le « brevet 340 »), EP0308341 (ci-après le « brevet 341 ») et EP0309324.

7        Le 6 juillet 2001, Servier a déposé auprès de l’OEB le brevet EP1296947 (ci-après le « brevet 947 »), relatif à la forme cristalline alpha du périndopril erbumine et à son procédé de fabrication, lequel a été délivré par l’OEB le 4 février 2004. Servier a aussi déposé auprès de l’OEB le brevet EP1294689, relatif à la forme cristalline bêta du périndopril erbumine et à son procédé de fabrication, et le brevet EP1296948 (ci-après le « brevet 948 »), relatif à la forme cristalline gamma du périndopril erbumine et à son procédé de fabrication.

8        Le 6 juillet 2001, Servier a, en outre, déposé des demandes de brevets nationaux dans plusieurs États membres avant que ceux-ci ne soient parties à la convention sur la délivrance de brevets européens, signée à Munich le 5 octobre 1973 et entrée en vigueur le 7 octobre 1977. Servier a, par exemple, déposé des demandes de brevets correspondant au brevet 947 en Bulgarie (BG 107 532), en République tchèque (PV2003-357), en Estonie (P200300001), en Hongrie (HU225340), en Pologne (P348492) et en Slovaquie (PP0149-2003). Ces brevets ont été délivrés le 16 mai 2006 en Bulgarie, le 17 août 2006 en Hongrie, le 23 janvier 2007 en République tchèque, le 23 avril 2007 en Slovaquie et le 24 mars 2010 en Pologne.

 Les activités de Niche et d’Unichem relatives au périndopril

9        Le 26 mars 2001, Bioglan Generics Ltd (ci-après « Bioglan »), un fabricant de médicaments génériques établi au Royaume-Uni, et Medicorp Technologies India Ltd (ci-après « Medicorp »), un fabricant de médicaments génériques établi en Inde, ont conclu un accord de développement et de licence en vue de commercialiser une version générique du périndopril dans l’Union européenne. Medicorp était chargée de développer et de fournir le principe actif de ce médicament. Bioglan était responsable de la stratégie commerciale ainsi que de l’obtention des autorisations de mise sur le marché de ce médicament.

10      Au cours de l’année 2002, Unichem, un fabricant de médicaments établi en Inde, et des actionnaires dirigeants de Bioglan ont constitué Niche Generics Ltd (ci-après « Niche »). Le capital de cette société était détenu à 60 % par Unichem et à 40 % par ces actionnaires.

11      Le 15 avril 2002, Niche a repris les actifs et les engagements commerciaux de Bioglan.

12      Le 27 mars 2003, Medicorp et Unichem ont conclu un accord en vertu duquel Medicorp était responsable du développement et de la fourniture du principe actif d’une version générique du périndopril et Unichem devait assurer la production de ce médicament sous forme de comprimés.

13      Le 20 mai 2003, Matrix Laboratories Ltd (ci-après « Matrix »), une société établie en Inde spécialisée dans la production de principes actifs destinés à la fabrication de médicaments génériques, a fusionné avec Medicorp et fourni un premier lot d’une version générique du principe actif du périndopril ainsi que le dossier nécessaire à la préparation des demandes d’autorisations de mise sur le marché par Niche.

14      Au cours de l’automne de l’année 2004, Servier a envisagé l’acquisition de Niche. Le 10 janvier 2005, au terme de la première phase d’un audit préalable, Servier a présenté une offre préliminaire non contraignante d’acquisition du capital de Niche. Le 31 janvier 2005, après la seconde phase de cet audit, Servier a informé Niche oralement qu’elle ne souhaitait plus procéder à cette acquisition.

15      Le 22 juin 2005, Matrix a notifié à Niche la suspension de l’accord du 26 mars 2001 avec effet immédiat jusqu’au 16 septembre 2008, date d’expiration des brevets 339, 340 et 341. En revanche, l’accord du 27 mars 2003 entre Unichem et Medicorp, société aux droits desquels Matrix a succédé, n’a été ni formellement suspendu ni résilié.

16      Au mois de décembre de l’année 2006, Unichem a acquis la totalité du capital de Niche.

 Les litiges relatifs au périndopril

17      Entre l’année 2003 et l’année 2009, plusieurs litiges ont opposé Servier à des fabricants s’apprêtant à commercialiser une version générique du périndopril.

 Les décisions de l’OEB

18      Au cours de l’année 2004, dix fabricants de médicaments génériques, dont Niche, ont formé opposition contre le brevet 947 devant l’OEB, en vue d’obtenir sa révocation, en invoquant des motifs tirés du manque de nouveauté et d’activité inventive ainsi que du caractère insuffisant de l’exposé de l’invention.

19      Le 11 août 2004, Niche a formé opposition contre le brevet 948 devant l’OEB.

20      Le 27 juillet 2006, la division d’opposition de l’OEB a confirmé la validité du brevet 947. Cette décision a été contestée devant la chambre de recours technique de l’OEB. Par une décision du 6 mai 2009, cette dernière a annulé la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et révoqué le brevet 947. La requête en révision déposée par Servier contre cette décision de la chambre de recours technique a été rejetée le 19 mars 2010.

 Les décisions des juridictions nationales

21      La validité du brevet 947 a été contestée devant certaines juridictions nationales par des fabricants de médicaments génériques et Servier a introduit des actions en contrefaçon ainsi que des demandes d’injonctions provisoires contre ces fabricants. La plupart de ces procédures ont été clôturées avant que les juridictions saisies n’aient pu statuer définitivement sur la validité du brevet 947 en raison d’accords de règlement amiable conclus, entre l’année 2005 et l’année 2007, par Servier avec certains de ces fabricants de médicaments génériques.

22      Au Royaume-Uni, seul le litige opposant Servier à Apotex Inc. a donné lieu à la constatation, par voie judiciaire, de l’invalidité du brevet 947. En effet, le 1er août 2006, Servier a saisi la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets), Royaume-Uni], d’une action en contrefaçon du brevet 947 contre Apotex, qui avait commencé à commercialiser une version générique du périndopril sur le marché du Royaume-Uni. Le 8 août 2006, Servier a obtenu le prononcé d’une injonction provisoire contre Apotex. Le 6 juillet 2007, à la suite d’une demande reconventionnelle d’Apotex, cette injonction provisoire a été levée et le brevet 947 a été invalidé, permettant ainsi à cette entreprise de mettre sur le marché au Royaume-Uni une version générique du périndopril. Le 9 mai 2008, la décision d’invalidation du brevet 947 a été confirmée en appel.

23      Aux Pays-Bas, le 13 novembre 2007, Katwijk Farma BV, une filiale d’Apotex, a saisi une juridiction de cet État membre d’une demande d’invalidation du brevet 947. Servier a saisi cette juridiction d’une demande d’injonction provisoire, laquelle a été rejetée le 30 janvier 2008. Ladite juridiction, par une décision du 11 juin 2008 dans une procédure introduite le 15 août 2007 par Pharmachemie BV, une société du groupe Teva, spécialisé dans la fabrication de médicaments génériques, a invalidé le brevet 947 pour les Pays-Bas. À la suite de cette décision, Servier et Katwijk Farma se sont désistées de leurs demandes.

 Le litige opposant Servier à Niche

24      Le 25 juin 2004, Servier a saisi la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], d’une action en contrefaçon des brevets 339, 340 et 341 contre Niche qui, par voie reconventionnelle, a demandé l’invalidation du brevet 947.

 L’accord Niche

25      Le 8 février 2005, Servier a conclu avec Niche et Unichem un accord de règlement amiable du litige visé au point précédent du présent arrêt ainsi que des procédures d’opposition aux brevets 947 et 948 alors pendantes devant l’OEB (ci-après l’« accord Niche »). Niche s’est ainsi désistée de la procédure d’opposition relative au brevet 947 le 9 février 2005 et de celle relative au brevet 948 le 14 février 2005.

26      Cet accord contenait, d’une part, une clause dite de « non-commercialisation », par laquelle Niche et Unichem s’engageaient, jusqu’à l’expiration des brevets pertinents de Servier relatifs au périndopril, à s’abstenir de fabriquer, de fournir ou de commercialiser toute forme générique du périndopril fabriqué selon les procédés protégés par ces brevets et, d’autre part, une clause dite de « non-contestation », par laquelle ces entreprises s’engageaient à s’abstenir et à se désister de toute action tendant à contester la validité desdits brevets ou à obtenir des déclarations de non-contrefaçon.

27      En contrepartie, Servier s’engageait, d’une part, à ne pas introduire d’actions en contrefaçon contre lesdites entreprises et, d’autre part, à les indemniser pour les coûts pouvant résulter de la cessation de leur programme de développement d’une version du périndopril fabriqué selon les procédés protégés par les brevets de Servier. Cette indemnisation devait donner lieu au paiement de la somme de 11,8 millions de livres sterling (GBP) (17 161 140 euros) en faveur de Niche. L’accord Niche couvrait, notamment, tous les États membres de l’Espace économique européen (EEE) dans lesquels les brevets 339, 340, 341 et 947 étaient en vigueur.

 La décision litigieuse

28      Le 9 juillet 2014, la Commission a adopté la décision litigieuse.

29      À l’article 1er de cette décision, la Commission a constaté que Niche et Unichem avaient enfreint l’article 101 TFUE, en participant à un accord avec Servier et Biogaran couvrant tous les États qui étaient membres de l’Union européenne à la date d’adoption de ladite décision, à l’exception de l’Italie et de la Croatie ; que cette infraction avait commencé le 8 février 2005, sauf en ce qui concerne la Lettonie, où elle avait commencé le 1er juillet 2005, la Bulgarie et la Roumanie, où elle avait commencé le 1er janvier 2007, et Malte, où elle avait commencé le 1er mars 2007 ; et que ladite infraction avait pris fin le 15 septembre 2008, sauf en ce qui concerne le Royaume-Uni, où elle avait pris fin le 6 juillet 2007, et les Pays-Bas, où elle avait pris fin le 12 décembre 2007.

30      À l’article 7, paragraphe 1, sous a), de la décision litigieuse, la Commission a infligé à Niche et à Unichem, conjointement et solidairement, au titre de l’infraction à l’article 101 TFUE, une amende d’un montant de 13 968 773 euros.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

31      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 26 septembre 2014, Unichem a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse et à l’annulation ou la réduction de l’amende qui lui a été infligée par la Commission.

32      Dans son recours en première instance, Unichem invoquait douze moyens à l’appui de ses conclusions, dont les premier, deuxième, quatrième, cinquième, huitième et neuvième sont pertinents aux fins du présent pourvoi. Ces moyens concernaient la compétence de la Commission pour adresser à Unichem une décision au titre de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (premier moyen), l’applicabilité de cette disposition (deuxième moyen), la notion de restriction de la concurrence par objet au sens de ladite disposition (quatrième et cinquième moyens), les critères d’exemption issus de l’article 101, paragraphe 3, TFUE (huitième moyen) et, enfin, le respect des droits de la défense et du principe de bonne administration (neuvième moyen).

33      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours d’Unichem dans son intégralité.

 La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

34      Par acte déposé au greffe de la Cour le 22 février 2019, Unichem a introduit le présent pourvoi.

35      Par acte déposé au greffe de la Cour le 5 juin 2019, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la Commission. Par décision du 1er juillet 2019, le président de la Cour a fait droit à cette demande.

36      Par lettre du 16 septembre 2019, le Royaume-Uni a renoncé à déposer un mémoire en intervention.

37      La Cour a invité les parties à présenter leurs observations écrites pour le 4 octobre 2021 sur les arrêts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52), du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission (C‑591/16 P, EU:C:2021:243), du 25 mars 2021, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission (C‑586/16 P, EU:C:2021:241), du 25 mars 2021, Generics (UK)/Commission (C‑588/16 P, EU:C:2021:242), du 25 mars 2021, Arrow Group et Arrow Generics/Commission (C‑601/16 P, EU:C:2021:244), et du 25 mars 2021, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission (C‑611/16 P, EU:C:2021:245). Unichem et la Commission ont déféré à cette demande dans le délai imparti.

38      Par son pourvoi, Unichem demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué dans son intégralité ;

–        d’annuler la décision litigieuse dans son intégralité pour autant qu’elle concerne Unichem, et

–        de condamner la Commission à supporter ses propres dépens ainsi que les frais exposés par Unichem en lien avec la présente procédure et avec la procédure devant le Tribunal.

39      La Commission demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi dans son intégralité et

–        de condamner Unichem aux dépens.

 Sur le pourvoi

40      Au soutien de son pourvoi, Unichem invoque huit moyens. Le premier moyen est pris d’erreurs de droit relatives à la compétence de la Commission pour imputer à Unichem la responsabilité de l’infraction visée à l’article 1er de la décision litigieuse. Le deuxième moyen est pris, en substance, d’une erreur de droit dans l’application de la jurisprudence de la Cour relative aux restrictions de la concurrence qui sont accessoires à une opération ou activité qui ne relève pas du principe d’interdiction prévu à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Le troisième moyen est pris d’erreurs de droit relatives à la qualification de l’accord Niche de restriction de la concurrence par objet. Le quatrième moyen est pris d’une violation par le Tribunal de l’obligation de motiver ses arrêts. Le cinquième moyen est pris d’erreurs de droit relatives à la notion de concurrence potentielle. Le sixième moyen est pris d’une violation du principe d’égalité de traitement. Le septième moyen est pris d’une violation de l’article 101, paragraphe 3, TFUE. Le huitième moyen est pris de la violation des droits de la défense et du principe de bonne administration.

41      Dans la mesure où l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE suppose, notamment, une collusion entre entreprises se trouvant en situation de concurrence si ce n’est actuelle du moins potentielle [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 32], il convient d’examiner, après le premier moyen, le cinquième moyen, relatif à l’appréciation, par le Tribunal, de la concurrence potentielle exercée par Niche et Unichem à l’égard de Servier.

 Sur le premier moyen, relatif à l’imputation à Unichem de la responsabilité de l’infraction visée à l’article 1er de la décision litigieuse

 Argumentation des parties

42      Par son premier moyen, qui se subdivise en deux branches, Unichem soutient que le Tribunal a commis des erreurs de droit en considérant que la Commission avait pu lui imputer la responsabilité de l’infraction visée à l’article 1er de la décision litigieuse.

43      Par la première branche de son premier moyen, Unichem soutient que le Tribunal a fait une application erronée des critères juridiques permettant de considérer qu’une société mère et sa filiale constituent une entité économique unique à laquelle une infraction à l’article 101 TFUE peut être imputée.

44      S’agissant de la période comprise entre le 8 février 2005 et le mois de décembre 2006, pendant laquelle Unichem détenait 60 % du capital de Niche, le Tribunal aurait dû non seulement examiner si la Commission avait démontré qu’Unichem pouvait exercer une influence décisive sur le comportement commercial et sur la stratégie de sa filiale Niche, mais également prouver qu’Unichem avait effectivement exercé une telle influence.

45      Or, d’une part, le fait que la majorité des membres du conseil d’administration de Niche ont été nommés par Unichem ne permettrait pas d’établir que cette dernière exerçait effectivement une telle influence. Le Tribunal aurait dû examiner si les membres du conseil d’administration nommés par Unichem constituaient la majorité des membres présents lors des réunions du conseil d’administration de Niche. En outre, le Tribunal aurait dénaturé, au point 75 de l’arrêt attaqué, le procès-verbal de l’une des réunions du conseil d’administration de Niche, en affirmant que ce document ne corroborait pas l’allégation d’Unichem. Selon Unichem, il ressort de ce document que, parmi les sept membres de ce conseil d’administration ayant assisté à la réunion concernée, quatre directeurs n’avaient pas été nommés par Unichem.

46      D’autre part, contrairement aux affirmations du Tribunal, le droit d’Unichem d’opposer son veto aux décisions de Niche ne serait pas un indice de l’exercice effectif d’une influence déterminante sur cette dernière, car ce droit aurait uniquement visé à protéger la valeur de l’investissement d’Unichem. En outre, en affirmant au point 82 de l’arrêt attaqué que les autres actionnaires ne disposaient pas de droits de veto analogues à celui d’Unichem, le Tribunal aurait dénaturé les termes du pacte conclu entre les actionnaires de Niche.

47      En ce qui concerne la période comprise entre le mois de décembre 2006 et la date de fin de l’infraction retenue par la Commission, pendant laquelle Unichem détenait 100 % du capital de Niche, Unichem soutient que, indépendamment de la présomption de l’existence d’une influence déterminante d’une société mère sur sa filiale à 100 %, l’infraction avait, en tout état de cause, déjà pris fin. En effet, à cette date, Niche et Unichem ne pouvaient plus entrer sur le marché du périndopril, faute de disposer d’un contrat avec un fabricant du principe actif du périndopril.

48      Par la seconde branche de son premier moyen, Unichem soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la Commission avait pu lui imputer la responsabilité de l’infraction en raison de sa qualité de cosignataire de l’accord Niche en l’absence d’un lien de rattachement suffisant avec le territoire de l’Union. Un tel lien pourrait exister lorsque la mise en œuvre ou les effets d’un accord anticoncurrentiel sur le territoire de l’Union peuvent être attribués à cette société. Or, en l’espèce, Unichem affirme ne pas avoir mis en œuvre l’accord Niche et ne pas avoir été en mesure de l’appliquer.

49      La Commission rétorque que cette argumentation est manifestement non fondée.

 Appréciation de la Cour

50      Par les deux branches de son premier moyen, Unichem soutient que le Tribunal a considéré, à tort, que la responsabilité de l’infraction visée à l’article 1er de la décision litigieuse pouvait lui être imputée en raison du fait qu’elle constituait avec sa filiale, Niche, une entité économique unique et qu’elle était partie à l’accord Niche. Unichem allègue qu’elle n’a pas exercé une influence décisive sur le comportement commercial ainsi que sur la stratégie de Niche et que, en l’absence d’un lien de rattachement suffisant avec le territoire de l’Union, la Commission ne pouvait pas la tenir responsable de l’infraction en sa qualité de cosignataire de l’accord Niche.

51      S’agissant de la première branche, il y a lieu de rappeler qu’il ressort du libellé de l’article 101, paragraphe 1, TFUE que le choix des auteurs des traités a été d’utiliser la notion d’« entreprise » pour désigner l’auteur d’une infraction au droit de la concurrence, susceptible d’être sanctionné en application de cette disposition, et non d’autres notions telles que celles de « société » ou de « personne morale ». Le législateur de l’Union a également retenu la notion d’« entreprise » à l’article 23, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), pour définir l’entité à laquelle la Commission peut infliger une amende pour sanctionner une infraction aux règles du droit de la concurrence de l’Union (arrêts du 10 avril 2014, Areva e.a./Commission, C‑247/11 P et C‑253/11 P, EU:C:2014:257, points 123 et 124, ainsi que du 25 novembre 2020, Commission/GEA Group, C‑823/18 P, EU:C:2020:955, points 62 et 63).

52      Ce faisant, le droit de la concurrence de l’Union, en ce qu’il vise les activités des entreprises, consacre comme critère décisif l’existence d’une unité de comportement sur le marché, sans que la séparation formelle entre diverses sociétés résultant de leur personnalité juridique distincte puisse s’opposer à une telle unité aux fins de l’application des règles de concurrence. La notion d’« entreprise » comprend donc toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement, et désigne ainsi une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée par plusieurs personnes physiques ou morales. Cette unité économique consiste en une organisation unitaire d’éléments personnels, matériels et immatériels poursuivant de façon durable un but économique déterminé, organisation pouvant concourir à commettre une infraction visée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 41 et jurisprudence citée).

53      Lorsqu’une telle unité économique enfreint l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il lui incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction. À cet égard, pour retenir la responsabilité d’une entité juridique quelconque relevant d’une unité économique, il est nécessaire que la preuve soit apportée qu’une entité juridique au moins, appartenant à cette unité économique, a violé l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de sorte que l’entreprise constituée par ladite unité économique soit considérée comme ayant commis une infraction à cette disposition (arrêt du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 42 et jurisprudence citée).

54      Il est ainsi possible d’imputer la responsabilité du comportement d’une filiale à sa société mère lorsque cette dernière n’a pas directement pris part à une infraction, notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (voir, en ce sens, arrêts du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries/Commission, 48/69, EU:C:1972:70, points 131 à 133, et du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 43 ainsi que jurisprudence citée).

55      À ce titre, la notion d’« entreprise » et, à travers elle, celle d’« unité économique » entraînent de plein droit une responsabilité solidaire entre les entités qui composent l’unité économique au moment de la commission de l’infraction (arrêt du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 44 et jurisprudence citée).

56      En l’occurrence, Unichem soutient que le Tribunal a estimé, à tort, qu’Unichem et Niche formaient une entité économique unique au cours de la période infractionnelle. En premier lieu, en ce qui concerne la période comprise entre le 8 février 2005 et le mois de décembre 2006, pendant laquelle Unichem détenait 60 % du capital de Niche, Unichem fait valoir que le Tribunal n’a pas examiné si la Commission avait prouvé qu’Unichem avait effectivement exercé une influence décisive sur le comportement commercial et sur la stratégie de sa filiale Niche.

57      D’emblée, il y a lieu de relever que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal, aux points 62 à 65 de l’arrêt attaqué, a exposé les critères permettant d’imputer la responsabilité d’une filiale à sa société mère, rappelés en substance au point 54 du présent arrêt.

58      Premièrement, quant à l’application de ces critères à Unichem au cours de la période pendant laquelle celle-ci détenait 60 % du capital de Niche, c’est à tort qu’Unichem affirme que le Tribunal aurait dû vérifier que les membres du conseil d’administration nommés par elle constituaient effectivement la majorité des membres « généralement présents » à ce conseil. En effet, ainsi que le Tribunal l’a souligné, en substance, à bon droit au point 75 de l’arrêt attaqué, le simple fait que des personnes nommées par la société mère constituent la majorité des membres du conseil d’administration d’une filiale qu’elle détient majoritairement constitue un indice de l’exercice d’un contrôle effectif de cette société mère sur sa filiale. Dans ces conditions, l’argument d’Unichem tiré de la prétendue dénaturation d’une annexe à la requête en première instance, selon lequel il ressortirait du procès-verbal d’un conseil d’administration que, sur les sept membres qui auraient assisté à ce conseil particulier, quatre n’auraient pas été nommés par Unichem, est, en l’absence d’éléments attestant de l’absence de nomination, par Unichem, de la majorité des membres du conseil d’administration de sa filiale, dénué de pertinence et, partant, inopérant.

59      Deuxièmement, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, au point 81 de l’arrêt attaqué, que constitue également un indice de l’exercice d’un contrôle effectif de cette société mère sur sa filiale l’existence de droits de veto sur les décisions relatives à des questions de stratégie commerciale, sur le budget, les projets d’investissement ou d’acquisition majeurs ou encore la nomination de l’encadrement supérieur. Dans ces conditions, à supposer même, comme le soutient la requérante, que d’autres actionnaires aient disposé effectivement de droits de veto analogues à ceux d’Unichem, force est de constater qu’Unichem ne conteste nullement qu’elle disposait de tels droits de veto, de sorte que le Tribunal pouvait, à bon droit, considérer que ceux-ci constituaient un tel indice.

60      En second lieu, en ce qui concerne la période comprise entre le mois de décembre 2006 et la date de la fin de l’infraction retenue par la Commission, pendant laquelle Unichem détenait 100 % du capital de Niche, Unichem fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit, aux points 94 à 96 de l’arrêt attaqué, en considérant que l’infraction s’était poursuivie pendant la période qui a suivi l’acquisition par Unichem de 100 % des parts de Niche. En effet, Niche et Unichem n’auraient plus pu entrer sur le marché du périndopril, faute de disposer d’un contrat avec un fabricant du principe actif du périndopril.

61      À cet égard, il convient de rappeler que, le 22 juin 2005, Matrix a notifié à Niche la suspension de l’accord du 26 mars 2001 avec effet immédiat jusqu’au 16 septembre 2008, date d’expiration des brevets 339, 340 et 341. Il convient également de rappeler que le Tribunal a constaté, au point 95 de l’arrêt attaqué, que, cette suspension étant intervenue en application de l’accord Niche, elle attestait ainsi de la mise en œuvre de cet accord et ne permettait pas, dès lors, de considérer que l’infraction avait pris fin à la date de ladite suspension. Or, force est de constater qu’Unichem n’expose pas en quoi cette appréciation serait entachée d’une erreur de droit. Le grief d’Unichem, relatif à la période comprise entre le mois de décembre 2006 et la date de la fin de l’infraction retenue par la Commission, apparaissant ainsi trop général et imprécis pour pouvoir faire l’objet d’une appréciation juridique par la Cour, il doit être rejeté comme étant irrecevable (voir, par analogie, arrêt du 11 juillet 2013, Team Relocations e.a./Commission, C‑444/11 P, EU:C:2013:464, point 135 ainsi que jurisprudence citée).

62      En tout état de cause, et plus fondamentalement, il ressort des constatations opérées par le Tribunal qu’Unichem et sa filiale Niche ont directement pris part à l’infraction visée à l’article 1er de la décision litigieuse.

63      En effet, ainsi que le Tribunal l’a rappelé au point 55 de l’arrêt attaqué, dans cette décision, « la Commission a considéré qu’Unichem devait être tenue pour responsable de [cette] infraction au titre de sa participation directe à [ladite] infraction, mais aussi en tant que société mère de Niche, qui avait elle-même également pris part à [la même] infraction ». Or, au point 105 de cet arrêt, le Tribunal a constaté qu’Unichem « ne conteste valablement aucun des éléments permettant d’établir sa participation directe [...], dès lors qu’elle admet avoir signé [l’accord Niche], n’établit nullement avoir signé sous une quelconque contrainte et ne tente même pas de réfuter les termes [de cet accord] qui en font une destinataire expresse de la plupart des obligations qu’il prévoit ».

64      Conformément au principe de la responsabilité personnelle, ces éléments retenus par le Tribunal qui attestent de la participation directe d’Unichem conjointement avec sa filiale Niche à l’infraction visée à l’article 1er de la décision litigieuse suffisaient à fonder la responsabilité d’Unichem pour cette infraction et à rejeter la première branche du premier moyen de première instance. En effet, si, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence rappelée au point 52 du présent arrêt, la notion d’entreprise est certes plus large que celle de personne morale, de sorte qu’une entreprise peut être constituée par plusieurs personnes physiques ou morales nonobstant le fait que celles-ci sont distinctes d’un point de vue juridique, une entité ayant la personnalité juridique doit répondre des infractions qu’elle commet, conformément au principe de la responsabilité personnelle. Ainsi, une personne morale, telle qu’Unichem, ayant signé un accord et assumé de ce fait des obligations, éléments constitutifs d’une infraction aux règles de concurrence, ne saurait se libérer de sa responsabilité personnelle pour cette infraction en établissant que sa filiale, qui a également signé le même accord et assumé, en substance, les mêmes obligations, ne relève pas de la même unité économique que ladite personne morale au vu de la jurisprudence rappelée aux points 51 à 55 du présent arrêt, et ce quels que soient leurs rôles respectifs dans la mise en œuvre prévisible de cet accord.

65      À la lumière de l’ensemble de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la première branche du premier moyen.

66      S’agissant de la seconde branche du premier moyen, par laquelle Unichem conteste les motifs de l’arrêt attaqué selon lesquels la Commission était compétente pour lui imputer la responsabilité d’une infraction à l’article 101 TFUE, en dépit du fait qu’elle est établie hors du territoire de l’Union, il y a lieu de rappeler que les règles de concurrence de l’Union énoncées aux articles 101 et 102 TFUE tendent à appréhender les comportements collectifs et unilatéraux des entreprises qui limitent le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur (arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 42).

67      Ainsi, le fait pour une entreprise participant à un accord d’être située dans un État tiers ne fait pas obstacle à l’application de l’article 101 TFUE, dès lors qu’un tel accord produit ses effets sur le territoire du marché intérieur (arrêts du 25 novembre 1971, Béguelin Import, 22/71, EU:C:1971:113, point 11, et du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 43).

68      La Cour a souligné qu’une infraction à l’article 101 TFUE implique deux éléments de comportement, à savoir la formation de l’entente et sa mise en œuvre. Faire dépendre l’applicabilité des interdictions édictées par le droit de la concurrence du lieu de la formation de l’entente aboutirait à l’évidence à fournir aux entreprises un moyen facile de se soustraire auxdites interdictions. Ce qui est déterminant est donc le lieu où l’entente est mise en œuvre (arrêt du 27 septembre 1988, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, 89/85, 104/85, 114/85, 116/85, 117/85 et 125/85 à 129/85, EU:C:1988:447, point 16).

69      En l’occurrence, le Tribunal a constaté, au point 103 de l’arrêt attaqué, que l’accord Niche, dont le champ d’application territorial couvrait, notamment, tous les pays où les brevets 339, 340, 341 et 947 étaient en vigueur, a été mis en œuvre dans l’Union tant par Servier que par Niche. Conformément à la jurisprudence rappelée au point précédent du présent arrêt, le Tribunal a déduit de ces éléments que la Commission était compétente pour sanctionner l’infraction résultant de cet accord. La seconde branche du premier moyen doit donc être rejetée.

70      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le premier moyen dans son ensemble.

 Sur le cinquième moyen, relatif à la concurrence potentielle

 Argumentation des parties

71      Par son cinquième moyen, qui se subdivise en trois branches, Unichem critique l’appréciation du Tribunal selon laquelle Niche était un concurrent potentiel de Servier.

72      Par la première branche, Unichem fait valoir que le Tribunal, en considérant aux points 188 et 190 de l’arrêt attaqué que, en l’absence d’une décision définitive constatant le caractère contrefaisant de son périndopril, les brevets de Servier ne pouvaient pas constituer des obstacles insurmontables à l’entrée de Niche sur le marché, a commis une erreur de droit affectant l’appréciation de l’existence d’un rapport de concurrence potentielle avec Servier. Selon Unichem, un brevet peut constituer une barrière juridique à l’entrée sur le marché, même en l’absence d’une telle décision. Le fait qu’un fabricant d’un médicament générique puisse entrer sur le marché en s’exposant au risque de faire l’objet d’actions en contrefaçon de la part du fabricant du médicament princeps ne suffirait pas à établir l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre ces entreprises.

73      Par la deuxième branche, Unichem soutient que le Tribunal, aux points 171 à 243 de l’arrêt attaqué, a commis une erreur de droit en examinant séparément les obstacles auxquels Niche était confrontée. La jurisprudence des juridictions de l’Union imposerait au Tribunal d’apprécier l’effet cumulatif de ces obstacles sur les possibilités d’accès au marché, ce qui aurait dû l’amener à constater, en l’espèce, l’existence d’une barrière insurmontable à l’entrée de Niche sur le marché du périndopril au vu des éléments du dossier.

74      Par la troisième branche, Unichem fait valoir que le Tribunal a commis une erreur manifeste d’appréciation en appliquant le critère juridique de la concurrence potentielle. Elle invoque deux griefs à cet égard.

75      Premièrement, au point 235 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait écarté, à tort, la valeur probante de notes d’un directeur d’Unichem relatives à l’évaluation des obstacles financiers rencontrés par Niche. Ce faisant, le Tribunal aurait commis une erreur manifeste d’appréciation et méconnu les règles relatives à l’administration de la preuve.

76      Deuxièmement, le Tribunal aurait dénaturé des faits démontrant que Niche faisait face à des obstacles insurmontables.

77      D’une part, au point 198 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait omis de tenir compte du fait que, dans le cadre de l’action en contrefaçon introduite par Servier au Royaume-Uni, la demande reconventionnelle de Niche avait été rejetée.

78      D’autre part, au point 221 de cet arrêt, le Tribunal se serait appuyé sur le fait que l’un des partenaires commerciaux de Niche avait obtenu une autorisation de mise sur le marché du périndopril de Niche aux Pays-Bas. Or, cette autorisation ne pouvait pas, selon Unichem, être utilisée pour la version générique du périndopril composée du principe actif fabriqué par Matrix. Par conséquent, le Tribunal aurait, à tort, considéré que ladite autorisation prouvait que Niche pouvait entrer sur le marché. Ces dénaturations concerneraient des éléments essentiels de l’argumentation d’Unichem selon laquelle Niche n’était pas un concurrent potentiel de Servier.

79      La Commission soutient que le cinquième moyen est partiellement irrecevable. Faute pour Unichem d’avoir spécifiquement invoqué, devant le Tribunal, l’effet cumulatif des obstacles rencontrés, la deuxième branche serait irrecevable. Par ailleurs, la troisième branche tendrait à demander à la Cour de procéder à un réexamen des faits et des preuves et serait, partant, également irrecevable. La Commission soutient que le cinquième moyen est, en tout état de cause, non fondé.

 Appréciation de la Cour

–       Sur la première branche

80      Afin de répondre à l’argumentation par laquelle Unichem soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la Commission avait pu établir que Niche était un concurrent potentiel de Servier, il y a lieu de rappeler que, dans le contexte spécifique de l’ouverture du marché d’un médicament aux fabricants de médicaments génériques, il convient de déterminer, afin d’apprécier si l’un de ces fabricants, bien qu’absent d’un marché, se trouve dans un rapport de concurrence potentielle avec un fabricant de médicaments princeps présent sur ce marché, s’il existe des possibilités réelles et concrètes que le premier intègre ledit marché et concurrence le second [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 36 ainsi que jurisprudence citée].

81      Ainsi, il y a lieu d’apprécier, premièrement, si, à la date de conclusion de tels accords, le fabricant de médicaments génériques avait effectué des démarches préparatoires suffisantes lui permettant d’accéder au marché concerné dans un délai à même de faire peser une pression concurrentielle sur le fabricant de médicaments princeps. De telles démarches permettent d’établir l’existence de la détermination ferme ainsi que de la capacité propre d’un fabricant de médicaments génériques d’accéder au marché d’un médicament contenant un principe actif tombé dans le domaine public, même en présence de brevets de procédé détenus par le fabricant de médicaments princeps. Deuxièmement, il doit être vérifié que l’entrée sur le marché d’un tel fabricant de médicaments génériques ne se heurte pas à des barrières à l’entrée présentant un caractère insurmontable [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 43 à 45].

82      À cet égard, l’existence d’un brevet qui protège le procédé de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public ne saurait, en tant que telle, être regardée comme une barrière insurmontable et n’empêche pas de qualifier de concurrent potentiel du fabricant du médicament princeps concerné un fabricant de médicaments génériques qui a effectivement la détermination ferme ainsi que la capacité propre d’entrer sur le marché et qui, par ses démarches, se montre prêt à contester la validité de ce brevet et à assumer le risque de se voir, lors de son entrée sur le marché, confronté à une action en contrefaçon introduite par le titulaire de ce brevet [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 46].

83      Certes, dans l’hypothèse où la validité d’un tel brevet aurait été établie de manière définitive devant toutes les juridictions ayant été saisies de cette question, il serait difficilement concevable que d’autres éléments du contexte économique et juridique caractérisant de manière objective les rapports de concurrence entre le titulaire de ce brevet et un fabricant de médicaments génériques puissent fonder la conclusion selon laquelle il existait encore une relation de concurrence potentielle entre eux. Cependant, il incombe néanmoins à l’autorité administrative ou au juge compétent d’examiner l’ensemble des éléments pertinents avant d’arriver à la conclusion selon laquelle ce titulaire et ce fabricant ne sont pas des concurrents potentiels, surtout lorsque des litiges les opposant sur la question de la validité du brevet en question sont encore pendants.

84      En effet, la Cour a déjà jugé que d’éventuels brevets protégeant un médicament princeps ou l’un de ses procédés de fabrication font incontestablement partie du contexte économique et juridique caractérisant les rapports de concurrence entre les titulaires de ces brevets et les fabricants de médicaments génériques. Toutefois, l’appréciation des droits conférés par un brevet ne doit pas consister en un examen de la force du brevet ou de la probabilité avec laquelle un litige entre son titulaire et un fabricant de médicaments génériques pourrait aboutir au constat que le brevet est valide et contrefait. Cette appréciation doit davantage porter sur la question de savoir si, malgré l’existence de ce brevet, le fabricant de médicaments génériques dispose de possibilités réelles et concrètes d’intégrer le marché au moment pertinent [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 50].

85      Par ailleurs, le constat d’une concurrence potentielle entre un fabricant de médicaments génériques et un fabricant de médicaments princeps peut être corroboré par des éléments supplémentaires, tels que la conclusion d’un accord entre eux lorsque le fabricant de médicaments génériques n’était pas présent sur le marché concerné, ou l’existence de transferts de valeur au profit de ce fabricant en contrepartie du report de son entrée sur le marché [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 54 à 56].

86      En l’occurrence, le Tribunal a considéré, en substance, aux points 133 à 135 de l’arrêt attaqué, qu’un concurrent potentiel est celui qui dispose de possibilités réelles et concrètes d’intégrer le marché en cause. Une telle constatation doit reposer, selon cette juridiction, essentiellement sur la capacité, confortée, le cas échéant, par l’intention d’intégrer ce marché, étant entendu que, lorsqu’un marché est caractérisé par des obstacles à l’entrée, l’examen de leur caractère insurmontable vient utilement compléter celui des possibilités réelles et concrètes de l’entreprise en cause, fondé sur sa capacité et son intention, d’entrer sur ledit marché.

87      Aux points 136 à 140 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a souligné que la preuve de l’existence d’une concurrence potentielle peut être confortée par la perception, par les entreprises présentes sur le marché, de la menace concurrentielle que représente la possibilité de l’arrivée d’un nouvel entrant sur ce marché. Il a relevé, à cet égard, en se référant à sa propre jurisprudence, que la conclusion d’un accord entre ces entreprises peut constituer un indice de cette perception de nature à corroborer l’existence d’une concurrence potentielle.

88      Il a, en outre, considéré, aux points 142 à 146 de cet arrêt, que, pour qu’une entreprise puisse être qualifiée de concurrent potentiel, son entrée sur le marché doit pouvoir se faire suffisamment rapidement aux fins de peser et ainsi d’exercer une pression concurrentielle sur les entreprises présentes sur ce marché.

89      Il résulte de ces éléments que c’est sans commettre d’erreur de droit et en statuant d’une manière conforme à ce qui a été rappelé aux points 80 à 85 du présent arrêt que le Tribunal a exposé les critères permettant de conclure à l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre un fabricant de médicaments princeps et un fabricant de médicaments génériques. En effet, les critères retenus par le Tribunal correspondent, en substance, à ceux retenus par la Cour aux points 36 à 57 de l’arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52).

90      Unichem fait cependant valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, en substance, aux points 188 et 190 de l’arrêt attaqué, que, en l’absence d’une décision judiciaire définitive ayant constaté l’existence d’une contrefaçon, l’existence d’un brevet en cours de validité n’empêche pas le déploiement d’une concurrence potentielle.

91      Il convient de relever, à cet égard, que le Tribunal, après avoir examiné aux points 161 à 170 de l’arrêt attaqué, les démarches de l’entreprise composée de Niche et d’Unichem, conjointement avec son partenaire Matrix, en vue d’entrer sur le marché du périndopril, a pris en considération, aux points 177 à 187 de cet arrêt, les obstacles potentiels à une telle entrée résultant, selon Unichem, de l’existence des brevets de Servier. Au point 188 de cet arrêt, le Tribunal a déduit qu’il « résulte de tout ce qui précède que la Commission a estimé sans commettre d’erreur que les brevets de Servier ne constituaient pas en l’espèce des obstacles insurmontables à l’entrée des sociétés de génériques sur le marché ». Il a poursuivi en observant que, « [e]n effet, à la date de conclusion des accords litigieux, aucune décision définitive statuant sur une action en contrefaçon n’avait constaté le caractère contrefaisant des produits desdites sociétés, en ce compris celui de [Niche] ». Au point 190 dudit arrêt, le Tribunal a réitéré cette appréciation en rejetant les arguments contraires d’Unichem fondés sur la jurisprudence du Tribunal.

92      Ainsi, le Tribunal, contrairement à ce qu’allègue Unichem, a jugé non pas qu’un brevet dont la validité et, le cas échéant, la contrefaçon par la commercialisation du produit d’une autre entreprise n’ont pas été constatées par une décision judiciaire définitive ne peut jamais être pris en compte en tant qu’obstacle à l’entrée de cette entreprise sur un marché, mais, au terme d’une analyse de l’ensemble des éléments visés aux points 181 à 200 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas commis d’erreur en considérant que les brevets de Servier ne constituaient pas en l’espèce des obstacles insurmontables à l’entrée de Niche sur le marché. Le Tribunal a ainsi statué conformément à la jurisprudence visée aux points 81 à 84 du présent arrêt. Il s’ensuit que les points 188 et 190 de l’arrêt attaqué ne sont pas entachés de l’erreur de droit dénoncée par Unichem.

93      Dès lors, la première branche du cinquième moyen doit être rejetée.

–       Sur la deuxième branche

94      S’agissant de la fin de non-recevoir invoquée par la Commission selon laquelle l’argumentation développée par Unichem dans le cadre de la deuxième branche du cinquième moyen est irrecevable, faute d’avoir été invoquée en première instance, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 170 du règlement de procédure de la Cour, le pourvoi ne peut modifier l’objet du litige devant le Tribunal. La compétence de la Cour, dans le cadre du pourvoi, est en effet limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges. Une partie ne saurait donc soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle n’a pas invoqué devant le Tribunal, dès lors que cela reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal (arrêt du 25 mars 2021, Slovak Telekom/Commission, C‑165/19 P, EU:C:2021:239, points 98 et 99 ainsi que jurisprudence citée).

95      Toutefois, un requérant est recevable à former un pourvoi en faisant valoir, devant la Cour, des moyens nés de l’arrêt attaqué lui–même et qui visent à en critiquer, en droit, le bien–fondé (arrêt du 16 mars 2023, American Airlines/Commission, C‑127/21 P, EU:C:2023:209, point 143 et jurisprudence citée).

96      Or, en faisant valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en omettant de prendre en considération l’effet cumulatif de l’ensemble des obstacles dont Unichem alléguait le caractère insurmontable, Unichem ne modifie pas l’objet du litige devant le Tribunal, mais critique les motifs de l’arrêt attaqué.

97      Par conséquent, la deuxième branche du cinquième moyen est recevable.

98      Sur le fond, il importe de rappeler que, en droit de l’Union, le principe qui prévaut est celui de la libre administration des preuves et le seul critère pour apprécier les preuves produites réside dans leur crédibilité (arrêts du 25 janvier 2007, Dalmine/Commission, C‑407/04 P, EU:C:2007:53, points 49 et 63, ainsi que du 27 avril 2017, FSL e.a./Commission, C‑469/15 P, EU:C:2017:308, point 38).

99      Pour satisfaire à la charge de la preuve qui lui incombe, la Commission doit réunir des éléments de preuve suffisamment sérieux, précis et concordants pour fonder la ferme conviction que l’infraction alléguée a eu lieu (voir, en ce sens, arrêts du 28 mars 1984, Compagnie royale asturienne des mines et Rheinzink/Commission, 29/83 et 30/83, EU:C:1984:130, point 20, ainsi que du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, C‑403/04 P et C‑405/04 P, EU:C:2007:52, points 42 et 45).

100    Cependant, chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence (voir, en ce sens, arrêts du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, points 513 à 523, ainsi que du 14 mai 2020, NKT Verwaltung s et NKT/Commission, C‑607/18 P, EU:C:2020:385, point 180).

101    En outre, selon la jurisprudence de la Cour, en matière de responsabilité pour une infraction aux règles de la concurrence, les éléments factuels qu’une partie invoque peuvent être de nature à obliger l’autre partie à fournir une explication ou une justification, faute de quoi il est permis de conclure que la charge de la preuve a été satisfaite (arrêts du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission, C‑407/08 P, EU:C:2010:389, point 80, et du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission, C‑591/16 P, EU:C:2021:243, point 79).

102    S’il subsiste un doute dans l’esprit du juge, il doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction, eu égard à la présomption d’innocence qui s’applique aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence susceptibles d’aboutir à l’infliction d’amendes ou d’astreintes (arrêt du 16 février 2017, Hansen & Rosenthal et H&R Wax Company Vertrieb/Commission, C‑90/15 P, EU:C:2017:123, point 18 ainsi que jurisprudence citée).

103    Il résulte des éléments qui précèdent que, si la Commission parvient à établir, sur la base d’un faisceau d’indices concordants et sans ignorer les éventuels obstacles à une entrée sur le marché dont elle a connaissance, l’existence d’une concurrence potentielle exercée par un fabricant de médicaments génériques sur un fabricant de médicaments princeps, il incombe alors aux entreprises visées de réfuter l’existence d’une telle concurrence en rapportant la preuve contraire, ce qu’elles peuvent faire soit dans le cadre de la procédure administrative soit, pour la première fois, dans le cadre du recours dont le Tribunal est saisi (voir, à ce dernier égard, arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 72).

104    Or, en l’occurrence, le Tribunal a exposé, aux points 161 à 169 de l’arrêt attaqué, que les indices rassemblés par la Commission et visés par la décision litigieuse permettaient de considérer que Niche était un concurrent potentiel de Servier. En conséquence, il a estimé, au point 170 de cet arrêt, qu’il était nécessaire de déterminer si les allégations d’Unichem relatives aux obstacles brevetaires, techniques, réglementaires, financiers et commerciaux étaient susceptibles de remettre en cause sa capacité et son intention d’entrer sur le marché. Le Tribunal a procédé à un tel examen aux points 171 à 246 dudit arrêt, et ce de manière circonstanciée et détaillée. Sur la base de son examen et au terme de l’appréciation des faits et des éléments de preuve qui lui ont été soumis, le Tribunal a rejeté, au point 247 de l’arrêt attaqué, les allégations par lesquelles Unichem contestait la capacité et l’intention de Niche d’entrer sur le marché.

105    En statuant ainsi, premièrement, le Tribunal a considéré, sans commettre d’erreur de droit, qu’il incombait à Unichem de contester les éléments sur le fondement desquels la Commission avait pu constater l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre Niche et Servier, en rapportant la preuve contraire.

106    Deuxièmement, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en examinant les prétendus obstacles à une entrée sur le marché de Niche un par un, sans vérifier, par ailleurs, si, nonobstant le fait qu’aucun de ces obstacles n’était insurmontable à lui seul, leur effet cumulatif donnait néanmoins lieu à un obstacle insurmontable. En effet, un tel examen n’est, en principe, pas nécessaire et Unichem n’a d’ailleurs pas expliqué, que ce soit devant le Tribunal ou sur pourvoi, en quoi aurait dû consister l’examen des preuves qu’il reproche au Tribunal de ne pas avoir effectué à cet égard.

107    Il s’ensuit que la deuxième branche du cinquième moyen doit être rejetée.

–       Sur la troisième branche

108    S’agissant de la recevabilité de la troisième branche du cinquième moyen, il convient de souligner qu’il ressort de l’article 256, paragraphe 1, TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le pourvoi est limité aux questions de droit et que le Tribunal est, dès lors, seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que les éléments de preuve (arrêt du 10 juillet 2019, VG/Commission, C‑19/18 P, EU:C:2019:578, point 47 et jurisprudence citée).

109    En revanche, lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié des faits, la Cour est compétente pour exercer son contrôle, dès lors que le Tribunal a qualifié leur nature juridique et en a fait découler des conséquences en droit. Le pouvoir de contrôle de la Cour s’étend, notamment, à la question de savoir si le Tribunal a appliqué des critères juridiques corrects lors de son appréciation des faits (voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021, Commission/Italie e.a., C‑425/19 P, EU:C:2021:154, point 53 ainsi que jurisprudence citée).

110    Sont recevables, au stade du pourvoi, des griefs relatifs à la constatation des faits et à leur appréciation dans la décision attaquée lorsqu’il est allégué que le Tribunal a effectué des constatations dont l’inexactitude matérielle résulte des pièces du dossier ou qu’il a dénaturé les éléments de preuve qui lui ont été soumis  (arrêt du 18 janvier 2007, PKK et KNK/Conseil, C‑229/05 P, EU:C:2007:32, point 35).

111    Une dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 28 janvier 2021, Qualcomm et Qualcomm Europe/Commission, C‑466/19 P, EU:C:2021:76, point 43). Si une telle dénaturation peut consister dans une interprétation d’un document contraire au contenu de celui-ci, elle doit ressortir de façon manifeste du dossier et elle suppose que le Tribunal ait manifestement outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable de ces éléments de preuve. À cet égard, il ne suffit pas de montrer qu’un document pourrait faire l’objet d’une interprétation différente de celle retenue par le Tribunal (arrêt du 17 octobre 2019, Alcogroup et Alcodis/Commission, C‑403/18 P, EU:C:2019:870, point 64 ainsi que jurisprudence citée).

112    En l’occurrence, par son premier grief, sous couvert d’invoquer une violation des règles relatives à l’administration de la preuve rappelées aux points 98 à 102 du présent arrêt, Unichem conteste en réalité l’appréciation factuelle portée par le Tribunal, au point 235 de l’arrêt attaqué, sur la valeur probante de notes d’un directeur d’Unichem quant à l’effet sur la situation financière de Niche des frais liés aux contentieux en matière de brevets.

113    Conformément à la jurisprudence visée aux points 108 à 111 du présent arrêt, une telle argumentation ne relève pas de la compétence de la Cour dans le cadre de la procédure de pourvoi. Il y a donc lieu de faire droit à la fin de non-recevoir de la Commission et de rejeter ce premier grief comme étant irrecevable.

114    En outre, par son second grief, Unichem reproche au Tribunal d’avoir dénaturé les faits, premièrement, en s’étant appuyé, au point 198 de l’arrêt attaqué, sur le fait que Niche avait, le 9 juillet 2004, signifié à Servier, dans le cadre d’une action en contrefaçon des brevets 339, 340 et 341, une demande reconventionnelle en nullité du brevet 947 sans toutefois mentionner que cette demande avait été rejetée le 28 juillet 2004 par la juridiction compétente au Royaume-Uni. Or, il ressort, en effet, des éléments produits par Unichem devant le Tribunal que la demande en cause n’a pas abouti, de sorte que le point 198 de l’arrêt attaqué dénature le fait relatif à l’introduction de ladite demande par Niche en omettant de mentionner une autre circonstance, à savoir le rejet de cette demande peu de temps après sa signification, qui en relativise significativement l’importance.

115    Il convient toutefois de relever que, dans la même phrase du point 198 de l’arrêt attaqué, le Tribunal fait également référence à une opposition formée ultérieurement par Niche contre le brevet 947 devant l’OEB au cours du mois de novembre de l’année 2004. C’est sur ces deux circonstances que le Tribunal s’est appuyé dans la suite de son raisonnement pour considérer, à la fin de ce point 198, qu’il ne pouvait être déduit des allégations et des documents présentés par Unichem l’absence d’intention de Niche d’entrer sur le marché en raison de risques trop élevés de contrefaçon du brevet 947 de Servier. Dans ces conditions, et compte tenu, par ailleurs, de la jurisprudence rappelée au point 82 du présent arrêt, ainsi que de l’ensemble des circonstances relatives aux démarches entreprises par Niche en vue d’entrer sur le marché du périndopril analysées par le Tribunal, notamment aux points 177 à 187 de l’arrêt attaqué, il y a lieu de juger que le grief relatif à la dénaturation constatée au point précédent vise un élément surabondant et ne saurait donc infirmer la conclusion retenue par le Tribunal au point 198 de l’arrêt attaqué ni, partant, aboutir à ce que la troisième branche du cinquième moyen soit accueillie, dès lors qu’elle est inopérante.

116    Deuxièmement, Unichem allègue l’existence d’une dénaturation au point 221 de l’arrêt attaqué, en raison de la mention faite par le Tribunal de « l’obtention à la même époque d’une [autorisation de mise sur le marché] pour son produit par l’un de ses partenaires aux Pays-Bas », pour prouver que l’entrée de Niche sur le marché était possible, alors même que cette dernière autorisation ne concernait pas une forme identique du périndopril. Il suffit, toutefois, de constater que cette mention, outre le fait qu’elle ne fait que renforcer une conclusion qui est fondée sur d’autres circonstances présentées au même point 221 de l’arrêt attaqué, ne précise pas quelle version du périndopril était visée par l’autorisation obtenue aux Pays-Bas, de sorte que le Tribunal n’a pas dénaturé ce fait.

117    Compte tenu des considérations qui précèdent, le cinquième moyen est rejeté.

 Sur le troisième moyen, relatif à la qualification de restriction de la concurrence par objet

 Argumentation des parties

118    Par son troisième moyen, qui se subdivise en deux branches, Unichem fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la Commission avait pu qualifier l’accord Niche de restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

119    Par la première branche de son troisième moyen, Unichem soutient que le Tribunal a statué sur la qualification de restriction de la concurrence par objet sur la base de critères juridiques erronés. Elle rappelle que cette notion doit être interprétée de manière stricte, au regard du libellé de l’accord en question, de son objectif ainsi que de son contexte économique et juridique, le critère essentiel étant de savoir si la coordination entre entreprises présente en elle-même un degré suffisant de nocivité au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence. Selon Unichem, le Tribunal a méconnu ces éléments.

120    En premier lieu, Unichem soutient que le Tribunal n’a pas tenu compte du contexte factuel pertinent à la lumière du libellé et de l’objet de l’accord Niche.

121    Le Tribunal aurait affirmé, au point 326 de l’arrêt attaqué, que les clauses de non-commercialisation et de non-contestation « ont, par elles-mêmes, un caractère restrictif de la concurrence ». Or, selon Unichem, outre le fait que cette affirmation contredit celle figurant au point 386 de cet arrêt, selon laquelle ces clauses « sont inhérentes à certains règlements amiables », elle méconnaît également le fait que l’accord Niche permettait d’entrer, dès l’année 2008, sur le marché du périndopril sans risque de faire l’objet d’actions en contrefaçon des brevets EP1294689, 947 et 948. Le Tribunal aurait dénaturé ses arguments juridiques à cet égard, de sorte que les constatations qui figurent au point 374 de l’arrêt attaqué seraient erronées et ne permettraient pas de considérer que les restrictions acceptées par Niche et Unichem étaient par nature anticoncurrentielles.

122    En second lieu, Unichem soutient que le Tribunal n’a pas tenu compte du contexte économique et juridique pertinent.

123    De l’avis d’Unichem, à la date de conclusion d’un accord de règlement amiable de litiges relatifs à un brevet, la Commission ne peut pas savoir si ce brevet est valide ou s’il a été contrefait, ou si les parties à cet accord sont des concurrents potentiels ou si ledit accord ne fait que refléter les droits protégés par ce brevet. Aucun accord de cette nature ne pourrait être considéré par la Commission comme étant, par nature, anticoncurrentiel. En effet, l’incertitude quant à la validité ou la contrefaçon dudit brevet exclurait nécessairement qu’un tel accord contenant des clauses de non-contestation et de non-commercialisation puisse être considéré comme étant, par nature, nocif pour la concurrence.

124    Le Tribunal aurait considéré, au point 356 de l’arrêt attaqué, que le fait, pour le titulaire d’un brevet, d’inciter un fabricant de médicaments génériques à conclure un accord de règlement amiable au moyen d’un transfert de valeur en faveur de ce dernier, constituerait un usage anormal de ce brevet. Toutefois, selon Unichem, un tel transfert de valeur ne constitue ni une restriction de la concurrence ni un usage anormal d’un brevet, mais relève de la pratique courante en matière de contentieux du brevet européen.

125    Par la seconde branche de son troisième moyen, Unichem fait valoir qu’un transfert de valeur ne peut, en soi, constituer un critère décisif aux fins de la qualification d’un accord de restriction de la concurrence par objet.

126    Tout d’abord, Unichem considère qu’un tel critère est inefficace, car il ne permet pas de différencier les restrictions bénignes de celles qui sont par nature nocives pour la concurrence.

127    Ensuite, Unichem estime que ce critère est trop large. En effet, en jugeant, aux points 362 et 363 de l’arrêt attaqué, que seuls les coûts inhérents au règlement amiable de litiges – tels que ceux couvrant les frais contentieux – peuvent être considérés comme étant justifiés, le Tribunal aurait adopté une interprétation excessivement extensive de la notion de restriction de la concurrence par objet. L’existence d’un paiement inversé ne saurait, en soi, être considérée comme illicite, compte tenu de l’importance reconnue aux accords de règlement amiable, des risques associés au lancement d’un médicament générique ainsi que des coûts, des incertitudes et de la complexité des procédures judiciaires.

128    Enfin, en considérant, au point 364 de l’arrêt attaqué, qu’il incombe aux entreprises de démontrer qu’un paiement inversé couvre des coûts qui sont inhérents au règlement amiable de litiges ou que ce paiement est insuffisant pour inciter un fabricant de médicaments génériques à transiger, le Tribunal aurait renversé la charge de la preuve des éléments constitutifs de l’infraction, laquelle incombe à la Commission.

129    La Commission considère que le troisième moyen est dénué de fondement.

 Appréciation de la Cour

130    Dans le cadre de son troisième moyen, Unichem avance un grief par lequel il reproche au Tribunal d’avoir statué sur la qualification de l’accord Niche de restriction de la concurrence par objet sur le fondement d’une interprétation erronée et d’une dénaturation des dispositions de cet accord. Les arguments avancés par Unichem à cet égard se recoupent avec ceux exposés de manière plus détaillée dans la seconde branche de son deuxième moyen. Il conviendra donc d’examiner l’ensemble des arguments relatifs à l’interprétation et à la dénaturation dudit accord dans le cadre de l’appréciation de la seconde branche du deuxième moyen.

131    Pour le surplus, l’argumentation développée dans le troisième moyen vise essentiellement à soutenir que la question de savoir si un accord de règlement amiable de litiges en matière de brevet constitue une restriction de la concurrence par objet ne doit pas dépendre de l’existence d’un paiement inversé, c’est-à-dire d’un transfert de valeur du fabricant de médicaments princeps en faveur du fabricant de médicaments génériques. Selon Unichem, ce critère conduirait à étendre le champ de cette notion dans des proportions excessivement larges et à renverser la charge de la preuve de l’infraction.

132    Dans le cadre de cette argumentation, en se référant au point 326 de l’arrêt attaqué, Unichem conteste l’objet anticoncurrentiel des clauses de non-contestation et de non-commercialisation stipulées par l’accord Niche.

133    Il ressort, en effet, du point 326 de cet arrêt que le Tribunal a considéré que de telles clauses « ont, par elles-mêmes, un caractère restrictif de concurrence ». Le Tribunal a notamment souligné, à cet égard, que la clause de non-contestation porte atteinte à l’intérêt public d’éliminer tout obstacle à l’activité économique qui pourrait découler d’un brevet délivré à tort et que la clause de non-commercialisation entraîne l’exclusion du marché d’un des concurrents du titulaire du brevet.

134    Or, la Cour a déjà jugé que la contestation de la validité et de la portée d’un brevet fait partie du jeu normal de la concurrence dans les secteurs dans lesquels existent des droits d’exclusivité sur des technologies, de sorte que des accords de règlement amiable par lesquels un fabricant de médicaments génériques candidat à l’entrée sur un marché reconnaît, au moins temporairement, la validité d’un brevet détenu par un fabricant de médicaments princeps et s’engage, de ce fait, à ne pas le contester, pas plus qu’à entrer sur ce marché, sont susceptibles de restreindre la concurrence [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 81 et jurisprudence citée].

135    Certes, un accord de règlement amiable d’un litige relatif à un brevet peut être conclu, dans un but légitime et en toute légalité, sur le fondement de la reconnaissance par les parties de la validité dudit brevet, en l’absence de toute autre circonstance constitutive d’une infraction à l’article 101 TFUE. Un tel accord peut même inclure des clauses de non-contestation et de non-commercialisation dont la portée se limite à celle du brevet en cause comme le Tribunal l’a constaté aux points 327 et 332 de l’arrêt attaqué. Toutefois, ainsi qu’il ressort de la suite du raisonnement du Tribunal, et plus particulièrement des points 328 à 345 de l’arrêt attaqué, la qualification d’un tel accord de restriction de la concurrence par objet dépend également d’autres caractéristiques de cet accord et des circonstances dans lesquelles il a été conclu, permettant, le cas échéant, de considérer que cet accord présente un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence.

136    Dès lors, il y a lieu de constater, sous réserve de l’examen de l’ensemble des griefs de dénaturation de l’accord Niche qui seront examinés dans le cadre du quatrième moyen, que, en jugeant, aux points 325 à 333 de l’arrêt attaqué, et plus particulièrement au point 326 de cet arrêt, que les clauses de non-contestation et de non-commercialisation prévues par l’accord Niche pouvaient constituer des restrictions de la concurrence par objet, en fonction de l’ensemble de leurs caractéristiques et des circonstances en présence, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit.

137    S’agissant des critiques formulées contre les critères retenus par le Tribunal pour qualifier un accord entre entreprises de restriction de la concurrence par objet, il y a lieu de constater que, comme le Tribunal l’a jugé, en substance, aux points 333 et 334 de l’arrêt attaqué, la présence de clauses de non-contestation et de non-commercialisation est susceptible de donner lieu à la qualification de restriction de la concurrence par objet lorsqu’il apparaît que la soumission du fabricant de médicaments génériques à ces clauses n’est pas fondée sur la reconnaissance par celle-ci de la validité du brevet du fabricant de médicaments princeps mais sur le versement par ce dernier d’un paiement en sa faveur. En effet, le critère permettant de vérifier si un accord de règlement amiable tel que l’accord Niche constitue une restriction de la concurrence par objet consiste à vérifier si les transferts de valeur dits « inversés » du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de médicaments génériques constituent la véritable contrepartie de la renonciation, par ce dernier, à entrer sur le marché concerné [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 87 à 94].

138    Il convient de rappeler, à cet égard, que, pour relever de l’interdiction de principe énoncée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, une pratique collusoire doit avoir « pour objet ou pour effet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser sensiblement le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur. Il en découle que cette disposition, telle qu’interprétée par la Cour, procède à une distinction nette entre la notion de restriction par objet et celle de restriction par effet, chacune étant soumise à un régime probatoire différent [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 62 et 63].

139    Ainsi, s’agissant des pratiques qualifiées de restrictions de la concurrence par objet, il n’y a pas lieu d’en rechercher ni a fortiori d’en démontrer les effets sur la concurrence, dans la mesure où l’expérience montre que de tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs (voir, en ce sens, arrêts du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 115, ainsi que du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 159).

140    En revanche, lorsque l’objet anticoncurrentiel d’un accord, d’une décision d’une association d’entreprises ou d’une pratique concertée n’est pas établi, il convient d’en examiner les effets afin de rapporter la preuve que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint, soit faussé de façon sensible (voir, en ce sens, arrêt du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C‑345/14, EU:C:2015:784, point 17).

141    Cette distinction tient à la circonstance que certaines formes de collusion entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (arrêts du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C‑209/07, EU:C:2008:643, point 17, et du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C‑32/11, EU:C:2013:160, point 35).

142    Il est vrai, ainsi que l’a fait valoir Unichem, que la notion de restriction de la concurrence par objet doit être interprétée de manière stricte et ne peut être appliquée qu’à certains accords entre entreprises révélant, en eux-mêmes et compte tenu de la teneur de leurs dispositions, des objectifs qu’ils visent ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel ils s’insèrent, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire (voir, en ce sens, arrêts du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C‑345/14, EU:C:2015:784, point 20, et du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, points 161 et 162 ainsi que jurisprudence citée).

143    À cet égard, s’agissant du contexte économique et juridique dans lequel s’inscrit le comportement en cause, il y a lieu de prendre en considération la nature des produits ou des services concernés ainsi que les conditions réelles qui caractérisent la structure et le fonctionnement du ou des secteurs ou marchés en question. En revanche, il n’est en aucune manière nécessaire d’examiner et à plus forte raison de démontrer les effets de ce comportement sur la concurrence, qu’ils soient réels ou potentiels et négatifs ou positifs (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 166).

144    Quant aux buts poursuivis par le comportement en cause, il y a lieu de déterminer les buts objectifs que ce comportement vise à atteindre à l’égard de la concurrence. En revanche, la circonstance que les entreprises impliquées ont agi sans avoir l’intention d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence et le fait qu’elles ont poursuivi certains objectifs légitimes ne sont pas déterminants aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 167 et jurisprudence citée).

145    Ainsi, l’appréciation du degré de nocivité économique d’un accord sur le bon fonctionnement de la concurrence dans le marché concerné doit reposer sur des considérations objectives, au besoin à l’issue d’une analyse détaillée de l’accord litigieux, ainsi que de ses objectifs et du contexte économique et juridique dans lequel il s’insère [voir, en ce sens, arrêts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 84 et 85, ainsi que du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission, C‑591/16 P, EU:C:2021:243, point 131].

146    Dans ce contexte, il convient également de rappeler qu’un fabricant de médicaments génériques peut, après avoir évalué ses chances d’obtenir gain de cause dans la procédure juridictionnelle qui l’oppose au fabricant du médicament princeps concerné, décider de renoncer à entrer sur le marché en cause et de conclure avec ce dernier un accord de règlement amiable de cette procédure. Un tel accord ne saurait être considéré, dans tous les cas, ainsi qu’il a été rappelé au point 135 du présent arrêt, comme une restriction par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Le fait qu’un tel accord est assorti de transferts de valeur par le fabricant de médicaments princeps au profit d’un fabricant de médicaments génériques ne constitue pas un motif suffisant pour le qualifier de restriction de la concurrence par objet, ces transferts de valeur pouvant s’avérer justifiés. Tel peut être le cas lorsque le fabricant de médicaments génériques perçoit du fabricant de médicaments princeps des sommes correspondant effectivement à la compensation de frais ou de désagréments liés au litige qui les oppose ou correspondant à une rémunération pour la fourniture effective de biens ou de services au fabricant de médicaments princeps [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 84 à 86].

147    Par conséquent, dès lors qu’un accord de règlement amiable d’un litige relatif à la validité d’un brevet opposant un fabricant de médicaments génériques à un fabricant de médicaments princeps, titulaire de ce brevet, est assorti de transferts de valeur du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de médicaments génériques, il y a lieu de vérifier, dans un premier temps, si le solde net positif de ces transferts peut se justifier de manière intégrale par la nécessité de compenser des frais ou des désagréments liés à ce litige, tels que les frais et honoraires des conseils de ce dernier fabricant, ou par celle de rémunérer la fourniture effective et avérée de biens ou de services de celui-ci au fabricant du médicament princeps [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 92].

148    En effet, le règlement amiable d’un tel litige implique que le fabricant de médicaments génériques reconnaisse la validité du brevet en cause, car il renonce à la contester. Il s’ensuit que, au titre d’un paiement dit « inversé », par le fabricant de médicaments princeps en faveur du fabricant de médicaments génériques, seule la prise en charge de tels frais ou la rémunération de tels biens ou services fournis peut être considérée comme étant cohérente par rapport à une telle reconnaissance et, partant, comme étant susceptible d’être justifiée à l’égard de la concurrence.

149    Dans un second temps, si ce solde net positif des transferts n’est pas justifié de manière intégrale par une telle nécessité, il importe de vérifier si, en l’absence d’une telle justification, ces transferts s’expliquent uniquement par l’intérêt commercial de ces fabricants de médicaments à ne pas se livrer une concurrence par les mérites. Aux fins de cet examen, il y a lieu de déterminer si ledit solde, y compris d’éventuels frais justifiés, est suffisamment important pour inciter effectivement le fabricant de médicaments génériques à renoncer à entrer sur le marché concerné, sans qu’il soit requis que ce solde positif net soit nécessairement supérieur aux bénéfices qu’il aurait réalisés s’il avait obtenu gain de cause dans la procédure en matière de brevets [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 87 à 94].

150    En l’occurrence, aux points 325 à 344 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que la présence, dans un accord de règlement amiable de litiges en matière de brevets, de clauses restrictives de la concurrence, telles que des clauses de non-contestation et de non-commercialisation, lorsqu’elle est associée à un paiement inversé, peut relever de la qualification de restriction de la concurrence par objet, si ce paiement n’est pas justifié par une autre contrepartie que celle consistant, dans l’engagement par le fabricant de médicaments génériques, à renoncer à concurrencer le fabricant de médicaments princeps titulaire du ou des brevets concernés.

151    Aux points 361 à 364 de cet arrêt, le Tribunal a considéré, en substance, que, afin de déterminer si cette condition est remplie, il convient d’examiner si ce paiement inversé vise à compenser les coûts inhérents au règlement amiable supportés par le fabricant de médicaments génériques. Le Tribunal a précisé que ces coûts incluent, notamment, les frais supportés dans le cadre des litiges faisant l’objet de l’accord de règlement amiable, à condition que ces frais aient été établis par les parties à cet accord et qu’ils ne soient pas disproportionnés par rapport au montant des frais objectivement indispensables à la procédure contentieuse. En revanche, selon l’arrêt attaqué, les coûts inhérents au règlement amiable n’incluent ni la valeur du stock de médicaments contrefaisants ni les frais de recherche et de développement exposés pour mettre au point ces médicaments. Selon cet arrêt, ces coûts excluent également, en principe, les montants dus à titre d’indemnité, notamment de résiliation, au titre de contrats conclus par le fabricant de médicaments génériques avec des tiers.

152    Ces appréciations du Tribunal relatives aux circonstances dans lesquelles il est possible de justifier le paiement dit « inversé » de tels frais afin de conclure à l’absence d’un transfert de valeur incitatif correspondent, en substance, à celles qui découlent de la jurisprudence de la Cour rappelée aux points 146, 147 ainsi que 149 du présent arrêt, et ne révèlent aucune erreur de droit.

153    Unichem soutient néanmoins que, au point 364 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a renversé la charge de la preuve qui incombe à la Commission.

154    Il ressort dudit point 364 de l’arrêt attaqué que, si la prise en charge par le fabricant de médicaments princeps des frais contentieux supportés par un fabricant de médicaments génériques dans le cadre du litige les opposant qui a été réglé à l’amiable peut être justifiée par l’« inhérence » de ces frais à ce règlement, à condition qu’ils ne soient pas excessifs et, partant, disproportionnés, d’autres frais trop « extérieurs » au litige et à son règlement ne peuvent pas, en revanche, être considérés comme étant inhérents à ceux-ci. Le Tribunal a considéré qu’il appartient aux entreprises, si elles souhaitent que le paiement de tels frais par le titulaire du brevet « ne soit pas qualifié d’incitatif et constitutif d’un indice de l’existence d’une restriction de concurrence par objet, de démontrer que ceux-ci sont inhérents au litige ou à son règlement puis d’en justifier le montant ».

155    S’agissant de la prise en charge par le fabricant de médicaments princeps de la valeur du stock de médicaments contrefaisants, des frais de recherche et de développement exposés pour mettre au point ces médicaments et des indemnités que le fabricant de médicaments génériques pourrait éventuellement devoir verser à des tiers, ainsi qu’il ressort du point 167 de l’arrêt de ce jour dans l’affaire Servier e.a./Commission (C‑201/19 P), des paiements de cette nature sont la conséquence directe non pas de la volonté des fabricants de médicaments de régler à l’amiable les litiges qui les opposent au sujet de brevets, mais de la renonciation du fabricant de médicaments génériques à entrer sur le marché du médicament concerné. Il s’ensuit que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit, au point 364 de l’arrêt attaqué, en jugeant, en substance, qu’une telle prise en charge ne peut pas être considérée comme étant inhérente à un accord de règlement amiable tel que l’accord Niche.

156    Eu égard à ces éléments, et contrairement à l’argumentation d’Unichem, le Tribunal n’a pas non plus procédé, au point 364 de l’arrêt attaqué, à un renversement de la charge de la preuve. En effet, le Tribunal s’est, en substance, limité à considérer que des frais tels que ceux visés au point précédent du présent arrêt doivent, lorsqu’ils ont été pris en charge par le fabricant de médicaments princeps, être inclus parmi les transferts de valeur au profit du fabricant de médicaments génériques dont il convient d’analyser le solde net positif. En précisant, au même point 364, « qu’il appartient alors aux parties à l’accord, si elles souhaitent que le paiement de ces frais ne soit pas qualifié d’incitatif et de constitutif d’un indice de l’existence d’une restriction de concurrence par objet, de démontrer que ceux-ci sont inhérents au litige ou à son règlement, puis d’en justifier le montant », le Tribunal a fait une application exacte des règles relatives à la répartition de la charge de la preuve qui ont été rappelées au point 101 du présent arrêt.

157    Compte tenu de ces éléments, le troisième moyen doit être rejeté.

 Sur le quatrième moyen, pris d’un défaut de motivation 

 Argumentation des parties

158    Par son quatrième moyen, Unichem soutient que, en rejetant, au point 374 de l’arrêt attaqué, son interprétation de l’article 6 de l’accord Niche et en jugeant que cet article ne permettait pas une entrée anticipée de Niche sur le marché avant l’expiration du brevet 947 au cours de l’année 2021, le Tribunal a violé l’obligation de motiver ses arrêts.

159    Le Tribunal aurait omis de répondre à l’argument selon lequel l’accord Niche aurait dû, conformément aux principes du droit anglais applicable à ce contrat et notamment à l’analyse de ces principes qui ressort du rapport d’expertise d’un professeur de droit anglais produit par Niche devant le Tribunal au stade de la réplique en première instance, être interprété en ce sens qu’il conférait à Niche le droit d’entrer sur le marché du périndopril sans faire l’objet d’actions en contrefaçon du brevet 947, dès l’expiration, au cours de l’année 2008, des brevets 339, 340 et 341.

160    Or, cet argument aurait été essentiel pour apprécier les moyens de première instance relatifs, premièrement, au critère dit de la « nécessité objective » issu de la jurisprudence de la Cour relative aux restrictions accessoires à des accords légitimes, deuxièmement, à la notion de restriction de la concurrence par objet et, troisièmement, aux conditions d’application de l’exemption prévue à l’article 101, paragraphe 3, TFUE.

161    La Commission conteste cette argumentation.

 Appréciation de la Cour

162    Selon la jurisprudence constante de la Cour, la motivation d’un arrêt doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement du Tribunal, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la décision prise et à la Cour d’exercer son contrôle juridictionnel (arrêt du 9 mars 2023, Les Mousquetaires et ITM Entreprises/Commission, C‑682/20 P, EU:C:2023:170, point 40 ainsi que jurisprudence citée).

163    En outre, il ressort de cette jurisprudence que l’obligation de motivation qui incombe au Tribunal n’impose pas à ce dernier de fournir un exposé qui suivrait, de manière exhaustive et un par un, tous les raisonnements articulés par les parties au litige, et que la motivation du Tribunal peut donc être implicite à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas fait droit à leurs arguments et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle (arrêt du 11 mai 2017, Dyson/Commission, C‑44/16 P, EU:C:2017:357, point 38 et jurisprudence citée).

164    En l’espèce, il convient de relever d’emblée que la thèse d’Unichem relative à l’interprétation correcte de l’accord Niche impliquerait, en substance, que l’article 6 de cet accord donne lieu, sans toutefois le préciser de manière explicite, à l’octroi, sans contrepartie spécifique, d’une licence d’exploitation du brevet 947 au bénéfice de Niche à partir de l’année 2008. Or, le Tribunal, au point 374 de l’arrêt attaqué, a déduit d’une lecture combinée des articles 3, 5 et 6 de l’accord Niche que la Commission avait, à juste titre, estimé que l’article 6 de cet accord ne permettait pas une entrée anticipée de Niche sur le marché avant l’expiration du brevet 947, contrairement à ce que prétendait Unichem.

165    Le raisonnement suivi par le Tribunal au point 374 de l’arrêt attaqué est, en soi, clair, compréhensible et de nature à motiver à suffisance la conclusion qu’il vise à étayer.

166    Eu égard aux circonstances décrites ci-dessus, et notamment en l’absence d’explications de la part d’Unichem étayant la crédibilité de sa thèse selon laquelle l’article 6 de l’accord Niche autorisait, contrairement à l’interprétation des termes de cet accord défendue par la Commission, une entrée anticipée de Niche sur les marchés du périndopril avant l’expiration du brevet 947 sans contrepartie spécifique, les arguments d’Unichem en première instance n’appelaient aucune réponse particulière du Tribunal aux éléments contenus dans des avis d’experts, et notamment dans celui d’un professeur de droit anglais invoqué par Unichem devant lui.

167    Partant, le quatrième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

 Sur le deuxième moyen, relatif aux restrictions accessoires 

 Argumentation des parties

168    Par son deuxième moyen, Unichem soutient que le Tribunal, aux points 386 à 390 de l’arrêt attaqué, a commis des erreurs de droit en appliquant la jurisprudence de la Cour relative aux restrictions de la concurrence qui sont accessoires à des accords légitimes. Unichem fait, en substance, valoir que le Tribunal a, à tort, considéré que le fait qu’un fabricant de médicaments princeps a incité, au moyen d’un paiement inversé, un fabricant de médicaments génériques à conclure un accord de règlement amiable de litiges en matière de brevets contenant des clauses de non-contestation et de non-commercialisation, permettrait de considérer que ces clauses ne sont pas « objectivement nécessaires » en vue du règlement amiable de litiges. Ce deuxième moyen se subdivise en deux branches.

169    Par la première branche, Unichem soutient que l’application du critère de la « nécessité objective » d’une restriction accessoire n’implique pas de procéder à un examen des conditions économiques d’un accord de règlement amiable. L’existence d’un paiement inversé ne permettrait pas de considérer qu’une restriction accessoire à la concurrence qui est nécessaire et proportionnée puisse être qualifiée de restriction de la concurrence par objet.

170    L’affirmation du Tribunal, au point 389 de l’arrêt attaqué, selon laquelle l’accord Niche serait non pas un véritable accord de règlement amiable en matière de brevet, mais un accord d’exclusion du marché reposerait sur une analogie erronée avec l’arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643), qui concernait une situation dans laquelle l’accord en cause ne visait pas des droits de propriété intellectuelle et ne poursuivait aucun objectif légitime.

171    En outre, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en jugeant, au point 390 de l’arrêt attaqué, que le fait d’inciter un concurrent à accepter une restriction de la concurrence n’est pas normal ni objectivement nécessaire au regard de la protection découlant d’un brevet. Cette affirmation ne reposerait sur aucun précédent jurisprudentiel et méconnaîtrait le fait qu’il est courant, dans la pratique, que le titulaire d’un brevet mette fin à un litige et se prémunisse contre l’entrée d’un tiers sur le marché au moyen d’un paiement.

172    Dans ce contexte, Unichem estime qu’il incombait à la Commission de démontrer qu’un transfert de valeur dissimule une collusion horizontale illicite. Or, en l’espèce, le Tribunal aurait reconnu l’absence de fraude et la légitimité du litige, et se serait abstenu de statuer sur la validité ou la violation du brevet 947. Le Tribunal n’aurait pas dû permettre à la Commission de se limiter à invoquer un transfert de valeur afin d’établir l’existence d’une infraction.

173    Par la seconde branche, Unichem soutient que le Tribunal a interprété l’accord Niche de manière erronée. L’application du critère de la « nécessité objective » aurait dû conduire le Tribunal à juger que les clauses de non-contestation et de non-commercialisation prévues par cet accord étaient nécessaires et proportionnées au règlement amiable des litiges relatifs aux brevets de Servier. Unichem souligne, à cet égard, que ledit accord préservait le droit de Niche, premièrement, de « commercialiser à risque » une version générique du périndopril, deuxièmement, d’entrer sur le marché dès l’année 2008, soit treize ans avant l’expiration du brevet 947, et, troisièmement, de conserver les autorisations de mise sur le marché et de suspendre les relations avec les clients afin de permettre une « résurrection rapide » au cours de l’année 2008.

174    Or, Unichem estime que le Tribunal, au point 374 de l’arrêt attaqué, a rejeté cette interprétation de l’accord Niche en procédant à une dénaturation manifeste de l’argumentation exposée dans ses mémoires en première instance.

175    Tout d’abord, l’affirmation du Tribunal selon laquelle Unichem « ne conteste pas que l’article 3 de [l’accord Niche] lui interdisait de fabriquer et de commercialiser le périndopril qu’elle avait développé avec Matrix » serait fausse. Cet article 3 n’aurait concerné que le périndopril fabriqué au moyen du procédé de Matrix ou d’un procédé substantiellement similaire.

176    Ensuite, Unichem dément avoir admis que l’article 6 de l’accord Niche visait uniquement à préciser la date d’expiration du terme de l’obligation de non-commercialisation prévue à l’article 3 de cet accord. Au contraire, Unichem aurait soutenu que cet article 6 avait pour but de permettre à Niche d’entrer sur le marché dès l’année 2008, sans crainte de faire l’objet d’action en contrefaçon des brevets de Servier.

177    Enfin, Unichem nie avoir reconnu que l’article 6 dudit accord « visait à éviter [...] que les sociétés de génériques soient en mesure de commercialiser leur produit dès le lendemain de [l’]expiration » des brevets 339, 340 et 341. En réalité, dans la mesure où, afin d’entrer sur le marché le plus tôt possible, il serait tentant de commencer la production avant l’expiration de ces brevets, cet article 6 aurait visé à assurer que seul le périndopril qui a été fabriqué après cette date pouvait être commercialisé.

178    La Commission conteste cette argumentation. La première branche du deuxième moyen serait non fondée. La seconde branche de ce moyen serait irrecevable, car Unichem chercherait à obtenir un réexamen par la Cour des éléments de fait et de preuve concernant, notamment, la question de savoir si l’accord Niche permettait une entrée anticipée de Niche sur le marché.

 Appréciation de la Cour

–       Sur la première branche

179    Unichem soutient que le Tribunal a appliqué de manière erronée les règles relatives aux restrictions de la concurrence qui sont accessoires à des accords légitimes.

180    Il y a lieu de rappeler que, si une opération ou une activité déterminée ne relève pas du principe d’interdiction prévu à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en raison de sa neutralité, en ce sens qu’elle n’implique aucune restriction de la concurrence, une restriction accessoire à l’autonomie commerciale d’un ou de plusieurs des participants à cette opération ou à cette activité ne relève pas non plus de ce principe d’interdiction si cette restriction est objectivement nécessaire à la mise en œuvre de ladite opération ou de ladite activité et proportionnée aux objectifs de l’une ou de l’autre (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 89 ainsi que jurisprudence citée).

181    En effet, lorsqu’il n’est pas possible de dissocier une telle restriction accessoire de l’opération ou de l’activité principale sans en compromettre l’existence et les objets, il y a lieu d’examiner la compatibilité avec l’article 101 TFUE de cette restriction conjointement avec la compatibilité de l’opération ou de l’activité principale dont elle constitue l’accessoire, et cela bien que, prise isolément, pareille restriction puisse paraître, à première vue, relever du principe d’interdiction de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C‑179/16, EU:C:2018:25, point 70).

182    En l’occurrence, le Tribunal a considéré, au point 316 de l’arrêt attaqué, que, lorsque des accords de règlement amiable ont pour véritable cause, non pas la reconnaissance par les parties de la validité des brevets, mais une « incitation » du fabricant de médicaments génériques à se soumettre à des clauses de non-commercialisation et de non-contestation, « les restrictions de concurrence qu’introduisent [ces] clauses [...] ne peuvent [...] être regardées comme étant objectivement nécessaires et ainsi comme constituant l’accessoire d’un règlement amiable ».

183    Aux points 389 et 390 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a précisé que, « du fait [...] de l’incitation de la société de génériques à se soumettre à [des clauses de non-contestation et de non-commercialisation], les accords en cause sont des accords d’exclusion du marché, et non de véritables accords de règlement amiable, excluant ainsi que puisse être retenue en l’espèce l’existence d’une opération neutre ou positive sur le plan de la concurrence ». Le Tribunal a rappelé, à cet égard, que « le fait d’inciter un concurrent à accepter [de telles] clauses [...] constitue un usage anormal du brevet, ne relevant pas de l’objet spécifique [de ce] brevet et, ainsi, non objectivement nécessaire à sa protection ». Au point 391 de cet arrêt, le Tribunal a déduit de ces éléments que la Commission avait valablement pu ne pas appliquer la jurisprudence de la Cour relative aux restrictions accessoires à des accords légitimes.

184    Ce faisant, le Tribunal a fait une application exacte de la jurisprudence de la Cour visée aux points 180 et 181 du présent arrêt. Par ailleurs, l’argument d’Unichem relatif au caractère prétendument courant des paiements inversés tels que celui que Niche a reçu de Servier ne saurait prospérer, car il ne remet aucunement en cause le caractère anticoncurrentiel de ce paiement au regard de cette jurisprudence.

185    La première branche du deuxième moyen doit donc être rejetée.

–       Sur la seconde branche

186    Unichem soutient, par un premier argument, que le Tribunal a retenu une interprétation erronée des stipulations de l’accord Niche. Toutefois, l’interprétation d’une disposition contractuelle effectuée par le Tribunal constitue une question de fait, qui, sous réserve du cas de dénaturation, ne peut être soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 16 novembre 2017, Ludwig-Bölkow-Systemtechnik/Commission, C‑250/16 P, EU:C:2017:871, point 49 et jurisprudence citée). Ce premier argument, faute pour Unichem d’avoir invoqué une dénaturation de cet accord, doit donc être rejeté comme étant irrecevable.

187    Le second argument d’Unichem consiste à soutenir que le Tribunal, au point 374 de l’arrêt attaqué, a dénaturé les termes de ses mémoires en première instance et, partant, a rejeté à tort son interprétation des stipulations de l’accord Niche.

188    À cet égard, ainsi qu’il a été rappelé au point 110 du présent arrêt, sont recevables, au stade du pourvoi, des griefs relatifs à la constatation des faits et à leur appréciation dans la décision attaquée lorsqu’il est allégué que le Tribunal a effectué des constatations dont l’inexactitude matérielle résulte des pièces du dossier ou qu’il a dénaturé les éléments de preuve qui lui ont été soumis  (arrêt du 18 janvier 2007, PKK et KNK/Conseil, C‑229/05 P, EU:C:2007:32, point 35).

189    Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient la Commission, les griefs de dénaturation allégués par Unichem ne sont pas, dans leur ensemble, irrecevables.

190    Quant au fond, ainsi qu’il a été relevé au point 111 du présent arrêt, une dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 28 janvier 2021, Qualcomm et Qualcomm Europe/Commission, C‑466/19 P, EU:C:2021:76, point 43). Si une telle dénaturation peut consister dans une interprétation d’un document contraire au contenu de celui-ci, elle doit ressortir de façon manifeste du dossier et elle suppose que le Tribunal ait manifestement outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable de ces éléments de preuve. À cet égard, il ne suffit pas de montrer qu’un document pourrait faire l’objet d’une interprétation différente de celle retenue par le Tribunal (arrêt du 17 octobre 2019, Alcogroup et Alcodis/Commission, C‑403/18 P, EU:C:2019:870, point 64 ainsi que jurisprudence citée).

191    Or, force est de constater que, en l’espèce, aucune des trois dénaturations des mémoires de première instance alléguées par Unichem ne répond à ces critères.

192    Unichem affirme avoir soutenu, devant le Tribunal, que l’article 3 de l’accord Niche n’empêchait pas Niche de produire et de commercialiser une version générique du périndopril non contrefaisante n’ayant pas été fabriquée sur la base du procédé de Matrix.

193    Or, il ressort de la lecture du passage de la requête en première instance dont elle invoque la dénaturation qu’Unichem faisait valoir que l’article 3 de l’accord Niche – lequel ne visait, selon elle, que le périndopril « fabriqué sur la base du procédé contesté de Matrix ou d’un procédé substantiellement similaire » – ne dépassait pas la portée de ces brevets et ne l’empêchait pas de commercialiser une version générique du périndopril composée d’un principe actif autre que la forme cristalline alpha de l’erbumine.

194    Il y a donc lieu de constater que l’affirmation, au point 374 de l’arrêt attaqué, selon laquelle Unichem « ne conteste pas que l’article 3 de [l’accord Niche] lui interdisait de fabriquer et de commercialiser le périndopril qu’elle avait développé avec Matrix » ne comporte aucune dénaturation manifeste des termes de la requête en première instance d’Unichem, dès lors que celle-ci n’a pas expliqué en quoi le périndopril « qu’elle avait développé avec Matrix » était différent de celui « fabriqué sur la base du procédé contesté de Matrix ou d’un procédé substantiellement similaire ».

195    La deuxième dénaturation alléguée consiste à faire valoir que le Tribunal aurait, à tort, considéré qu’Unichem avait admis que l’article 6 de l’accord Niche visait uniquement à « clarifier la fin » de l’interdiction de commercialiser le périndopril développé avec Matrix.

196    Toutefois, cette allégation repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué. En effet, au point 374 de cet arrêt, le Tribunal s’est limité à énoncer le contenu de l’article 6 de l’accord Niche, en constatant « qu’il ressort du texte même de [cet article 6] que la possibilité de commercialisation prévue ne visait qu’à clarifier la fin de [l’interdiction prévue à l’article 3 de cet accord], en prévoyant que [Niche] pourrait fabriquer et vendre [le] périndopril [qu’elle avait développé avec Matrix] ainsi que tout périndopril relevant du champ d’application des brevets [339, 340 et 341] après leur expiration, mais non qu’elle pourrait vendre un périndopril relevant du champ d’application du brevet 947 avant son expiration sans s’exposer à des actions en contrefaçon de ce brevet introduites par Servier ». Ainsi, le Tribunal n’a pas attribué cette constatation relative à la portée dudit article 6 à Unichem.

197    Quant à la troisième dénaturation alléguée par Unichem, force est de constater que, sous couvert d’invoquer la dénaturation de ses mémoires en première instance, Unichem conteste en réalité la validité de l’interprétation par le Tribunal de l’accord Niche, en particulier celle résultant d’une lecture combinée des articles 3, 5 et 6 de celui-ci, sans toutefois indiquer en quoi il aurait dénaturé ces articles ou les éléments figurant dans ses mémoires de première instance. À ce dernier égard, il ne ressort pas du pourvoi d’Unichem de quelle manière le Tribunal, en constatant au point 374 de l’arrêt attaqué qu’Unichem avait « elle-même reconnu l’utilité et la logique commerciale de l’article 6 de [l’accord Niche] indépendamment de l’interprétation qu’elle fait valoir dans le cadre du présent recours » en ce que cet article visait à éviter que les fabricants de médicaments génériques n’entrent sur chaque marché national dès l’expiration des brevets 339, 340 et 341, a dénaturé les mémoires d’Unichem en première instance. En effet, Unichem fait valoir devant la Cour que l’article 6 a « un sens » car il vise à garantir que seul le périndopril fabriqué après l’expiration de ces brevets fasse l’objet d’une « protection » et non pas celui qui serait fabriqué à l’avance en anticipant une telle expiration. Or, il apparaît que cette explication de l’objectif commercial dudit article 6 correspond, en substance, à celle du Tribunal qui a été rappelée au présent point.

198    La seconde branche du deuxième moyen, ainsi que, par conséquent, le grief avancé dans le cadre du troisième moyen et mentionné au point 130 du présent arrêt, doit donc être rejetée.

199    Il s’ensuit que le deuxième moyen doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur le sixième moyen, relatif à une inégalité de traitement 

 Argumentation des parties

200    Par son sixième moyen, Unichem invoque une inégalité de traitement par rapport à Krka en ce que le Tribunal aurait appliqué, dans le cas d’Unichem, un test strict relatif à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet. Dans son arrêt du 12 décembre 2018, Krka/Commission (T‑684/14, EU:T:2018:918), en revanche, le Tribunal aurait examiné si les accords Krka constituaient une restriction de la concurrence par effet, ce qu’il aurait omis de faire dans l’arrêt attaqué à l’égard de l’accord Niche.

201    En premier lieu, Unichem soutient que sa situation était analogue à celle de Krka. En effet, ces entreprises seraient toutes les deux des fabricants de médicaments génériques, auraient tenté pendant de nombreuses années de fabriquer ou de se procurer du périndopril non contrefaisant et auraient finalement conclu des accords de règlement amiable de litiges en matière de brevets avec Servier. Ces accords auraient tous deux prévu un transfert de valeur de la part de Servier.

202    En second lieu, le fait pour Niche d’avoir accepté un transfert de valeur de la part de Servier sous la forme d’un paiement plutôt que d’une redevance dans le cadre d’un accord de licence ne serait pas susceptible de constituer une justification objective de la différence de traitement par rapport à Krka.

203    La Commission conteste cette argumentation.

 Appréciation de la Cour

204    Il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 139, 143 et 144 du présent arrêt, s’agissant des pratiques qualifiées de restrictions de la concurrence par objet, il n’y a pas lieu d’en rechercher ni a fortiori d’en démontrer les effets sur la concurrence, qu’ils soient réels ou potentiels et négatifs ou positifs.

205    En l’occurrence, il découle du rejet des deuxième, troisième et cinquième moyens du pourvoi que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a rejeté, au point 393 de l’arrêt attaqué, le moyen de première instance tiré d’erreurs de droit et d’appréciation prétendument commises par la Commission relativement à la qualification de l’accord Niche de restriction de la concurrence par objet.

206    Or, il résulte, notamment, du considérant 1407 de la décision litigieuse que l’infraction visée à l’article 1er de cette décision reposait sur la double qualification de l’accord Niche de restriction de la concurrence par objet et par effet. Dès lors, en jugeant, aux points 394 à 398 de l’arrêt attaqué, que, quand bien même le moyen de première instance par lequel Unichem contestait la qualification de restriction de la concurrence par effet de l’accord Niche aurait été fondé, ce moyen ne pouvait pas entraîner l’annulation du dispositif de la décision litigieuse, le Tribunal s’est limité à tirer les conséquences du caractère alternatif de la condition prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, tenant à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet ou par effet, conformément à la jurisprudence visée aux points 138, 139, 143 et 144 du présent arrêt. Dans ces conditions, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en rejetant, au point 398 de l’arrêt attaqué, ledit moyen comme étant inopérant.

207    Dans son arrêt du 12 décembre 2018, Krka/Commission (T‑684/14, EU:T:2018:918), en revanche, le Tribunal a accueilli, au point 268, le troisième moyen de Krka, tiré de l’absence de restriction de la concurrence par objet s’agissant des accords de règlement amiable et de licence ainsi que, au point 298, son quatrième moyen, tiré de l’absence de restriction de la concurrence par objet s’agissant de l’accord de cession. Dans ces conditions, eu égard au caractère alternatif de la condition prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, tenant à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet ou par effet, le Tribunal devait nécessairement examiner en outre, dans ledit arrêt, le cinquième moyen de Krka, tiré de l’absence de restriction de la concurrence par effet, car, en l’absence d’un tel examen, il n’aurait pas été en mesure de se prononcer sur le bien-fondé de la constatation par la Commission d’une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE par Krka. Ainsi, la différence entre le traitement de ce cinquième moyen et le traitement du moyen de première instance d’Unichem, relatif à la qualification de l’accord Niche de restriction de la concurrence par effet, s’explique par une différence objective de situations.

208    Dans la mesure où Unichem fait valoir que le Tribunal aurait appliqué un test plus strict relatif à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, il ressort notamment du point 276 de l’arrêt de ce jour dans l’affaire Commission/Krka (C‑151/19 P), que des erreurs de droit commises par le Tribunal affectent l’ensemble du raisonnement relatif à la qualification de restriction de la concurrence par objet des accords de règlement amiable et de licence conclus avec Krka, exposé aux points 179 à 268 de l’arrêt du Tribunal du 12 décembre 2018, Krka/Commission (T‑684/14, non publié, EU:T:2018:918).

209    Le pourvoi de la Commission dans l’affaire C‑151/19 P ayant été accueilli, la Cour a annulé l’arrêt du 12 décembre 2018, Krka/Commission (T‑684/14, EU:T:2018:918), par lequel le Tribunal avait annulé l’article 4 de la décision litigieuse constatant le caractère infractionnel des accords Krka au regard de l’article 101 TFUE. Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour a définitivement rejeté, en particulier, les premier à troisième moyens, relatifs à la qualification des accords de règlement amiable et de licence conclus par Krka de restriction de la concurrence par objet, le cinquième moyen, relatif à l’existence d’une restriction de la concurrence par effet, ainsi que le sixième moyen, relatif à l’article 101, paragraphe 3, TFUE, du recours de première instance de Krka dans l’affaire T‑684/14. Il s’ensuit qu’Unichem n’est pas fondée à se prévaloir d’une rupture du principe d’égalité de traitement par rapport à ce qui a été jugé dans l’affaire T‑684/14.

210    Le sixième moyen doit, dès lors, être rejeté.

 Sur le septième moyen, relatif à l’article 101, paragraphe 3, TFUE 

 Argumentation des parties

211    Par son septième moyen, Unichem fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit aux points 427 et 428 de l’arrêt attaqué, en rejetant l’argumentation selon laquelle l’accord Niche aurait dû bénéficier d’une exemption au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE. Le Tribunal aurait jugé, contrairement aux allégations d’Unichem en ce sens, que cet accord ne permettait pas à cette entreprise de commercialiser une version du périndopril composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947 sans attendre l’expiration de ce brevet au cours de l’année 2021. Or, cette appréciation reposerait sur la dénaturation, au point 374 de l’arrêt attaqué, de l’argumentation ainsi que des preuves avancées par Unichem en première instance quant à l’interprétation de l’accord Niche.

212    La Commission conteste cette argumentation.

 Appréciation de la Cour

213    L’applicabilité de l’exemption prévue à l’article 101, paragraphe 3, TFUE est subordonnée à la réunion de quatre conditions cumulatives, énoncées à cette disposition. Ces conditions consistent, premièrement, à ce que l’entente concernée contribue à améliorer la production ou la distribution des produits ou des services en cause, ou à promouvoir le progrès technique ou économique, deuxièmement, à ce qu’une partie équitable du profit qui en résulte soit réservée aux utilisateurs, troisièmement, à ce qu’elle n’impose aucune restriction non indispensable aux entreprises participantes et, enfin, quatrièmement, à ce qu’elle ne leur donne pas la possibilité d’éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits ou des services en cause (arrêts du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C‑179/16, EU:C:2018:25, point 97, ainsi que du 18 janvier 2024, Lietuvos notarų rūmai e.a., C‑128/21, EU:C:2024:49, point 100).

214    Afin de démontrer que le Tribunal a commis une erreur dans le cadre de l’application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, notamment s’agissant de la première des conditions prévues par cette disposition, Unichem soutient que le Tribunal s’est fondé sur une interprétation erronée et une dénaturation manifeste des arguments juridiques ainsi que des preuves afférents à l’accord Niche. Le septième moyen repose ainsi sur l’invocation, par Unichem, des erreurs d’interprétation et des dénaturations qu’elle a invoquées à l’égard du point 374 de l’arrêt attaqué dans le cadre de son deuxième moyen, pris en sa seconde branche, ainsi que dans son troisième moyen, pris en sa première branche. Or, pour les motifs exposés aux points 186 à 198 du présent arrêt, cette argumentation a été rejetée dans son ensemble.

215    Dans la mesure où Unichem invoque une dénaturation des preuves constituées par « les avis d’experts » déposés devant le Tribunal, il suffit de constater que le Tribunal, en exposant sa propre analyse des articles 3, 5 et 6 de l’accord Niche, n’a ni commenté, ni à plus forte raison dénaturé, aucun avis d’expert, et notamment celui d’un professeur de droit anglais invoqué par Unichem.

216    Le septième moyen repose donc sur une prémisse erronée.

217    Dans ces conditions, il convient de considérer que, en jugeant, aux points 427 et 428 de l’arrêt attaqué, quant au gain d’efficacité allégué par Unichem et découlant de la prétendue possibilité pour Niche de vendre une version du périndopril relevant du champ d’application du brevet 947 avant la fin de validité de ce brevet au cours de l’année 2021, que l’accord Niche ne prévoyait nullement une telle possibilité et que, partant, c’est à juste titre que la Commission avait considéré que la première condition prévue à l’article 101, paragraphe 3, TFUE n’était pas remplie, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit dans le cadre de l’application de cette disposition.

218    Par conséquent, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal, au point 429 de l’arrêt attaqué, a jugé au regard du caractère cumulatif des quatre conditions requises par l’article 101, paragraphe 3, TFUE que la Commission a valablement pu décider que l’accord Niche ne pouvait pas bénéficier d’une exemption au titre de cette disposition.

219    Il s’ensuit que le septième moyen doit être rejeté.

 Sur le huitième moyen, pris de la violation des droits de la défense et du principe de bonne administration  

 Argumentation des parties

220    Par son huitième moyen, Unichem invoque la violation des droits de la défense et du principe de bonne administration. Ce moyen se subdivise en deux branches.

221    Par la première branche, Unichem soutient que le Tribunal, aux points 121 et 122 de l’arrêt attaqué, a méconnu les droits de la défense et le principe de bonne administration en ne respectant pas les critères juridiques sur la base desquels une partie peut être réputée avoir renoncé à invoquer la confidentialité des communications entre un avocat et son client. Selon Unichem, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme exige qu’une telle renonciation soit consciente, réfléchie et entourée d’un minimum de garanties correspondant à sa gravité. Or, tel ne serait pas le cas en l’espèce.

222    En effet, au cours du mois de mars de l’année 2009, Niche, qui était alors représentée par un avocat, aurait demandé à la Commission le traitement confidentiel d’un courriel du 5 février 2005 émanant de son conseil en propriété intellectuelle, ce que cette institution aurait accepté, avant de considérer, à tort selon Unichem, que Niche avait ultérieurement renoncé au traitement confidentiel qu’elle avait initialement demandé.

223    À cet égard, la mise en garde qui figure dans une lettre du 20 juillet 2011 par laquelle la Commission soulignait l’importance des conséquences juridiques de cette renonciation, ne pourrait pas être considérée comme étant suffisante pour protéger les droits de cette entreprise, en raison de ses termes trop généraux. De l’avis d’Unichem, il incombait à la Commission d’expliquer pourquoi les documents en cause ne pouvaient plus bénéficier d’un traitement confidentiel. Unichem affirme que Niche ne pouvait pas renoncer de manière consciente et réfléchie sans comprendre les critères et motifs pour lesquels la Commission rejetait une demande de traitement confidentiel qu’elle avait auparavant acceptée. Unichem estime que la confidentialité des communications existe indépendamment de la question de savoir si l’entreprise est représentée par un avocat. Il n’existerait aucune preuve du fait que la Commission ait averti Niche d’une erreur de compréhension quant à la manière dont le traitement confidentiel pouvait être demandé alors qu’elle n’était plus représentée par un avocat.

224    En outre, en cas de désaccord sur la question de savoir si un traitement confidentiel pouvait être accordé, ce désaccord aurait dû être soumis au conseiller-auditeur.

225    Par la seconde branche, Unichem soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit au point 128 de l’arrêt attaqué en jugeant qu’une telle violation des droits de la défense ne pouvait pas entraîner l’annulation de la décision litigieuse. D’une part, la Commission ne saurait, par principe, se prévaloir d’une pièce obtenue en violation des droits de la défense. D’autre part, sans le courriel du 5 février 2005, la Commission n’aurait pas été en mesure de prouver l’intention anticoncurrentielle des parties et de qualifier l’accord Niche de restriction de la concurrence par objet.

226    La Commission conteste cette argumentation.

 Appréciation de la Cour

227    S’agissant des procédures relatives à l’application de l’article 101 TFUE, la Cour a déjà jugé que le droit à la protection de la confidentialité des correspondances entre l’avocat et son client fait partie des droits de la défense devant être respectés dès le stade de l’enquête préalable (voir, en ce sens, arrêts du 18 mai 1982, AM & S Europe/Commission, 155/79, EU:C:1982:157, points 18 à 23, ainsi que du 17 octobre 2019, Alcogroup et Alcodis/Commission, C‑403/18 P, EU:C:2019:870, point 50 ainsi que jurisprudence citée).

228    En outre, ainsi que l’a relevé le Tribunal au point 121 de l’arrêt attaqué, il résulte de la jurisprudence de la Cour que, si le détenteur d’un élément de preuve obtenu par la Commission décide, en pleine connaissance de ses droits, de ne pas s’opposer à son utilisation par cette dernière, quand bien même il aurait pu le faire, il ne saurait être fait grief à la Commission d’avoir utilisé cet élément dans son enquête (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 1982, AM & S Europe/Commission, 155/79, EU:C:1982:157, point 28).

229    Il convient également de rappeler que l’article 48, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») selon lequel le respect des droits de la défense est garanti à tout accusé, correspond à l’article 6, paragraphe 3, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »). Conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, qui vise à assurer la cohérence nécessaire entre les droits contenus dans celle-ci et les droits correspondants garantis par la CEDH sans porter atteinte à l’autonomie du droit de l’Union, la Cour doit donc tenir compte, dans l’interprétation qu’elle effectue à propos des droits garantis par l’article 48, paragraphe 2, de la Charte, des droits correspondants garantis par l’article 6, paragraphe 3, de la CEDH, tels qu’interprétés par la Cour européenne des droits de l’homme, en tant que seuil de protection minimale (voir, en ce sens, arrêt du 2 février 2021, Consob, C‑481/19, EU:C:2021:84, points 36 et 37).

230    Or, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, telle que rappelée, notamment au paragraphe 115 de l’arrêt du 12 mai 2017, Simeonovi c. Bulgarie (CE:ECHR:2017:0512JUD002198004), ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 de la CEDH n’empêchent une personne de renoncer de son plein gré, de manière expresse ou tacite, aux garanties d’un procès équitable. Cependant, pareille renonciation doit se trouver établie de manière non équivoque et doit être entourée d’un minimum de garanties correspondant à sa gravité. Elle n’a pas besoin d’être explicite mais elle doit être volontaire, consciente et éclairée. Avant qu’un accusé puisse être réputé avoir implicitement renoncé, par son comportement, à un droit important énoncé à l’article 6, il doit être établi qu’il aurait pu raisonnablement prévoir les conséquences de son comportement. De plus, cette renonciation ne doit se heurter à aucun intérêt public important.

231    En l’espèce, le Tribunal a constaté que Niche avait expressément renoncé à invoquer la confidentialité du courriel du 5 février 2005 et que cette entreprise, à la demande subséquente de la Commission, a confirmé son intention de manière univoque. Il a également constaté que la Commission avait itérativement attiré l’attention de Niche sur les conséquences de cette renonciation, tout en conseillant à cette entreprise d’avoir recours aux services d’un avocat.

232    En vérifiant ainsi les conditions dans lesquelles Niche avait renoncé à invoquer la confidentialité de ce courriel, le Tribunal n’a pas méconnu les principes jurisprudentiels visés aux points 227, 228 et 230 du présent arrêt mais a appliqué des critères dont la substance correspond à ces principes. De même, il ne saurait être considéré que le Tribunal a méconnu le principe de bonne administration en jugeant, au regard des circonstances de l’espèce, que la Commission a fait preuve de toute la diligence requise pour s’assurer que Niche ait pu prendre la mesure de sa renonciation au droit de se prévaloir du caractère confidentiel du courriel du 5 février 2005.

233    Unichem fait également valoir qu’il aurait été nécessaire de saisir le conseiller-auditeur pour trancher la question de la confidentialité du courriel du 5 février 2005. Toutefois, cet argument doit être rejeté dans la mesure où non seulement il manque de clarté ainsi que de précision et ne repose sur aucun raisonnement juridique, mais aussi parce qu’il critique le Tribunal pour ne pas avoir constaté la violation d’un droit dont Niche et Unichem n’ont pas fait usage.

234    La première branche du huitième moyen n’étant pas fondée, il y a lieu de la rejeter.

235    Quant à la seconde branche, elle repose sur la prémisse de l’existence d’une violation des droits de la défense de Niche. Cette prémisse ayant été écartée, cette seconde branche est également dépourvue de fondement.

236    Compte tenu de ce qui précède, le huitième moyen est rejeté.

237    Aucun des moyens soulevés à l’appui du pourvoi n’ayant été accueilli, ce dernier doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

238    Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

239    La Commission ayant conclu à la condamnation d’Unichem aux dépens et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.

240    L’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, prévoit que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

241    Par conséquent, le Royaume-Uni supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Unichem Laboratories Ltd est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

3)      Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supporte ses propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.

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